Fort de l’appui de Donald Trump, le prince héritier Mohammed Ben Salman n’hésite pas à retenir à Istanbul un célèbre journaliste critique de son pouvoir.
MOYEN-ORIENT Un vent mauvais souffle sur l’Arabie saoudite et au-delà de ses frontières. La très probable rétention au consulat saoudien d’Istanbul de Jamal Khashoggi, journaliste autrefois proche de la famille régnante mais désormais critique de la monarchie, montre que la vague de répression de toute opposition ne s’arrête pas aux limites du royaume. « C’est nouveau », constate avec étonnement un ancien maître espion français.
Cet épisode brouille, après d’autres, l’image du jeune prince héritier Mohammed Ben Salman, 33 ans, l’homme fort à Riyad. Celui que l’on surnomme MBS est-il un libéral qui compte faire entrer dans la modernité un pays longtemps figé par le rigorisme ? Ou, plus classiquement, un monarque absolu un tantinet plus éclairé que ses prédécesseurs ?
Ces derniers mois, de nombreux dissidents ont été mis sous les verrous. Des personnalités libérales et des figures religieuses, comme Salman al-Awdah, contre lequel la justice a requis la peine de mort. Mais aussi des militantes de la cause féminine – celles-là mêmes que MBS a favorisées en leur accordant, enfin, le droit de conduire une voiture. Souvent accusées de « trahison » – c’est-à-dire de contacts supposés avec le nouvel ennemi du Qatar -, plus d’une dizaine de militantes des droits des femmes ont ainsi été emprisonnées fin juin.
Six mois plus tôt, le prince héritier avait déjà embastillé au Ritz Carlton de Riyad des dizaines de princes et d’hommes d’affaires accusés de s’être indûment enrichis. Depuis, la plupart ont été relâchés après avoir signé une reconnaissance de dette envers l’État saoudien, qui récupéra ainsi quelque 100 milliards de dollars. Une manne utile pour financer les réformes économiques contenues dans la Vision 2030 de MBS.
Mais d’autres restent aux arrêts dans la prison d’al-Haïr, au sud de Riyad. Et depuis, d’autres encore ont été emprisonnés, tel le prince Bandar Ben Abdallah, arrêté en janvier pour avoir critiqué son cousin Mohammed Ben Salman et sa main de fer sur la famille régnante. Libéré quatre mois plus tard mais interdit de quitter le pays, il est depuis en résidence surveillée à Riyad, et est « accompagné » dans ses déplacements à l’intérieur du royaume.
Figure connue pour ses investissements hors de l’Arabie, le prince Walid Ben Talal ne peut pas, lui non plus, quitter le royaume, et l’État lui aurait confisqué une grande partie de ses biens. Sans parler des princes, princesses et autres hommes d’affaires qui ont juste eu le temps de se replier à Londres, Paris ou en Californie, et qui ne veulent surtout pas rentrer en Arabie.
«À tous, décrypte un observateur joint au téléphone à Riyad, MBS a dit : “maintenant en Arabie, il y a un gouvernement qui travaille, ceux qui n’en font pas partie doivent se taire”. Il ne veut plus de pouvoir au sein du pouvoir. » Fini les princes, détenteurs de « fromages » en partenariat avec des industriels étrangers. MBS ne veut plus qu’une seule filière, la sienne, autour d’un instrument financier qu’il a créé : le PIF (Public Investment Fund).
Mais ce big bang n’a pas seulement fait fuir une partie des capitaux. Il a également provoqué des tensions au sein d’une famille régnante habituée à une prise de décision par consensus. À tel point que le père de MBS, le roi Salman, qui géra pendant longtemps les différends au sein de la famille Saoud, a mis son veto à deux projets phare de son fils préféré. D’abord, l’introduction en Bourse d’une fraction du capital de l’Aramco, mastodonte pétrolier et véritable vache à lait du pays. Salman trancha « après avoir consulté des membres de la famille royale, du gouvernement et des banques pendant le ramadan », peut-on lire dans une récente note du Trésor. Cette privatisation partielle impliquait une transparence des comptes de l’Aramco que la famille royale n’était pas prête à assumer dans la mesure où chacun de ses membres – et ils sont nombreux – perçoit un montant des exportations de pétrole, un secret jalousement gardé en Arabie. Ce fut un coup dur pour MBS, qui avait fait de cette privatisation l’un des pivots de la modernisation d’une économie appelée à ne plus miser uniquement sur le pétrole.
L’autre revers que lui infligea son père concerne le soutien apporté par MBS à l’improbable plan de paix américain entre Israéliens et Palestiniens. Ami du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, à l’origine de ce plan, MBS semblait prêt à céder, y compris sur Jérusalem, que se disputent Israéliens et Palestiniens. Pas question, lui a rappelé publiquement le roi, conscient de l’impact que cette question religieuse revêtait dans un royaume gardien des lieux saints de l’islam.
L’impulsivité, doublée d’une inexpérience au plan international, pourraient-elles être fatale à MBS ? Aussi longtemps que Salman est en vie, le jeune prince n’est pas menacé. Son père reste sa meilleure caution. Et malgré les nombreux grognards tapis au sein de la famille, MBS jouit pratiquement de tous les pouvoirs (y compris au sein de la puissante garde nationale, même s’il en a évincé sans ménagement son chef, le prince Mitaeb, fils de l’ancien roi Abdallah).Mais si jamais Salman, âgé de 83 ans, venait à disparaître avant que MBS n’ait vraiment assis son autorité ? Liquidation, prise du pouvoir par la garde nationale : tous les scénarios sont envisagés, comme le montre une note du Quai d’Orsay rédigée dans cette hypothèse.
En attendant, « MBS a la situation bien en main. Il fait le pari d’un baril de pétrole qui remonte. Il a Trump avec lui. Et il a le sentiment que son ennemi, l’Iran, est vaincu », estime un industriel, familier de l’Arabie. Face aux pays qui le critiquent, le prince héritier n’hésite pas jouer au chantage sur les contrats. Et l’audace fonctionne ! Après avoir critiqué Riyad, l’Allemagne a dû rentrer dans le rang, de même que l’Espagne, où des contrats de 2 milliards de dollars étaient menacés. Et le nouvel homme fort du Golfe a étendu cette règle à ses alliés des Émirats arabes unis et de Bahreïn. Cécile Longet, l’ambassadrice de France à Bahreïn, en sait quelque chose. Après ses tweets critiquant cet été les atteintes aux droits de l’homme dans le royaume, Manama menaça de l’expulser. Cet été encore, le Quai d’Orsay resta muet quand Riyad expulsa l’ambassadeur du Canada qui avait critiqué la répression saoudienne. « On ne peut rien faire », reconnaît un autre diplomate.
Alors MBS, révolutionnaire ou despote éclairé ? Un autre familier de l’Arabie décrypte le personnage : « En verrouillant le champ politique et religieux, MBS s’affirme dans le rapport de forces intérieur. Il se légitime par la répression. Il ne se laisse dicter ses actes ni par les démocrates ni par les religieux et a fortiori pas par les puissances étrangères. Il veut montrer qu’il est le maître des horloges, c’est lui seul qui fixe le rythme des réformes. Il ne revendique pas d’être un démocrate. En recevant un dirigeant étranger en 2017, il lui avait dit : “Ne venez pas m’emmerder avec les droits de l’homme, ce n’est pas mon problème.” »
Devant l’assassinat d’un journaliste opposant par un prince autocrate dévoyé, obscénité insoutenable de la posture d’accusateur d’un Malbrunot, si notoirement marqué par sa complaisance relativisante vis-à-vis d’un dictateur criminel et corrompu, qui a fait appel à la Russie et à l’Iran pour lui exterminer son peuple et lui garder sa « présidence » de pacotille.
Obscénité de la posture de ce Malbrunot-ci et de tous ses semblables.