Il existe une grande majorité de pays où la politique intérieure est durablement façonnée par les interventions extérieures. Le Liban n’échappe pas à la règle, mais il possède une particularité qui le distingue de tous les autres et rend son cas, à maints égards, exemplaire. Cette particularité résulte de l’imbrication totale et quasi organique entre l’intérieur et l’extérieur.
Depuis que le Liban est Liban, la question de cette imbrication a toujours occupé chercheurs, analystes et commentateurs. Tout au long de son histoire et bien avant la définition de son « contour » dans le cadre des accords de Sykes-Picot, cette imbrication résultait d’une relation biunivoque (ou covalente, pour ceux qui aiment la chimie) entre les communautés libanaises et leurs « puissances protectrices ».
Les convulsions récurrentes qui secouent le système libanais ainsi que les crises les plus récentes conduisent à revoir cette question d’imbrication sous un angle tout à fait nouveau. La notion de continuum pourrait probablement apporter une meilleure description de la dynamique du système et permet la prise en compte, ou l’intégration, de l’ensemble des paramètres qui y interviennent.
Cette nouvelle approche permet de considérer le Liban comme faisant partie d’un espace insécable (continuum) où le dehors et le dedans ne peuvent pas être envisagés séparément. C’est comme s’ils fusionnaient pour créer une « surface » qui n’a qu’un seul côté.
Imaginez une surface où les deux faces n’en font qu’une, vous arrivez de l’autre côté sans jamais changer de face. C’est la surface (on dit aussi ruban) de Möbius. Si d’un point quelconque de cette surface, on trace une ligne dans une direction ne coupant pas le bord, on se retrouve à mi-chemin du point de départ mais de l’autre côté du papier. Si l’on continue et l’on fait un deuxième tour, on se retrouve alors au point de départ et du même côté.
Cet objet mathématique peut paraître comme une construction artistique sans utilité et pourtant il a eu des applications en industrie (courroies croisées à la jonction) et en psychanalyse (image spéculaire de Lacan). Pour ce qui nous concerne, il pourrait convenir parfaitement à la description du système libanais si l’on accepte de le considérer comme un objet purement « topologique ».
Si l’on accepte d’envisager (et de manipuler) le Liban comme un ruban de Möbius, il en résulterait toute une série de conséquences (ou de corollaires logiques) inévitables. La première d’entre elles est que Liban ne pourra jamais exister comme entité indépendante. L’idée même d’entité indépendante n’a pas de sens. L’impossibilité est mathématique.
Face à cette impossibilité, le bon vouloir des Libanais ne sert pas à grand- chose. La conjecture est évidente. Dans ce continuum où le « dedans » et le « dehors » ne font qu’un, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est d’essayer d’y améliorer les conditions de vie, mais jamais de s’en échapper.