Des Frères musulmans peu populaires

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Avec l’irruption de peuples rebelles sur la scène politique arabe, le rapport Etat-société s’est modifié. Les nouvelles lignes de clivage n’opposent plus « islamistes » et « libéraux », elles séparent désormais ceux qui s’adaptent à cette nouvelle réalité politique de ceux qui continuent de penser le monde selon les catégories anciennes, en Orient comme en Europe.

L’Egypte en offre une illustration remarquable. Le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, a certes remporté l’élection présidentielle. Mais, contrairement aux idées reçues, l’islamisme ne séduit pas l’électorat le plus démuni. Dans un quartier populaire du Caire comme Saïda Zeynab ou dans des quartiers encore plus pauvres comme Al-Khalifa ou Bab Al-Chariya, le score du candidat des Frères ne dépasse pas la barre des 15 % – contre 30 % pour le candidat de la gauche nassérienne et un score presque équivalent pour celui de l’armée. Dans un pays en voie de paupérisation, le libéralisme économique prôné par le parti du président élu ne laisse pas présager une amélioration du sort de segments grandissants de la société. L’exigence démocratique bouleverse également les modes de fonctionnement d’une organisation entrée dans un rapport de rivalité mimétique avec un régime autoritaire qu’elle a combattu à certains moments de son histoire, mais auquel elle a été souvent associée de manière plus discrète à d’autres moments.

Au sein des Frères, les plus jeunes dénoncent une gouvernance interne dominée par le goût du secret et l’absence de transparence, de même qu’ils rejettent des mécanismes de promotion qui reposent sur l’ancienneté et l’obéissance. Sortir de l’organisation n’est plus un tabou, et les figures historiques qui ont démissionné des rangs de la confrérie – Abdel Moneim Abou Al-Foutouh, Mohamed Habib, Kamal Al-Halbawi – offrent désormais une capacité de pression plus forte aux cadres.

De surcroît, la tentation djihadiste des groupements radicaux, en Haute-Egypte ou dans le Sinaï, obligera les nouveaux dirigeants de l’Egypte à se détacher sans ambiguïté des appels à la violence, au nom de la défense des institutions grâce auxquelles ils ont été élus. L’entrée des salafistes dans le jeu politique entraîne des transformations comparables, à l’image des déclarations de campagne du président du parti Al-Nour pour lequel il vaut mieux « la justice dans l’Etat mécréant à l’injustice dans l’Etat islamique ».

D’autres pourront manifester leur refus du principe électoral, voire leur préférence pour le djihad, mais tous devront se déterminer par rapport à un acquis démocratique dont la société est désormais dépositaire. En bref, loin de signifier la victoire de l’islamisme, la démocratisation arabe signifie au contraire sa fragmentation et sa complexification autour de nouvelles lignes de clivages nées d’une révolution citoyenne qui n’a pas fini de produire ses effets dans le monde arabe.

Bernard Rougier, directeur du Centre d(‘études et de documentation économique, juridique et sociale (Cedej) au Caire.

Le Monde

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