Alors que l’Union européenne affronte une grande secousse géopolitique et existentielle suite au référendum britannique, son flanc Sud est toujours affecté par la crise des réfugiés.
L’Union européenne connaît sa plus grave crise de réfugiés depuis la Deuxième guerre mondiale. Selon les données disponibles, plus de 885 000 personnes ont franchi illégalement les portes de l’Europe en 2015 et près de 206 000 supplémentaires depuis le début de l’année. Un afflux qui n’est pas près de tarir alors que la guerre en Syrie continue de faire rage. Face à ce phénomène, les valeurs prônées par les institutions européennes et leurs dirigeants sont mises à rude épreuve.
L’accueil et l’installation des réfugiés dans les pays européens provoquent un repli identitaire et nationaliste de l’Autriche au Royaume-Uni. Aux portes sud de l’Europe, la Turquie et la Grèce sont en première ligne dans la gestion de cette crise. Le président Erdogan s’en sert de levier pour asseoir son influence et pratique un chantage envers Berlin et Bruxelles. En échange d’un verrouillage de sa frontière maritime, il cherche à obtenir des privilèges (libération du régime des visas pour ses citoyens voulant entrer dans l’espace Schengen) afin de conforter sa popularité et son image.
Failles sérieuses
La Grèce se remet difficilement de sa crise financière et subit de plein fouet les effets de l’afflux des réfugiés. Elle est devenue un foyer du transit. Des failles sérieuses sont observées dans les procédures liées au système d’asile. La pression migratoire s’est accrue depuis que, mi-février, les pays de l’Est ont commencé à fermer la « route des Balkans » vers l’Allemagne. Le Premier ministre, Alexis Tsípras, affronte une crise humanitaire (accueil de dizaines de milliers de personnes). Les analystes redoutent une déstabilisation sociale, économique, voire politique, de la Grèce.
En Grèce, la gestion de l’hébergement des réfugiés est assez calamiteuse, notamment dans la région de Skaramangas où près de 3 000 réfugiés sont entassés dans des camps
Jusqu’à présent, Ankara et Athènes éprouvent des difficultés à gérer ce dossier. Il est très difficile de savoir combien de réfugiés sont sur le territoire turc, officiellement 2,7 millions, plutôt entre 4 et 5 millions pour les ONG. En Grèce, la gestion de l’hébergement des réfugiés est assez calamiteuse, notamment dans la région de Skaramangas où près de 3 000 réfugiés sont entassés dans des camps. Le ministère de la Défense a promis que cette situation était temporaire. Des milliers de personnes se trouvent à proximité des camps militaires, des chantiers navals et d’autres lieux d’intérêt surveillés par les forces de sécurité..
Menaces
Bien que l’Europe assume toujours le sauvetage de la Grèce, le populiste ministre grec de la Défense, Panos Kammenos provoque bel et bien l’Europe lorsqu’il martèle que « la Grèce va inonder le continent de jihadis et d’immigrés ». A un tournant où le gouvernement grec avait du mal à convaincre la zone euro et le Fonds Monétaire International de continuer le sauvetage financier, Panos Kammenos n’hésite pas et fait recours au chantage. Il miroite la possibilité de déclencher une « vague de millions de migrants économiques et de djihadistes vers l’Europe » si « la zone euro laissait la Grèce faire faillite ». Kamenos disait clairement qu’il « donnerait des documents de voyage de l’UE aux immigrés illégaux qui traversent ses frontières ». On prend cette menace au sérieux car actuellement de milliers d’immigrés clandestins et de réfugiés sont détenus dans des centres grecs.
Les derniers attentats commis au nom de l’État islamique en Europe ont montré que certains djihadistes avaient transité par la Syrie, la Turquie et la Grèce. La crise migratoire est donc aussi devenue une préoccupation sécuritaire pour les pays du Vieux continent. Au passage, signalons que les manquements à la sécurité en Grèce ont été désastreux pour l’Europe. À la suite des attentats à Paris de novembre 2015, il est établi que deux terroristes affiliés à DAECH ont été autorisés à voyager à partir de la Grèce.
Le risque de la dérive à Athènes se manifeste par le non – respect de la solidarité européenne et atlantique, en effectuant un rapprochement énigmatique avec la Russie de Vladimir Poutine. Sur un plan plus vital pour la sécurité grecque et européenne, la promotion de liens avec la Russie n’observe pas les engagements européens et atlantiques d’Athènes. Récemment, Panos Kammenos a signé un accord avec la Russie pour la production des fusils kalachnikovs. Bien que les sanctions européennes à l’encontre de Moscou contiennent le danger, les milieux européens s’inquiètent de « jeux dangereux » comme la tentative de « vendre les chantiers navals helléniques à la Russie ». A Bruxelles, on soupçonne un courant au sein du gouvernement grec de vouloir user du lien avec la Russie comme un outil politique contre les alliés européens et Washington, qui ont des enjeux stratégiques considérables ainsi que des intérêts commerciaux dans ces chantiers navals. Rappelons que ce même Kammenos a frayé la chronique en Europe lorsqu’il a défendu l’action de la Russie en Ukraine. Kammenos et ses pairs ne caressent – ils pas l’espoir de construire une unité politique orthodoxe loin des intérêts occidentaux ?
Afin de lever les ambiguïtés, il est urgent que la Grèce s’explique et souligne sans détours son positionnement géostratégique.
khattarwahid@yahoo.fr