Alors que l’armée a bombardé la ville de Homs et que les violences se poursuivent dans le reste du pays, en coulisses, les alliés de Damas cherchent à piloter une transition politique. Avec ou sans Bachar el-Assad.
Plus que jamais, le drapeau russe flotte aux côtés du fanion syrien à l’entrée de la base navale de Tartous, sur la côte méditerranéenne, ultime tête de pont de Moscou au Moyen-Orient. «Ces derniers mois, de nombreux coopérants de la marine russe ont été envoyés sous couverture en Syrie, rapporte un expert militaire français au Moyen-Orient, mais il s’agit de conseillers militaires et d’agents du renseignement, qui ont été dispersés dans l’armée, les services de sécurité et certains ministères à Damas.» Objectif: influer sur la crise provoquée par la répression sanglante d’un soulèvement, qui menace le pouvoir du président Bachar el-Assad, leur dernier allié au Moyen-Orient.
«Sur le terrain face aux insurgés, Bachar n’avance pas sans un aval russe», affirme un homme d’affaires franco-syrien en contact avec la hiérarchie sécuritaire à Damas. Mais «Moscou a mis, selon lui, une ligne rouge à son appui: ne pas rééditer de massacre similaire à celui d’Hama» en 1982, lorsque plus de 15.000 islamistes avaient été liquidés dans cette ville martyre, après avoir lancé une insurrection contre Hafez el-Assad, le père de l’actuel président. Aujourd’hui, en échange de son soutien indéfectible, illustré par le veto opposé durant le week-end à une résolution onusienne condamnant Damas, Moscou réclamerait la réouverture d’une station d’écoutes que les Soviétiques possédaient du temps de la guerre froide sur le mont Qassioun, qui domine la capitale syrienne. Cette exigence sera au centre des entretiens qu’auront mardi à Damas Bachar el-Assad et le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, flanqué de son chef du service de renseignements extérieurs Michaïl Fratkov. Le duo russe va chercher à convaincre Assad de la mise en place rapide des «réformes démocratiques indispensables», même si l’opposition réclame avant tout un départ du raïs.
Relooker le parti Baas
Les analystes les plus optimistes estiment que les Russes pourraient tenter d’entreprendre un «démantèlement contrôlé» du régime Assad, «une transition contrôlée vers un nouveau régime dépouillé d’Assad, mais édifié autour des loyalistes de la dynastie Assad», selon Shashank Joshi du Royal United Services Institute. En fin de semaine dernière, des diplomates de l’ambassade russe à Damas ont multiplié les contacts avec des leaders de l’opposition sur place. En vain. Ces derniers refusent l’invitation de Moscou pour engager un dialogue avec le régime. Ce n’est pas la première fois que la Russie tend une perche aux opposants. En juin déjà, Moscou avait invité certains ténors de l’opposition; et quelques semaines plus tard, ses émissaires avaient proposé à l’un d’entre eux de diriger un gouvernement, toujours présidé par Assad.
La Russie est soupçonnée d’avoir récemment livré des batteries antiaériennes à Damas, qui redoute des bombardements de l’Otan. Moscou a également conclu un accord de 550 millions de dollars portant sur la livraison de 36 avions d’entraînement et d’attaque légers Yak-130, mais la première fourniture n’a pas encore eu lieu. La coopération sécuritaire n’est pas la seule à avoir été renforcée. Depuis quelques semaines, des experts russes encadrent la réorganisation du Baas, le parti unique au pouvoir, qu’un Congrès général doit entériner le mois prochain. «Les Syriens sont en train de transférer des pouvoirs et de l’argent de l’État ou de certaines administrations vers un nouveau Baas, qui doit être en position de force lorsqu’Assad annoncera théoriquement en mars l’ouverture au multipartisme», avertit un observateur libanais.
Un peu comme les ex-Soviétiques l’avaient fait avec le PC à la chute du communisme à Moscou. «Les Russes pensent qu’ils sont bien placés pour piloter la transition. Ils ont instruit les généraux syriens. Ils ont eux aussi basculé d’un système totalitaire à un faux multipartisme», ajoute l’observateur. Avec ou sans Bachar? Ils paraissent en tout cas les mieux placés pour fomenter un coup d’État parmi les généraux alaouites, qui encadrent l’armée. Si un jour ordre leur était donné d’agir.