En Arabie saoudite, les femmes aux urnes mais sans illusions

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 Par Benjamin Barthe (Riyad, envoyé spécial)

C’est comme un cri du cœur. Quand on lui demande à la sortie d’un bureau de vote de Riyad si elle a voté pour un homme ou pour une femme, Thuraya Al-Gamidi, employée d’un cabinet d’avocats, lâche avec un immense sourire de jubilation : « Une femme, évidemment ! Il y avait 46 candidats dont 24 hommes, mais je n’ai pas jeté un seul coup d’œil à leurs noms. Désolé pour eux. Il est temps que notre voix soit entendue. »

Samedi 12 décembre, pour la première fois de leur histoire, les Saoudiennes ont participé à une élection. Le troisième scrutin municipal organisé dans le royaume, après ceux de 2005 et 2011, était ouvert aux femmes, non seulement comme électrices mais aussi comme candidates. Au pays des deux mosquées sacrées (La Mecque et Médine), régi par les préceptes ultrarigoristes de l’islam wahhabite, cette première a pris des proportions très modestes. À l’issue de la phase d’enregistrement, qui s’est déroulée cet été, seulement 130 000 femmes avaient pris leur carte d’électrice et 1 000 avaient fait acte de candidature.

Six fois plus de candidats hommes

Du côté des hommes, qui ont deux consultations d’avance, on comptait 1,3 million d’électeurs et 6 000 candidats. Des chiffres très bas rapportés aux 20 millions de Saoudiens, mais en accord avec la théorie du changement à petits pas, défendue par les autorités. « C’est un résultat relativement acceptable », voulait croire samedi matin Gedaya Al-Kahtani, le chef de la commission électorale, devant un parterre de journalistes étrangers. « Nous sommes optimistes. Nous espérons que des femmes seront élues. Et la participation sera encore meilleure au prochain scrutin. »

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Sur le parking du centre social du roi Salman, une institution de charité transformée en bureau de vote, les reporteurs, convoyés dans un bus du ministère de l’information, se disputent les rares électrices qui sortent du bâtiment. « Les hommes élus lors du précédent scrutin n’ont rien fait pour nous, assène Fahda Al-Ruweily, une élégante trentenaire, en lunettes noires et abaya brodée de blanc, chef de département au ministère de la santé. C’est bien que nous puissions, désormais, choisir nos propres représentantes. »

La faible participation attriste Souad Al-Kolaiby, une femme au foyer, qui s’exprime dans un anglais délié. « Nous sommes un pays jeune, nous n’avons pas de culture du vote. Et des segments de la population sont opposés à cette évolution. Ils refusent que les femmes acquièrent un rôle dans la société. » Thuraya Al-Gamidi, qui vit dans ce quartier cossu de Riyad, renchérit : « Moi, j’ai trois ou quatre chauffeurs à la maison. Je n’ai pas de problème pour me déplacer. Mais qu’en est-il des femmes pauvres ? Comment peuvent-elles aller voter. »

Le système D pour aller voter

Dans la très prude Arabie, les femmes sont, en effet, maintenues dans un statut de quasi-mineures. La doctrine wahhabite, verrouillée par un clergé omniprésent, les oblige à requérir l’aval de leur tuteur – père, mari ou frère – pour des gestes anodins de la vie quotidienne comme signer un contrat de travail ou voyager à l’étranger. Elle leur interdit aussi de conduire. Pour contourner cet obstacle, une association de promotion du vote des femmes, Al-Nahda, a noué un partenariat avec Uber. Le service de chauffeur avec réservation sur smartphone, honni des taxis parisiens, est très prisé par les Saoudiennes de la classe moyenne, à qui il accorde une autonomie inespérée. Durant la journée de vote, la compagnie offrait des courses gratuites à toutes les femmes désireuses d’aller accomplir leur devoir électoral.

Mais pour Thuraya Al-Gamidi, ce système D, auquel les Saoudiennes qui mènent une vie active doivent recourir en permanence, n’est plus tenable. « Entre nous, dit-elle en baissant la voix sur le parking du centre social, j’aurai préféré que le gouvernement abolisse le système de la tutelle plutôt que de nous donner le droit de vote. Je veux être libre. Je conduis partout dans le monde. Pourquoi ne puis-je pas le faire dans mon propre pays ? »

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Noura partage ce point de vue. « Il faudrait lever la tutelle à 21 ou 22 ans, quand on finit nos études. A cet âge-là, on est adulte. » Cette femme de 27 ans, analyste financière, fait partie de ces Saoudiennes de la haute société, qui se permettent quelques coquetteries dans leur tenue, comme une frange de cheveux qui dépasse du voile ou une abaya colorée. Plutôt que d’aller voter, elle est finalement restée chez elle toute la matinée avant de partir déjeuner dans un café de l’avenue Tahlia, les Champs-Elysées de Riyad, jalonnée de palmiers et de boutiques de luxe. « Je ne crois pas trop à cette élection. Cela ne changera rien, pas maintenant en tout cas. Chez nous, tout avance lentement. Personne ne veut de révolution. »

Un homme sort d’un bureau de vote de Fatima Al-Zahra, un quartier de la classe moyenne. Agé de 50 ans, instituteur, Salah Al-Nefissa explique qu’il a voté « pour un homme, évidemment ». Il se dit favorable au vote des femmes, mais reconnaît qu’aucune de celles vivant sous son toit ne s’est inscrite sur les listes électorales et assure que le travail de conseiller municipal n’est pas fait pour elles. « Elles ne sont pas suffisamment disponibles », tranche-t-il. Interrogé sur ce qu’il penserait d’une abolition de la tutelle, il lève les yeux au ciel. « Impossible, dit-il. C’est dans le Coran. Les hommes doivent être les gardiens des femmes. »

Une première femme élue

Dimanche, la Commission électorale locale a annoncé l’élection d’une Saoudienne dans la région de La Mecque, lors de ces premières élections ouvertes aux femmes, électrices et candidates. Salma Bent Hizab Al-Oteibi siégera au conseil municipal de Madrakah, localité de la région de La Mecque, premier lieu saint de l’islam, a précisé le président de la commission électorale locale, Oussama Al-Bar, en annonçant les premiers résultats du scrutin municipal à l’agence officielle SPA.

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