Des dégoûts et des couleuvres…

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Ca y est : l’impensable a eu lieu en dépit de tous nos efforts déployés depuis 2005 à porter à bout de bras-et souvent sans grande conviction- une majorité qui n’a jamais gouverné et qui vient d’être renversée, comme une crème qui a tourné. L’opposition s’est emparée des rênes d’un pouvoir longtemps convoité et ne compte plus les lâcher. En tous cas, ce qui est sûr, c’est qu’elle a (très) bien manœuvré et tendu piège après piège à une majorité dite au pouvoir qui passait son temps à la ménager et tombait dans chaque traquenard qui lui était fomenté.

Bien sûr l’équilibre des forces en présence n’est pas à évaluer: d’un côté un arsenal qui ferait plier des armées réputées invincibles et de l’autre un chapelet de promesses jamais tenues, et des retournements de vestes à donner le tournis. Dans le scénario cauchemardesque actuel qui a sonné le glas d’une longue parenthèse d’occasions manquées avec la chance de faire (enfin) du Liban un État de droit libre de toute tutelle, revenir sur les opportunités de mars 2005 relèverait du masochisme pur.

Et nous n’avons pas envie de nous laisser envahir par un spleen et une nostalgie qui ne changeraient rien à la donne. Cela fait six ans que nous essuyons déception après déception infligées par ceux-là même qui ont puisé leur force d’une base citoyenne qui s’était mobilisée spontanément et avait fait d’une poignée un million. Une multiplication des mains. Un miracle des temps modernes. Et quelque part nous nous sentons aujourd’hui violés dans notre révolution et devrions intenter un procès aux leaders du « 14 mars » pour usurpation abusive d’identité populaire. Parce que le « 14 mars » c’est nous autres, ce « un plus un » qui a fait ce tout, cette chaîne humaine soudée pour combattre la médiocrité. Cette société civile qui entend le rester et se démarquer de tous ceux qui l’ont utilisée, manipulée et trahie.

Aujourd’hui plus que jamais, à l’heure où des pays encore sous le joug de régimes totalitaires se délestent un à un de leurs dictateurs, à l’heure où la révolte gronde de partout avec un effet domino sur le terrain qui semble ne plus vouloir s’arrêter, à l’heure où le parfum du jasmin prend le dessus sur celui du soufre ; à cette heure –là justement le bilan que nous dressons après avoir été avant-gardistes dans notre révolution et si piètres dans son évolution se résume en seul mot : le mépris. Le mépris envers ceux qui s’apprêtent à reléguer aux oubliettes le sang- coulé en vain- de ceux d’entre nous qui ont donné leur vie pour que vive la liberté ; le mépris aussi envers ceux qui cherchent à camoufler un coup d’état flagrant en une démocratie consensuelle.

Et surtout la rage de savoir que –par les bons soins de tous les faiseurs de destins chez nous, toutes tendances politiques confondues, le Liban est condamné à avancer à reculons en devenant le dernier pays régi par une dictature. Une tragédie qui nous est imposée du jour au lendemain sur fond de discours pervers qui se veulent rassurants, alors qu’ils sont pétris jusqu’à la moelle de couleuvres qui n’inspirent que des dégoûts. Et encore, c’est rester contenus dans nos propos. Mépris/honte/nausée serait le slogan/ tiercé gagnant pour nos relents de cœur. À hurler en chœur.

belibrahim@gmail.com

* Beyrouth

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