Laisser le temps au temps et aussi – et surtout – aux efforts de conciliation : c’est bien ce qui a été convenu durant cette journée très particulière d’hier où des dizaines de députés se sont rendus au Parlement bien que sachant parfaitement que c’était peine perdue. Où l’on a vu renaître cependant un semblant de vie dans un hémicycle désert depuis plus d’un an et qu’on avait dépoussiéré à la hâte. Où dans les couloirs de l’Assemblée se sont civilement côtoyés les élus de ces deux planètes ennemies, gravitant à des années-lumière l’une de l’autre, et que trouve tout de même moyen d’abriter le microcosme libanais.
Il reste que le temps est désormais compté. Un mois ou presque pour élire un président de la République agréé de tous c’est bien peu, dans un pays ouvert à toutes les bourrasques régionales et dont les élites politiques sont passées maîtresses en matière d’occasions perdues. Un mois, cela peut s’avérer suffisant toutefois si les deux camps se pénètrent de cette certitude terriblement simple : un président ne fait pas, à lui tout seul, une république ; en revanche, il ne peut y avoir de république sans président, et encore moins s’il y en avait soudain deux, comme la menace en est brandie par d’aucuns. Dès lors, c’est cette république – république précaire certes, approximative, plus qu’imparfaite mais raisonnablement perfectible, mais république quand même ! – qu’il faut sauver de la désintégration, de ce chaos dévastateur contre lequel aussi on nous met régulièrement en garde, encore que pas toujours d’innocente manière…
Qui dit conciliation et entente dit évidemment concessions réciproques. Mais il serait erroné – et de surcroît dangereux – de croire que la solution de la crise se situe à l’exact milieu du chemin. La raison n’en est pas seulement d’ordre idéologique, à savoir que les diverses facettes qui font la richesse de notre identité libanaise ne sont en aucun cas quantifiables : que le Liban ne saurait être à parts égales pro-occidental et pro-iranien ou prosyrien. Ce n’est pas pour un tel Liban découpé en tranches que sont tombés les martyrs de l’indépendance ; et ce n’est pas ce Liban-là non plus qui pourrait satisfaire les doléances les plus légitimes de l’opposition.
S’il y a davantage de chemin à parcourir d’un côté que de l’autre, c’est surtout parce qu’il est devenu vital pour le pays que soient dissipées de trop nombreuses et explosives zones d’ombre. Ombres sur la Constitution en premier lieu, avec ce peu ragoûtant taboulé juridique qu’est le débat sur le quorum nécessaire à l’élection présidentielle : débat qui vient d’ailleurs de faire des petits, avec la polémique tournant maintenant autour de la réunion fantôme d’hier à l’Étoile (séance avortée ou non-séance ?) et ses retombées sur la suite du processus électoral, particulièrement durant les dix derniers jours précédant la fin du mandat Lahoud.
Ombres sur le Parlement lui-même ensuite, avec la paralysie continuant malgré l’interlude d’hier de frapper une institution sans laquelle il ne peut exister de république un tant soit peu démocratique, cette fois. Nabih Berry a certes droit à l’appréciation de tous quand il se pose en moteur du dialogue. Le Ciel entende Berry quand il se dit optimiste, quand après avoir rencontré lundi le patriarche maronite il nous promet un président d’entente avant la date fatidique du 24 novembre. Mais sans trop revenir sur les dix mois de mise en congé forcé de l’Assemblée, le chef du Législatif est désormais tenu de remiser – ne serait-ce que pour un temps – sa seconde casquette, celle de pilier d’une opposition qui a ouvertement pour méthode d’action le blocage pur et simple des institutions : blocage qui n’a d’autre effet que de raidir la majorité, de l’amener à envisager les solutions les plus extrêmes au plan juridico-constitutionnel plutôt que de se résigner au vide.
Last but not least, une ombre qui n’en est pas véritablement une, tant cet alarmant phénomène de prolifération des armements et autres manifestations paramilitaires crève en ce moment les yeux. Et se passe donc de tout commentaire.
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