Il n’a pas succombé à la tentation, ou du moins pas encore. Dix jours après le déclenchement des hostilités contre Gaza et malgré l’amoncellement des victimes et la barbarie inégalée d’Israël, le parti khomeyniste libanais n’a pas voulu, ou pu, ou osé voler au secours de ses « frères » palestiniens. Les Libanais peuvent donc se réjouir, leur pays a échappé (pour le moment) à une dévastation certaine.
Cette tentation était pourtant grande et tout l’y incitait, son idéologie, son discours, sa folle stratégie sacrificielle. Hier encore, Hassan Nasrallah ne ratait pas une occasion pour nous rappeler que l’heure de la « vermine » israélienne avait sonné et que grâce à ses missiles (et à la bonté divine) elle allait être rayée définitivement de la carte. Le déluge de fer et de feu qui s’abat sans discontinuer sur des victimes toutes désignées au sacrifice aurait dû l’inciter à « balancer » ses missiles sur Tel-Aviv. Contre toute attente, le voilà qui tergiverse, pèse le pour et le contre et s’égare en supputations !
Les incantations lancinantes sur la « sacralité » de la cause palestinienne et sur la nécessité d’une lutte permanente et sans merci contre l’usurpateur sioniste n’étaient-elles donc qu’un alibi ? Sinon, comment comprendre cet accès subit de « modération » et ce souci inhabituel de vouloir épargner au Liban et aux Libanais le sort atroce de Gaza et de ses habitants.
L’explication est pourtant simple. Le parti chiite armé ne peut pas se permettre de pousser une nouvelle fois sa base populaire et confessionnelle à de nouveaux sacrifices pour défendre un objectif idéologique lointain qui de plus est n’a pas la même « couleur confessionnelle ». Les plaies ouvertes par la « victoire divine » sont encore trop vives et la communauté chiite, qui en a subi dans chair, dans son sang et dans ses biens les conséquences, n’est nullement prête à servir une nouvelle fois comme bouc émissaire à une cause qui fait fuir tous les Arabes au lieu de les rassembler. D’où le désarroi de Hassan le charlatan et d’où sa recherche désespérée d’un palliatif qui ne sente pas trop la couardise. Tout ce qu’il a pu trouver, c’est une empathie vociférante avec les victimes palestiniennes et des appels frénétiques à renverser le régime égyptien, relayés comme à l’accoutumée par une « Al-Jazeera » toujours prompte à enflammer les « masses » et à leur fournir 24 heures sur 24 les comptes exacts de la production victimaire.
Lorsqu’en mai dernier, le parti khomeyniste avait brandi les armes pour « défendre » ses armes, au risque d’attiser une « fitna » qu’il feignait de dénoncer, il n’avait pas eu les mêmes hésitations. Il pouvait compter sur le soutien massif ou du moins sur la « compréhension » d’une communauté à qui il a laissé croire que la défense de son arsenal servait en fin de compte ses propres intérêts et que son « sacrifice » était pleinement justifié. Il en serait de même, quoique à un degré moindre, si l’Iran venait à être attaqué. Dans ce cas aussi la solidarité « chiite » avec le pays d’où il puise son idéologie de référence serait perçue non comme un choix, mais comme un devoir.
Le « pragmatisme » du Hezbollah et sa « libanité » subite ne sont donc pas fortuits. Ce sont un pragmatisme et une libanité qui servent d’abord et avant tout des intérêts confessionnels (locaux et lointains) et ce en dépit des slogans idéologiques et de l’empathie ostentatoire à des victimes lointaines.
Toutefois, ce pragmatisme et cette libanité pourraient être remis en cause à tout moment. A ce stade du conflit, ni l’Iran, ni la Syrie n’ont encore jugé bon de pousser le Hezbollah à se « jeter dans la bataille ». Leurs objectifs sont loin d’être concordants, mais si l’évolution de la bataille conduisait à une perte de la « carte » trop précieuse du Hamas, leurs calculs pourraient changer du tout au tout.
La bataille n’est pas encore terminée et ceux qui se félicitent aujourd’hui du « pragmatisme » du Hezbollah risqueraient demain de déchanter. Ave Nasrallah, morituri te salutant !