Contrairement aux allégations immédiatement proférées sur certaines chaines de télévision, la « chute » de Palmyre ne précipitera nullement une attaque de la capitale syrienne. La route est longue entre ces deux villes et les épisodes récents autour d’Alep nous ont montré que le groupe de l’Organisation de l’Etat Islamique n’est pas forcément apte à progresser rapidement vers de vastes centres urbains. Au contraire, il aime le vide et les déserts, espaces de camouflage et d’attente plus propices à sa survie qu’une quelconque bataille rangée.
La dernière séquence guerrière en Syrie – dont les logiques sont particulières et qu’il ne faut pas confondre avec les dynamiques irakiennes – est la bataille d’Aïn al-Arab (Kobané) où, après les incertitudes initiales, le résultat a été un échec patent pour les forces de Dae’ch. Naturellement, la menace de la destruction du patrimoine incomparable de Palmyre fait redouter le pire. Bien sûr, la perte irrémédiable du temple de Bel et du tétraèdre serait à craindre. Mais face à la multiplication des lamentations et des expressions d’inquiétude, il est nécessaire de garder calme et sérénité et de réfléchir concrètement aux moyens de « Sauver Palmyre », et non, une fois encore, de pousser des cris d’orfraies face à une réalité mal comprise.
Palmyre a été très tôt l’un des bastions de l’opposition au régime de Bachar al-Assad. Une partie de ses habitants ont pris la fuite, en deux vagues successives. La première en 2012. La seconde, plus importante, en 2013, lorsque, pour répondre à la contestation d’habitants ayant pris les armes pour se protéger, les forces armées du régime s’installent à l’intérieur de la citadelle qui surplombe la ville, pour réduire les récalcitrants et interdire, en recourant aux armes lourdes, toute expression de contestation en contrebas. Ces bombardements ne sont pas sans provoquer des dégâts. Mais les éclats d’obus qui atteignent les temples ne font pas longtemps l’actualité, et, en dépit de la puissance de feu massive des forces régulières, les regards ne tardent pas à se détourner de ces atteintes au patrimoine. Malgré tout, le mouvement de protestation se poursuit. Un maquis se constitue dans l’oasis qui borde la ville et les ruines. Le régime ne parvient pas à le réduire en dépit du recours une fois encore au gaz de chlore, dont le président Obama ne cesse de se demander s’il s’agit d’une « arme chimique » au motif qu’il n’apparaît pas davantage que le zyklon B, par exemple, dans le catalogue des produits internationalement prohibés. Enfermée dans la citadelle, qu’elle expose aux tirs de représailles comme les ruines qu’elle domine immédiatement, l’armée ne progresse pas.
Et voici que soudain, après avoir connu des revers divers en Syrie, Dae’ch menace Palmyre ! L’Occident et les organisations internationales sont tétanisés à cette perspective : le groupe d’Abou Bakr al-Baghdadi pourrait commettre en Syrie ce qu’il a naguère fait en Irak et dynamiter des vestiges antiques inestimables. Circule alors – encore une fois… – l’idée que seul le régime de Bachar al-Assad serait à même de s’opposer à l’Etat islamique et de rétablir la situation. En réalité, il en va tout autrement. La série de revers subie par le pouvoir au Nord, au Sud et à l’Ouest de la Syrie, montre depuis quelques mois qu’il ne dispose plus des ressources nécessaires pour contrecarrer l’avancée des révolutionnaires et que les quatre années de guerre qu’il a menées contre sa population ont fini par épuiser ses ressources humaines et matérielles. Il n’est plus en mesure de faire quoi que ce soit pour Palmyre, si ce n’est retarder temporairement – et pour autant qu’il le veuille ou qu’il en voie l’utilité – la progression de Dae’ch.
A l’inverse, les Syriens sont nombreux, parmi les forces engagées contre le régime de manière plus ou moins unifiée, à vouloir protéger ce qui leur apparaît à la fois comme « leur patrimoine » et comme « la contribution de leur pays à l’Histoire de l’Humanité ». Malheureusement, ils ne sont que peu et mal écoutés.
Alors que l’un des trésors de la région risque aujourd’hui d’être emporté par la vague de violence et de sang qui recouvre la Syrie, il y a mieux à faire que s’interroger sur les dispositions du régime à l’égard du patrimoine architectural, car il n’en a cure ! Au contraire, il en fait un objet de chantage, avançant ou reculant ses troupes non pour des questions tactiques comme il aime à le dire, mais bien pour susciter une potentielle destruction légitimant de sa part de nouveaux bombardements au baril. Il faut donc mobiliser tous les moyens disponibles pour favoriser au plus vite la reprise du contrôle de Palmyre par ses habitants et par les forces révolutionnaires. Il faut surtout reconnaître que la solution à la crise syrienne ne passe pas d’abord par le règlement du problème posé par l’Etat islamique, mais par la conquête de Damas et par la chute de ceux qui s’y cramponnent au pouvoir, sans autre horizon que leur propre survie. Hier déjà, les troupes révolutionnaires du Qalamoun attestaient de leur envie de se battre pour Palmyre et pour sa protection.
La sauvegarde du site de Palmyre passe par la conquête de Damas… et non l’inverse.
* Chercheur sur l’Irak et la Syrie