George Sabra: «On torture pour détruire les gens»

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INTERVIEW: Le Syrien George Sabra, figure de l’opposition au régime d’Al-Assad longtemps emprisonné, appelle à une aide internationale de toute urgence.

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Membre du secrétariat général du Conseil national syrien (CNS, qui réunit les principaux courants de l’opposition) et codirigeant du parti démocratique syrien (organisation issue du parti communiste syrien et aujourd’hui social-démocrate), George Sabra est un opposant historique du régime syrien qu’il combat depuis trente-cinq ans. Emprisonné pendant huit ans, dont quatre au secret sous le régime de Hafez al-Assad, puis à deux reprises depuis le début de l’intifada syrienne, ce chrétien de 64 ans a été relâché le 19 septembre. Après plusieurs mois de clandestinité, il vient d’arriver en France, dépêché par «l’opposition de l’intérieur» pour remettre de l’ordre au sein d’un CNS qui peine à établir une stratégie et n’est guère à la hauteur de l’enjeu syrien.

Avez-vous été maltraité lors de votre dernière détention ?

Non. J’étais isolé dans une cellule, sans le moindre matelas, mais je pouvais m’allonger. Cela dit, pendant cette période qui a duré deux mois, j’ai vu et entendu les tortures les plus affreuses. Du temps de Hafez al-Assad, on torturait aussi et je l’ai été. Mais c’était pour obtenir des informations. A présent, on torture des jeunes gens qui ne faisaient que manifester et uniquement pour détruire leur personnalité, leur humanité, briser leur dignité. Songez qu’on entasse 300 personnes dans une seule cellule, les prisonniers ne disposant que d’un demi-mètre carré. Il faut donc que les détenus organisent des rotations pour pouvoir dormir. Pendant qu’un tiers d’entre eux est allongé, un autre tiers est assis et le dernier se tient debout. Chaque rotation est de deux heures. Et pour ces 300 prisonniers, il n’y a qu’un WC, ce qui veut dire des heures et des heures d’attente. Aller aux toilettes devient un rêve.

Pourquoi avez-vous été arrêté?

Ils voulaient m’empêcher de pousser les gens à descendre dans la rue. Alors que le régime s’emploie à séparer les chrétiens, les Kurdes, les druzes et les sunnites, je faisais de mon mieux pour encourager ces minorités à participer à l’intifada. Quand la sécurité militaire m’a arrêté, les policiers m’accusaient de vouloir créer un émirat islamique à Qatana [la ville de l’opposant, près de Damas, ndlr]. Dans ma seule famille, pas moins de trois autres personnes ont été arrêtées : un fils, un frère et un neveu.

Comment s’est passé votre départ hors de Syrie ?

Avant d’être arrêté sous Hafez, j’ai vécu trois ans en me cachant, donc je suis habitué à la vie de clandestin. En sortant de prison, je suis retourné dans la clandestinité, craignant qu’ils cherchent à me tuer. Quitter la Syrie n’a pas été facile. Je suis passé par la Jordanie mais une demi-heure avant et après mon passage, il y avait des tirs à cet endroit. En plus, depuis 1979, le régime m’avait privé de papiers. Heureusement, l’ambassade de France m’a beaucoup aidé.

Dans l’opposition, les chrétiens sont bien peu nombreux…

Seulement l’élite. Mais il y a eu des pas en avant faits par les patriarches orthodoxes et latins. Mgr Grégoire Laham vient de déclarer qu’il n’était lié à aucun régime.

Quelles sont vos relations avec l’ASL, l’Armée syrienne libre ?

La révolution est le fait de trois entités : les gens qui défilent dans la rue et constituent la force la plus importante, le CNS, auquel revient le rôle politique, et l’ASL, qui a la mission spécifique de nous protéger. Il nous faut discuter avec l’ASL, car je doute qu’elle comprenne que l’avenir de la Syrie, c’est la démocratie. Un homme avec une arme, ce n’est plus un civil. Nous nous employons à avoir de bonnes relations avec son leadership. Mais sans zones de repli, elle n’a aucune chance face à une armée d’environ 500 000 hommes. Il faudrait qu’elle ait un territoire sous son contrôle afin que les déserteurs puissent s’y regrouper.

Pourquoi de grandes villes comme Alep ne se révoltent-elles pas ?

Parce que le régime obtient le silence par l’argent, en versant les salaires. Et puis, ses alliés l’aident. Hugo Chávez [le président vénézuélien]a acheté 2 millions de mètres carrés de rideaux aux commerçants d’Alep, Bagdad y a envoyé des hommes d’affaires et l’armée irakienne y fait confectionner ses uniformes…

Sur le plan diplomatique, jusqu’où est prêt à aller le Conseil national ?
Nous avons soutenu le plan de la Ligue arabe, mais le régime lui a claqué toutes les portes au nez. Notre espoir, c’est l’ONU, à travers peut-être l’envoi de Casques bleus. Puisqu’ils mènent des missions à travers le monde, pourquoi n’interviendraient-ils pas en Syrie, qui est l’un des 42 Etats fondateurs des Nations unies ? Le peuple syrien mérite d’être protégé par l’ONU.

Aucun doute que la révolution gagnera ?

Je ne peux imaginer qu’une révolution soutenue par les monde occidental, arabe et islamique ne l’emporte pas. La question, c’est dans combien de temps et à quel prix ? Il faudra encore quelques mois, ou quelques semaines.

Reste que les défections au sein du régime sont rares…
Très rares. Deux députés seulement. Mais c’est parce que les gens ont peur. Ils se souviennent des éliminations d’opposants, même à Paris où le régime avait fait tuer [l’ex-Premier ministre] Salah Bittar.

Une guerre civile n’est pas à craindre?

Je ne le crois pas. Cela fait dix mois que la révolution a débuté et elle n’est toujours pas en vue. Le peuple n’a pas oublié l’Irak et le Liban.

Quel va être votre rôle à présent ?

Mon parti m’a envoyé ici pour aider le CNS, pour qu’on y travaille en équipe. Burhan Ghalioun [le président du Conseil national syrien]est un homme parfait, mais c’est un universitaire, pas un politique. Et il n’a pas l’habitude de travailler avec les autres. Nous devons renouveler la façon dont nous prenons nos décisions et régler les problèmes. Par exemple, l’aide aux opposants «de l’intérieur», qui nous ont accordé leur soutien et pour lesquels le CNS n’a pas fait assez. Ils ont besoin de médicaments, de vêtements, de nourriture. Ils attendent une nouvelle approche de notre part, sur le terrain et à l’extérieur, que nous fassions évoluer la position russe par exemple.

Libération

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