De notre correspondante à Beyrouth ISABELLE DELLERBA
«Nous ne comprenons pas comment votre président a pu inviter notre dictateur à assister au défilé du 14 juillet», répètent ces opposants syriens en exil, réunis dans un appartement de Beyrouth. «Pour moi, la France a toujours représenté le pays de la liberté, explique Ahed al-Hendi, 23 ans, en grillant une énième cigarette. Je suis choqué et déçu. Les puissances occidentales disent qu’elles défendent les droits de l’homme, mais en réalité, c’est juste un discours qu’elles utilisent pour faire pression sur un pays quand ça les arrange. Au fond, elles s’en moquent pas mal.»
Assis sur le balcon, Mohammad al-Abdallah, un grand gaillard de 25 ans, diplômé en droit, finit par fondre en larmes : «Ma famille est derrière les barreaux et Sarkozy reçoit le criminel à Paris.» Le père de Mohammad, Ali al-Abdallah, journaliste et défenseur des droits de l’homme, a été arrêté en décembre 2007 après avoir participé à une réunion du Conseil national de la Déclaration de Damas, appelant à un «changement démocratique radical» en Syrie. Il risque jusqu’à quinze ans de prison. Son frère, Omar al-Abdallah, 23 ans, étudiant en philosophie, a été incarcéré en mars 2006 pour avoir écrit dans un journal satirique en ligne. Il a été condamné à cinq ans de détention.
«Hystérique». Mohammad al-Abdallah a déjà passé six mois dans les geôles damascènes pour avoir dénoncé les lois d’état d’urgence, en vigueur depuis 1963. «Après le retrait du Liban en 2005, notre régime, qui s’est senti en position de faiblesse, est devenu hystérique et n’a plus supporté aucune voix critique à l’intérieur de ses frontières, explique-t-il, une photo de son père entre les mains. En mars 2006, des hommes des services de renseignements sont venus me chercher chez moi. Pendant trois jours, j’ai été interrogé et battu. Puis j’ai été placé à l’isolement pendant cinquante-cinq jours dans une cellule en sous-sol, sans fenêtre, de 80 cm de long et 1,60 m de large. Finalement, j’ai été transféré dans une prison civile où j’ai été enfermé avec des criminels condamnés pour meurtres.»
Selon Nadim Houry, représentant de Human Rights Watch au Liban : «La situation des activistes n’a cessé de se détériorer depuis 2001.» La plupart des figures emblématiques de l’opposition démocratique, qui avaient profité du printemps de Damas, se sont exilées ou ont été incarcérées ces dernières années. Suite à l’accession au pouvoir de Bachar al-Assad en 2000, après la mort du père, Hafez, qui avait dirigé pendant trente ans le pays d’une main de fer, ils n’avaient pas hésité à prendre la parole et à appeler à la démocratisation «pacifique et graduelle» du régime, via la levée de l’état d’urgence, la suspension des tribunaux d’exception et l’instauration du «droit à la création de partis politiques». «La marge de tolérance du régime est actuellement proche de zéro», dit Nadim Houry. Les autorités justifient les mesures répressives par les menaces qui viendraient de l’extérieur.
«Au début, j’appelais à une démocratisation du régime, aujourd’hui, je pense qu’il est incapable de se réformer. Il faut tout simplement en changer», estime l’ancien député indépendant, Mahmoud al-Homsy, également réfugié au Liban. A l’été 2001, alors qu’il jouissait de l’immunité parlementaire, Al-Homsy a été incarcéré après avoir publiquement critiqué le régime. Ce fut le début de la première vague d’arrestations marquant la fin du printemps de Damas. Deux députés et huit intellectuels seront ainsi condamnés à des peines de prison.
En mai 2006, une deuxième série d’interpellations vise les signataires du manifeste Beyrouth-Damas, Damas-Beyrouth qui appelle à «respecter et consolider la souveraineté et l’indépendance du Liban et de la Syrie dans le cadre de relations institutionnalisées et transparentes». Parmi les personnalités traduites devant la justice, deux grandes figures de l’opposition syrienne : le journaliste et écrivain Michel Kilo, 67 ans, et l’avocat et activiste des droits de l’homme Anwar al-Bunni, 48 ans, condamnés respectivement à trois et cinq ans de prison pour «affaiblissement du sentiment national». Quelques mois plus tard, Amnesty International dénonce les mauvais traitements dont l’avocat aurait été victime. «Anwar al-Bunni […] a été frappé avec brutalité le 25 janvier 2007 à la prison d’Adra par des gardiens qui l’ont aussi contraint à ramper et lui ont rasé les cheveux», affirme l’ONG. Trois semaines plus tôt, il avait été molesté par un détenu de droit commun.
«Big Brother». Dans l’ensemble du pays, les espaces de liberté sont rares. Même Internet est étroitement contrôlé : plus d’une centaine de sites sont interdits dont Facebook, Youtube ou encore Blogspot. Le fils d’un intellectuel, réfugié en France depuis avril, résume en quelques mots sa vision de la Syrie. «Le quotidien de notre peuple, c’est « Big Brother vous regarde ». Les autorités surveillent tout et attention à celui qui ose parler politique ! Il sera harcelé, emprisonné et toute sa famille sera mise au ban de la société.»