L’Égypte menace d’intervenir sur le sol libyen en cas d’avancée des forces soutenues par la Turquie.
Les ambitions régionales turques risquent-elles d’ouvrir un nouveau front dans le conflit libyen? Après la France, la Grèce et l’Otan, c’est au tour de l’Égypte de tirer la sonnette d’alarme. Paniqué par l’avancée des forces du Gouvernement d’union nationale (GNA), soutenu par Ankara, vers l’Est libyen, chasse gardée de Khalifa Haftar, appuyé par Le Caire, le président Abdel Fattah al-Sissi a menacé la Turquie, samedi 20 juin, d’une intervention «directe» de l’Égypte.
La ville de Syrte, ville natale de l’ex-dictateur Mouammar Kadhafi et verrou stratégique menant vers la Cyrénaïque, constitue, a-t-il prévenu, une «ligne rouge» à ne pas franchir. Une menace que le GNA de Tripoli s’est empressé, dès dimanche, de qualifier de «déclaration de guerre».
Cette soudaine escalade opposant Le Caire à Ankara est une nouvelle illustration de l’internationalisation du conflit libyen. Depuis la révolte anti-Kadhafi de 2011 et la chute du dictateur, le pays est plongé dans un chaos inextricable, rendu d’autant plus complexe par l’implication accrue de pays étrangers. Depuis 2015, une lutte de pouvoir y oppose le GNA, basé à Tripoli et reconnu par l’ONU, au maréchal Haftar, qui dit tenir sa légitimité du Parlement élu dans l’Est libyen. Fort de l’appui de la Russie, des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite et de l’Égypte, ce dernier s’était lancé en 2019 dans une offensive sur Tripoli.
Recherche d’hydrocarbures
Mais contre toute attente, l’intervention turque a récemment renversé la donne en chassant, grâce au soutien militaire apporté aux forces du GNA, les hommes de Haftar de la base d’al-Watiya, au sud de la capitale, puis de l’aéroport de Tripoli. Pour Recep Tayyip Erdogan, c’est une victoire majeure. Son succès lui permet de consolider sa présence militaire dans le pays, mais aussi de sauvegarder ses intérêts économiques en vertu d’un accord controversé scellé en novembre avec les autorités libyennes qui lui permet d’effectuer des recherches d’hydrocarbures en Méditerranée orientale.
Mais les ambitions turques suscitent l’inquiétude. Dernier incident en date, l’«illumination» au radar par un navire de guerre turc d’une frégate française en mission pour l’Otan qui voulait contrôler un cargo violant manifestement l’embargo onusien sur les armes. Emmanuel Macron a dénoncé lundi le «jeu dangereux» de la Turquie en Libye et a appelé à ce «que cessent les ingérences étrangères».«Il en va de l’intérêt de la Libye, de ses voisins, de toute la région mais également de l’Europe», a-t-il ajouté.
«Il faut dire aux Turcs: il est temps de s’arrêter. Vous avez réussi à renverser la situation militaire en Libye. Votre objectif était de revenir à la situation d’avant l’offensive de Haftar. Maintenant, ça suffit», confie un diplomate occidental sous le couvert de l’anonymat. Les récentes déclarations égyptiennes semblent aller dans le même sens. «Les Égyptiens ne disposent pas d’intérêts majeurs à Syrte. La ville est en dehors de leur zone d’influence. En fait, les sorties virulentes d’al-Sissi signalent une volonté de préempter toute tentative turque de mettre le cap encore plus vers l’est, où l’Égypte a de véritables préoccupations sécuritaires», relève un expert égyptien.
Si le torchon brûle autant entre Le Caire et Ankara, c’est qu’il ravive un contentieux encore plus profond. Depuis le coup d’État militaire de 2013 contre le président égyptien Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, une véritable guerre idéologique oppose Recep Tayyip Erdogan à Abdel Fatah al-Sissi. Le premier, connu pour avoir certaines affinités avec les «Fréristes» de la région, entretient de bonnes relations avec le gouvernement de Tripoli, qui comporte des figures politiques liées aux Frères musulmans. Le second y voit, a contrario, un dangereux projet islamo-politique qu’il entend éradiquer avec l’appui de ses alliés saoudiens et émiriens. Le ministère des Affaires étrangères d’Arabie saoudite n’a d’ailleurs pas manqué de manifester son «soutien à l’Égypte quant à son droit de défendre ses frontières et son peuple contre l’extrémisme, les milices terroristes et leurs soutiens dans la région».
Mais Ankara campe sur ses positions. Pour les autorités turques, le retrait des troupes du maréchal Haftar de la ville de Syrte constitue une condition préalable à toute trêve. «Un cessez-le-feu doit être viable (…) ce qui veut dire que les forces de Haftar doivent se retirer de Syrte et d’al-Joufra», a déclaré à l’AFP le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin. À l’initiative du Caire, les pays membres de la Ligue arabe doivent tenir, ce mardi, une visioconférence sur la Libye. Le GNA a d’ores et déjà annoncé qu’il ne participerait pas à la réunion, initialement prévue lundi.