Par Philippe Gelie
Bloqués depuis des mois à Misrata et sur le front de l’Est, à Brega, chassés par les forces de Kadhafi de la route côtière qui mène vers la Tunisie, à l’Ouest, les rebelles libyens ont en revanche progressé ces dernières semaines au sud de Tripoli, dans les montagnes du Djebel Nefousa. Ils le doivent à une action de la France restée secrète jusqu’ici : le parachutage d’armes «en quantité importante» aux tribus berbères de cette région entrées en guerre contre le régime. Selon Paris, ce front Sud constitue désormais l’un des meilleurs espoirs de la coalition occidentale pour «faire la jonction» avec les mouvements d’opposition encore dormants dans la capitale et provoquer un soulèvement de Tripoli contre le clan du dictateur.
Constatant, au début du mois de mai, le risque d’impasse militaire, la France a décidé de procéder directement à des parachutages d’armes dans le Djebel Nefousa : lance-roquettes, fusils d’assaut, mitrailleuses et surtout missiles antichars Milan. Jusque-là, les armes acheminées aux rebelles provenaient du Qatar et d’autres émirats du Golfe. Elles étaient convoyées par avion à Benghazi, siège du Conseil national de transition (CNT) à l’Est, puis par bateau jusqu’au port de Misrata, ville côtière prise en étau par les forces loyales au régime. Si l’armée française a décidé de s’impliquer sans intermédiaires – et sans la coopération de ses alliés, même britanniques – dans l’armement des rebelles au Sud, c’est «parce qu’il n’y avait aucune autre façon de procéder», confie une source haut placée. Notamment, les Français sont équipés d’un système unique de largage : amarrée à un petit parachute, la cargaison tombe exactement à l’endroit visé ; à 200 m du sol, une plus grande toile se déploie pour amortir l’atterrissage.
Deux aérodromes de fortune
Grâce à ces renforts en armement, les rebelles sont parvenus à sécuriser une vaste zone qui va de la frontière tunisienne jusqu’aux abords de Gharian, verrou stratégique à une soixantaine de kilomètres au sud de Tripoli. Le Figaro a pu consulter une carte estampillée «DGSE Confidentiel défense», qui montre les localités de Nalout, Tiji, al-Jawsh, Shakshuk et Yafran comme autant de conquêtes passées aux mains des forces insurgées. Dans ce territoire, les Berbères ont pu aménager deux pistes d’atterrissage de fortune, permettant à de petits appareils venus du Golfe arabique de prendre le relais des livraisons d’armes françaises.
Jusqu’ici, les rebelles du front Sud ont principalement progressé d’ouest en est, sur une ligne de crête qui leur donne l’avantage du terrain. Le moment décisif approche, lorsqu’il leur faudra descendre dans la plaine aride pour affronter les forces de Kadhafi équipées de chars et d’armes lourdes. Mardi, ils ont marqué un point en s’emparant d’un important dépôt de munitions en plein désert à 25 km au sud de Zenten. Une colonne envoyée à la rescousse par le régime a été prise en embuscade et trois de ses véhicules ont été détruits, selon les rebelles.
La décision française d’armer les insurgés procède du même calcul que celle de faire entrer en action ses hélicoptères à Misrata : donner un coup de pouce afin de sortir d’une situation bloquée. En elle-même, cependant, elle n’a pas encore renversé le cours de la guerre. Mais le calcul des Occidentaux repose clairement sur une issue plutôt militaire que diplomatique. «Si les rebelles parviennent jusqu’aux abords de Tripoli, la capitale ne manquera pas de se soulever contre Kadhafi, veut croire un haut responsable français. Les mercenaires du régime ne sont plus payés et à peine nourris, il y a une sévère pénurie d’essence, la population n’en peut plus.» En prévision du «grand soir», l’Otan a bombardé les miradors qui entourent la forteresse présidentielle de Bab al-Aziziya, ainsi que les centres de commandement de la police secrète et des services de renseignement.