Tangi Salaün
Candidate malheureuse aux récentes élections législatives, issue d’une grande famille égyptienne, Mona Makram Ebeid plaide pour une participation p lus active des coptes en politique. Seul moyen, se lon elle, de redonner sa place à la plus importante minorité chrétienne du Proche-Orient.De notre correspondant au Caire
Le Figaro Magazine – Avec seulement 3 élus sur 508 sièges, les coptes sont une nouvelle fois les grands absents à l’Assemblée égyptienne, alors qu’ils représentent près de 10% de la population. Comment l’expliquez-vous?
Mona Makram Ebeid – C’est précisément inexplicable. Ces dernières années, le pouvoir a reproché aux coptes de rester isolés, de ne faire aucun effort de participation politique, ce qui n’est pas bon pour la société. Mais le pouvoir ne fait rien pour que la situation change ! Le PND (1) n’a sélectionné que 10 coptes sur près de 800 candidats pour les législatives. Quel signal veut-il envoyer, alors que le pays connaît des tensions religieuses sans précédent ? Mon cas est emblématique : j’ai tenu à participer aux élections pour casser la mentalité de repli sur soi qu’ont adoptée les coptes depuis de nombreuses années, parce qu’ils se sentent traités en citoyens de seconde classe. J’ai voulu leur montrer qu’il ne faut plus se laisser faire. Mais le PND a manipulé les résultats en inversant les urnes pour me faire battre. Le message que fait passer le pouvoir aux chrétiens est donc clair : vous ne devez pas participer aux élections. On vous nomme (2), mais vous ne pouvez pas être élus. C’est humiliant.
Un rapport du Département d’Etat américain vient de dénoncer la «persécution» des coptes. Est-ce le cas?
Le mot persécution est mal choisi. Il y a plutôt des discriminations, comme la sous-représentation des chrétiens dans toutes les institutions officielles ou la difficulté à obtenir une autorisation pour construire ou restaurer une église. Cela fait vingt ans, par exemple, que la communauté propose en vain l’adoption d’une loi qui fixe les mêmes règles pour tous les édifices religieux. Le système éducatif aussi est désastreux, car il occulte l’histoire copte et n’inculque plus aucune valeur de tolérance ou de citoyenneté. Cela dit, les coptes passent beaucoup de temps à se plaindre, alors qu’ils devraient s’engager davantage en politique afin de peser sur le cours des choses, malgré tous les obstacles qu’ils rencontrent.
Quels sont ces obstacles?
C’est surtout l’exacerbation des tensions provoquée par des sectes. On m’a beaucoup découragée de me présenter en me disant que ma circonscription, dans le nord du Caire, est un bastion électoral des Frères musulmans. Mais je n’ai ressenti sur le terrain aucun signe de rejet, bien que la majorité soit musulmane. Il faut dire que mon nom m’aide beaucoup, car il est respecté par les deux communautés. Mais cela montre aussi que cette tension est fomentée et instrumentalisée par certains.
A qui faites-vous allusion?
Je pense aux salafistes, qui sont de plus en plus influents et auxquels le pouvoir n’a pas voulu ou su mettre le holà. Nous n’avons jamais vu, dans l’histoire de l’Egypte, une telle violence interreligieuse. Nous n’avons jamais vu un gouvernement qui ne résout aucun problème, ni pour la construction des églises ni pour les diatribes ou les violences antichrétiennes.
Etes-vous inquiète pour l’avenir de la communauté copte?
Beaucoup de jeunes me disent qu’ils ne se sentent plus à leur place en Egypte et qu’ils veulent émigrer. C’est une période de malaise profond, de frustration, de colère aussi, car la jeune génération ne veut plus subir sans réagir. Mais je veux croire que tout cela est encore réversible, avec l’adoption d’un système démocratique plus ouvert, sans peur, où chacun saurait que l’Etat de droit est respecté. L’Egypte aurait bien besoin de revenir au principe fondateur du Wafd : «La religion est à Dieu et la patrie à tous.»-
(1) Parti national démocratique (le parti au pouvoir).
(2) Le Président, Moubarak, choisit traditionnellement 5coptes sur son quota de 10députés nommés hors de l’élection