Il n’existe pas trente-six manières de se comporter face à une défaite avérée. Soit on louvoie afin d’en retarder l’échéance, ou bien on la reconnaît et l’on cherche par tous les moyens à minimiser ses pertes. Dans les deux cas, le courage ou la lâcheté n’entrent pas en jeu. Le choix relève en dernier ressort de la volonté, ou plutôt d’une « disposition de l’esprit ».
Walid Joumblatt appartient à la deuxième catégorie. Dans le microcosme politique libanais, il est le champion toutes catégories de la voltige et du double axel périlleux. Avec lui, point de figures imposées et quand il se lance, il le fait sans filet de secours. Pour gérer ses défaites, il est l’un des rares à disposer du don d’ubiquité qui lui permet de prétendre appartenir à un camp alors qu’il se trouve déjà dans le camp adverse.
Lorsqu’il bat en retraite, il le fait presque toujours en invoquant les mêmes fantômes qu’il s’était dépêché d’enterrer au moment où il se sentait victorieux. Il lui suffit pour cela de ressortir les « constantes » dont nul ne pourra contester la validité. Il en va ainsi des causes arabes et de la plus « sacrée » d’entre-elles, l’incontournable cause palestinienne qui continue à hanter encore aujourd’hui la conscience collective. Il en use et en abuse au gré de ses retournements.
Toutefois, cette technique qu’il a de marcher en crabe afin de camoufler ses revirements ne convainc pas toujours. Bien au contraire, ses alliés du jour sont toujours aux aguets pour crier haro sur le baudet dès qu’ils perçoivent la moindre inflexion dans ses déclarations. Mais sa parade est toujours prête. Il lui suffit de dire que ses propos ont été mal interprétés et de confier à ses proches le soin d’arrondir les angles et d’assurer les sceptiques que Walid Joumblatt n’a pas l’habitude de « laisser tomber son histoire et son héritage » !
Avec ses adversaires, ses manœuvres sont moins évidentes, car il ne suffit pas de renverser la vapeur pour se faire disculper. Aujourd’hui il fait face à un vainqueur qui ne se contente plus de belles paroles. Ses acrobaties habituelles ne prennent plus et ce n’est pas en se morfondant dans sa contrition ni en allant à Canossa qu’il réussira à effacer ses turpitudes. Le vainqueur en question veut le voir complètement à genoux, pas moins.
Il croît s’en sortir en essayant de se rabibocher avec son ennemi libanais dans l’espoir de « neutraliser » son ennemi régional. Hassan Nasrallah le voit venir, l’encourage du bout des lèvres, mais attend qu’il s’humilie encore davantage. Son écrasante victoire lui permet déjà de contrôler les principaux leviers du pouvoir. Ce qu’il veut aujourd’hui, c’est de faire voler en éclats la coalition adverse et Joumblatt va l’y aider de bon cœur.
Ne commence-t-on pas dans le camp adverse à louer sa « clairvoyance » et à se féliciter de son « repositionnement » à équidistance des deux camps ? Même Jamil Sayyed s’est empressé du fond de sa cellule de qualifier de « développement positif » la position du chef druze ! Ô temps, ô mœurs ! Le pouvoir du totem Hariri n’agit plus.
Ainsi va Walid bey ! Après avoir ingurgité sa défaite, il cherche à faire gober à ses amis ses débuts de trahison, mais à petites gorgées. Le pire, c’est de voir ces mêmes amis rivaliser d’ingéniosité pour le lui pardonner. Un pitre face à une basse-cour de pitres !