Les citoyens libanais ont pensé avoir atteint le fond de l’abîme.
Ils pataugent, à leur corps défendant, dans les eaux saumâtres et putrides de leur faillite économique et financière dont la responsabilité incombe à la classe politique dirigeante qui étale vulgairement les conséquences néfastes de toutes ses nuisances criminelles à l’égard de la population et du pays. Cette classe politique a non seulement organisé le pillage systématique du trésor public et des dépôts bancaires privés mais elle a sciemment et volontairement aliéné la souveraineté de l’Etat afin de protéger la sordide corruption dont elle profite à titre privé et qui mine un pays exsangue qu’elle ne cesse de vampiriser. La tutelle étrangère et la corruption se nourrissent l’une l’autre. Elles forment un couple inséparable ou une paire jumelle de fléaux. La tutelle étrangère laisse faire la corruption interne, et la corruption ne peut que ménager et perpétuer la tutelle.
On le savait, on le murmurait, on en parlait. On évoquait cette dramatique situation dans les interminables joutes oratoires des shows télévisuels ainsi que sur les réseaux sociaux. Nul n’osait avancer des preuves concrètes de cette double collusion malsaine. Le mouvement citoyen du 17 octobre, lui-même, n’a pas osé s’attaquer directement à la tutelle et la dénoncer clairement. Il s’est contenté de s’en prendre à la corruption, aux corrupteurs et aux corrompus sans évoquer le partenaire indispensable qui a laissé faire toute cette faune, à savoir le « tuteur », puissamment armé de surcroît.
Quand le système bancaire s’effondra et que l’argent péniblement acquis s’est retrouvé séquestré par les banques commerciales, le peuple n’a eu d’autre choix que de se résigner à cette situation de facto. Quand l’énigmatique premier ministre déclara que l’Etat ferait défaut à ses engagements de débiteur, le peuple réalisa enfin que le pays avait atteint le huitième cercle de l’enfer de Dante, là où les damnés se consument pour l’éternité la tête enfoncée dans le sol de l’abîme.
Nul ne pouvait imaginer que l’enfer pouvait comporter un neuvième cercle, encore plus profond, invisible, impalpable, plus ravageur, presque subtil ; là où résident les forces souterraines les plus sombres de la nature : les grands fléaux qu’on pensait oubliés à jamais grâce aux triomphes incontestés du progrès médical et des biotechnologies. Ivres de croissance et de progrès, nous dormions gentiment sur nos oreillers où pullule toute une vermine qui, à notre grande surprise, peut engendrer des créatures inattendues comme ce nouveau virus Coravid-19 qui, en quelques jours, a cassé net un certain ordre du monde. La nature vient de se rappeler à notre bon souvenir. Plus rien ne sera comme avant. Nous entrons dans un nouveau mode de civilisation.
La classe politique libanaise, peu soucieuse du bien commun, a poursuivi pendant ce temps ses « corona-turpitudes » traditionnelles. On l’a vu dans l’affaire de la fermeture de l’espace aérien avec l’Iran ; de celle de la salutaire collaboration avec le FMI pour tenter de sauver ce qui peut l’être d’une économie réduite à l’ombre d’elle-même ; sans oublier l’instauration de l’état d’urgence pour faire face au fléau, mais qui dérange ceux qui ne reconnaissent pas la souveraineté de l’armée libanaise qui devrait en principe appliquer une telle mesure. Il n’y a plus au Liban que les grands naïfs et les petites gens de mauvaise foi pour continuer à nier ce qui est évident : le pays est pris en otage depuis belle lurette par le régime des mollahs de Téhéran sans oublier les officines du régime syrien qui revient en force à Beyrouth.
Ainsi, les miasmes morbides du Covid-19 ont eu une conséquence inattendue. Ils ont fait tomber le masque qui dissimulait mal le faciès de la tutelle étrangère. En situation de tutelle politique, le « mineur » est au service de son « tuteur » et non l’inverse comme en pédagogie. On peut prédire, déjà, que l’après-Corona connaîtra une révolte plus déterminante, libérée de toute velléité de ménager qui que ce soit, qui saura pointer son index accusateur dans la bonne direction et qui dénoncera ouvertement le « tuteur ».
Mais ceci est l’affaire de demain. Aujourd’hui il faut lutter tous ensemble contre le fléau microbien. Demain est un autre jour. Les jeunes générations du Liban sauront quoi faire, à l’instar d’Hercule, pour nettoyer leur pays que les deux partenaires du fléau politique « tutelle-corruption » ont transformé en écuries d’Augias.
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