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Même s’ils lui reprochent d’avoir plongé le pays dans la guerre, les Libanais se tournent vers le Hezbollah, dont les moyens restent considérables, pour rebâtir leurs maisons.
La maison de Bassam Al-Aayan avait l’une des plus belles vues sur la baie s’étendant entre Sour et Naqoura, au Liban sud. De la bâtisse de 350 mètres carrés, en pierre blanche et tuile rouge, il ne reste qu’un tas de cailloux. Le fermier de 53 ans a mis trente-cinq ans à la construire. Elle a été pulvérisée en un instant par une frappe israélienne, fin septembre 2024. « Je ne reconstruirai qu’une petite maison. Le plus urgent, ce sont mes machines agricoles », dit le fermier de Teir Harfa, en désignant ses plantations d’oranges et de bananes.
Le Hezbollah, dont les bannières jaunes et les photos de martyrs s’affichent au centre du village, lui a alloué 8 000 dollars (7 600 euros) pour louer un appartement avec sa femme et ses trois enfants. Bassam Al-Aayan est néanmoins exaspéré que les compensations promises par le parti chiite pour la reconstruction tardent à se matérialiser. « Le représentant du Hezbollah dans le village est dépassé. Les destructions sont importantes et le parti n’a pas assez de liquidités. Ils ont ajourné deux fois le paiement des chèques dans le village et ailleurs », peste le fermier.
Une même colère gronde parmi la vingtaine d’habitants de Teir Harfa qui sont rentrés fin janvier après y avoir été autorisés par l’armée libanaise. « Notre vie est réduite à néant. Il me faut 25 000 dollars pour les travaux de rénovation. Je n’ai même pas de quoi nourrir ma famille », se lamente Salim Al-Aayan, un ouvrier agricole de 52 ans. Le premier étage de sa maison a été incendié. Les soldats israéliens ont laissé des inscriptions en hébreu sur les murs, des jeux du pendu et des horaires de tours de garde.
L’ouvrier agricole ne veut pas entendre parler du Hezbollah. Mais le problème, dit-il, est qu’« il n’y a pas d’Etat et [que] le Sud est détruit. Ça va prendre plus de trois ans à reconstruire ». « Depuis la guerre, 90 % des gens critiquent le parti à cause des destructions et des morts », explique sa sœur Ibtisam. Deux de leurs neveux, âgés de 14 et 18 ans, ont été tués dans une frappe de drone, le 11 septembre 2024. La matriarche de 74 ans, Salwa, leur conseille de ne pas reconstruire plus que le strict nécessaire « tant qu’il n’y aura pas la paix et une ambassade du Liban à Tel-Aviv ».
Réseau associatif mis en branle
La reconstruction des zones détruites au Liban sud, dans la plaine de la Bekaa et dans la banlieue sud de Beyrouth, est un enjeu majeur pour le Hezbollah. Sa base chiite a été éprouvée par quatorze mois de guerre, qui ont fait 4 047 morts, 14 655 blessés et plus de 1 million de déplacés. Les destructions excèdent de loin celles de la précédente guerre de 2006 contre Israël. Un mois avant le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, la Banque mondiale chiffrait les dégâts matériels à 3,4 milliards de dollars. Des villages frontaliers ont, depuis, été rasés. Certains sont encore occupés par l’armée israélienne.
Même affaibli par la décapitation de son commandement – dont son chef, Hassan Nasrallah –, le Hezbollah a mis en branle son réseau associatif pour venir en aide aux sinistrés. Fin janvier, le parti chiite a annoncé avoir versé 400 millions de dollars à 140 000 personnes. « On travaille soirs et week-ends compris », dit Haïtham Zayat, un ingénieur civil de 45 ans qui supervise la région située au sud du fleuve Litani pour Jihad Al-Bina, la société du Hezbollah chargée de la reconstruction. Une carte de la région, un portrait du cheikh Naïm Qassem, le nouveau chef du parti, et des tableaux de chiffres ornent les murs de son bureau.
Ses équipes, 927 salariés et volontaires, ont achevé les relevés dans 120 des 160 villages de la zone. Vingt et un villages frontaliers sont encore inaccessibles. « On a traité 91 000 dossiers de rénovation, dont 93 % ont déjà été mis en chèque. Il y a 1 579 dossiers pour des habitations ayant un problème d’intégrité structurelle », dit Haïtham Zayat, tableaux à l’appui. Le Hezbollah couvre l’intégralité de la reconstruction à hauteur de 50 000 dollars. Les dossiers des habitations détruites sont traités en dernier, mais 16 000 familles ont reçu une allocation de logement allant jusqu’à 14 000 dollars.
Manque de liquidités
« Nous avons répertorié 6 424 immeubles détruits. On arrivera à 10 000 une fois les relevés achevés dans la zone frontalière. C’est trois à quatre fois plus qu’en 2006 », poursuit l’ingénieur. Il estime le coût de la reconstruction à 10 milliards de dollars, dont la moitié au Liban sud. Reprenant l’antienne des responsables du parti, Haïtham Zayat assure que le Hezbollah « a la capacité de couvrir le coût de la reconstruction… plusieurs fois s’il le faut ».
Dans la Dahiyé, le fief du Hezbollah au sud de Beyrouth, certains ont pu retirer, dès janvier, leur allocation de rénovation auprès d’Al-Qard Al-Hassan, l’organisme financier du Hezbollah. Ses agences, bombardées par Israël, ont en partie rouvert. Jihane Al-Zoghbi se désespère d’obtenir une réponse de Jihad Al-Bina. La retraitée de 70 ans est revenue du Canada, fin janvier, pour superviser les travaux de son appartement cossu, qui a désormais vue sur les débris de sept immeubles bombardés.
« J’en ai pour 15 000 dollars de réparation sans compter les meubles. Je ne peux pas tout payer, dit la retraitée. La femme de mon cousin doit toucher 4 500 dollars, mais l’encaissement du chèque a été repoussé de vingt jours. » Devant une agence d’Al-Qard Al-Hassan, des clients repartent, penauds, avec le même message. L’institution financière invoque des « problèmes techniques et procéduraux internes ». Nombre soupçonnent un manque de liquidités, du fait de l’ampleur des destructions et des difficultés du Hezbollah à transférer des fonds depuis l’Iran.
En 2006, la République islamique avait pris en charge une partie de la reconstruction. La chute du régime d’Al-Assad en Syrie, le 8 décembre, a coupé la ligne d’approvisionnement terrestre entre Téhéran et Beyrouth. L’aviation israélienne cible les transferts d’armes ou de fonds en direction du Hezbollah. Un contrôle renforcé a été mis en place au port et à l’aéroport de Beyrouth, revenus sous le contrôle de l’armée libanaise.
« Le gouvernement ne fait rien »
Le cheikh Naïm Qassem appelle l’Etat libanais à prendre sa part de la reconstruction et promet la coopération de ses institutions. Le Hezbollah, qui a perdu en influence au sein du gouvernement nommé en février par le nouveau premier ministre, Nawaf Salam, espère garder un œil sur le dossier par le biais du portefeuille des finances attribué à un proche du parti Amal, son allié chiite.
L’Etat libanais étant en quasi-faillite depuis la crise de 2019, la reconstruction ne pourra se faire sans le soutien des bailleurs étrangers. Ceux-ci conditionnent leur aide à des réformes structurelles et à la mise en place d’un mécanisme, sous l’égide de la Banque mondiale, pour empêcher le détournement des fonds au profit de l’oligarchie politico-financière ou du Hezbollah
« Vu l’ampleur des dégâts, le Hezbollah se débrouille bien. Il travaille avec honnêteté, estime Fadi Dib, un chef d’entreprise de 52 ans qui va recevoir 13 000 dollars pour rénover son duplex dans la Dahiyé. Le gouvernement ne fait rien, si ce n’est handicaper le processus de la reconstruction par ses décisions politiques, comme avec les avions iraniens. »
L’interdiction faite par les autorités libanaises, jeudi 13 février, à un avion d’une compagnie iranienne d’atterrir à Beyrouth a provoqué des tensions pendant trois jours. Sur la route de l’aéroport, des partisans du Hezbollah ont attaqué un convoi de l’ONU et blessé deux casques bleus. Israël avait émis des menaces concernant les avions civils iraniens qui transporteraient des fonds à destination du Hezbollah. « Israël essaie d’accomplir sur le terrain politique ce qu’il n’a pas réussi à faire militairement : éradiquer toute influence du Hezbollah », déplore Amina Sbaïta, une vendeuse de 40 ans de la Dahiyé, prédisant des temps difficiles au Liban.