Dans un livre à paraître le 18 avril, l’ancien homme d’Eglise, qui a exercé dix-sept ans à Lyon jusqu’à fin 2016, plaide pour la fin du célibat obligatoire des prêtres.
Par Cécile Chambraud
Une alliance d’or jaune brille à sa main gauche. David Gréa, prêtre lyonnais pendant dix-sept ans, curé non conformiste de la paroisse Sainte-Blandine-Lyon-Centre jusqu’à ce qu’il choisisse, en 2017, la vie de couple, fêtera dimanche 15 avril sa première année de mariage avec Magalie. Depuis un an, témoigne-t-il, il vit « une grande joie » dont fait partie leur bébé de six mois, Léon, sa varicelle et ses dents qui poussent.
A 48 ans, ce fils d’une famille ancrée dans le catholicisme social lyonnais est aussi en pleine reconversion – professionnelle s’entend. Pour un prêtre en rupture de ban, cela n’a rien d’aisé : « On perd tout : son statut, sa sécurité, son réseau. » Il a opté pour une formation de coach : « D’une certaine manière, je continue ce que j’ai appris à faire. »
Bien d’autres prêtres avant lui se sont mariés et ont quitté les ordres. Ce qui distingue son histoire, c’est qu’il aurait ardemment voulu rester prêtre, bien que marié.
Reçu par le pape François
Le 18 avril, il publiera un livre (Une vie nouvelle : prêtre, marié, heureux, Les Arènes, 300 p., 18 euros) qui plaide pour la fin du célibat obligatoire des prêtres. Il refuse cependant d’être vu comme un militant. « La militance, explique-t-il, ce serait me mettre frontalement face à l’Eglise, alors que moi, je me sens de l’Eglise. Je pense que les choses doivent évoluer, je le sens dans mes tripes, dans mon histoire, mais j’aime et j’honore cette Eglise. Je prends tout ! Ce qui me plaît et ce qui me plaît moins. »
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Pour plaider sa cause, et par l’entremise du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, David Gréa a rencontré deux fois le pape François, en janvier 2017, après sa décision de se marier. La seconde fois, sa femme, protestante, l’accompagnait.
Le pontife argentin, qui réfléchit de son côté à la possibilité d’ordonner des hommes mariés, les a écoutés. Il a écarté d’éventuelles solutions bricolées, comme de les placer sous la tutelle d’une Eglise orientale, qui admet les prêtres mariés, et leur a dit que, plus qu’une solution au cas d’espèce, il fallait « chercher le chemin qui mène à la solution ». En attendant, il leur a recommandé de « demeurer dans la patience de Dieu ». « Son écoute incroyable m’a laissé penser qu’il ne fait pas rien de mon témoignage », sourit aujourd’hui David Gréa. « Si [Dieu] veut agir par moi, que Sa volonté soit faite », avait-il écrit à sa future femme.
« Réduction à l’état laïc »
Depuis son départ de Lyon, l’ancien prêtre avait évité les médias. Le 19 février 2017, ses paroissiens avaient appris son choix de vie par une lettre lue à la messe par le vicaire général du diocèse. Le cardinal Barbarin, à qui il s’était ouvert de son intention de se marier, lui avait demandé de prendre quelques mois de réflexion – de discernement, disent les catholiques –, loin des journées si remplies de la vie de prêtre. Il lui avait aussi interdit de célébrer la messe dorénavant.
David Gréa s’était marié dans la foulée, jugeant avoir suffisamment mûri sa décision avec Magalie, rencontrée un an plus tôt. Depuis, il a été déchu de son ministère. Il n’est plus le père David et il ne peut plus dire la messe. C’est ce que l’Eglise appelle, d’une expression fleurant le cléricalisme, une « réduction à l’état laïc ».
L’annonce du choix du père David avait fait d’autant plus de bruit qu’à Lyon il prenait la lumière. Avec une équipe de laïcs, il avait révolutionné la vie des paroisses dont il a eu la charge, dans le centre bourgeois d’abord, puis à Sainte-Blandine, située dans le quartier en mutation de Confluence, à partir de 2011.
La pop louange, une révélation
A son arrivée, il avait éprouvé la course effrénée d’obligations qu’affrontent des prêtres de moins en moins nombreux, mais dont les paroissiens semblent tout attendre. « J’enrage d’aller de réunion en réunion et d’avoir l’impression que les gens à la fois attendent beaucoup, et se contentent de peu », raconte-t-il. Comment rendre audible le message chrétien au-delà des assemblées maigres et vieillissantes des fidèles de toujours ? L’épuisement guette.
Une rencontre va provoquer un déclic, celle de Benjamin Pouzin, fondateur, avec ses deux frères, du groupe Glorious, qui compose et chante des chansons à la gloire de Dieu dans un style contemporain, ce que l’on appelle de la pop louange. Le musicien lui fait connaître les célébrations de l’Eglise évangélique australienne Hillsong, qui draine des foules à des célébrations ferventes et musicales, avec une dimension festive et spectaculaire marquée.
Pour David Gréa, pourtant « très monastique dans [son] approche » de la liturgie, c’est une révélation. « Le contraste avec nos assemblées aux chants mous, aux liturgies répétitives et aux visages sans joie et vieillissants était saisissant », écrit-il dans son livre. Il en tire la conviction que, pour annoncer l’Evangile, il faut parler le langage d’aujourd’hui. Les cultes des évangéliques le laissent spirituellement un peu « sec », mais il leur reconnaît une force : « Ils parlent le langage de ce temps aux gens de ce temps. Pour des gens qui découvrent la foi aujourd’hui, c’est exactement ce qu’il faut. »
Sentiment de solitude
Avec le groupe et une poignée de laïcs énergiques, il décide de révolutionner cette placide communauté qui ronronnait un peu, avec ses « 100-150 paroissiens, assez âgés, certains super-investis ». Peu de jeunes, encore moins de nouveaux venus, de maigres assistances aux offices de cette paroisse d’un quartier en plein bouleversement urbain.
La pop louange est placée au cœur des célébrations. « On change la déco, le son, le langage », résume-t-il. Certains des anciens tentent bien de « faire barrage », mais « on n’arrête pas le vent de Dieu », dit-il en souriant. Des messes de semaine, des soirées de louange pensées pour les jeunes renouvellent le public. Les gens affluent. A la dernière messe de Noël qu’il a célébrée, fin 2016, 2 700 personnes se pressaient dans la patinoire Lyon-Charlemagne, tandis que 1 500 autres n’avaient pu entrer, faute de place.
Ce tourbillon ne dissipe cependant pas le sentiment de solitude qui s’empare de lui le soir. « J’étais heureux le jour dans mon ministère et triste le soir dans la solitude », écrira-t-il au pape François. Il n’a jamais aimé vivre seul. En outre, la tentation d’une vie de couple le taraude, notamment depuis une relation amoureuse, en 2011.
« La vie de mari et de père illumine l’Evangile »
« Lorsque l’on est au séminaire, explique David Gréa, on y vit le célibat dans un temps propice à bien le vivre. Ce qu’on veut avant tout, c’est être prêtre. Le célibat, c’est une question qui ne vient qu’en second. Et puis l’Eglise nous promet qu’on aura un don pour nous aider. »
Des formateurs leur parlent de la difficulté à le vivre et évoquent les divers moyens pour l’affronter. « Si vous vivez mal le célibat, il vaut mieux prendre femme que bouteille, car avec une femme vous avez un vis-à-vis, pas avec la bouteille », leur dit même l’un d’eux. Quatre ans de psychanalyse l’aident à y voir clair. La rencontre avec Magalie fait le reste.
Depuis un an, il a suivi sa femme en région parisienne. Il a découvert la vie de couple. « Ce que je vois, c’est que la vie de mari et de père illumine l’Evangile. Je me dis que, si je pouvais prêcher, j’aurais plein de choses nouvelles à dire. Et j’espère pouvoir le faire un jour. »
Il fréquente une église « comme un paroissien lambda » et il a monté une veillée de prière œcuménique à la demande d’un ami pasteur. Le ministère lui manque-t-il ? « J’ai célébré chaque messe de ma vie avec bonheur, témoigne-t-il. Je ne l’ai jamais fait par automatisme, même lorsque j’en célébrais trois ou quatre dans le week-end. J’étais avec une communauté et mon ministère prenait sens dans cette communauté. Et, du moment que je ne suis plus dans cette communauté, la raison d’être de célébrer, quelque part, disparaît. » Ce qui ne veut pas dire définitivement. D’ailleurs, le livre est signé « Père David Gréa ».