Jean-Yves Le Drian devait se rendre à Téhéran dimanche et lundi pour trouver un moyen de sauver l’accord international mis en péril par Donald Trump
Louis Imbert Et Marc Semo (Avec Jean-Pierre Stroobants, À Bruxelles)
Sauver l’accord sur le nucléaire de juillet 2015 menacé par Donald Trump, mais aussi tenter d’obtenir quelques concessions de Téhéran sur son programme balistique comme sur sa politique régionale « militarisée », en Syrie, au Liban, en Irak ou encore au Yémen. Le voyage dans la capitale iranienne, les 4 et 5 mars, du ministre français des affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, destiné à préparer une éventuelle visite d’Emmanuel Macron – qui serait la première d’un chef d’Etat ou de gouvernement d’un grand pays occidental depuis la révolution islamique de 1979 –, s’annonce comme un délicat numéro d’équilibrisme diplomatique.
« Ces questions sont à la fois distinctes et liées, car il sera difficile de convaincre le président américain de ne pas casser la baraque sur le nucléaire si l’Iran dit non sur tout le reste », résume-t-on à Paris. Donald Trump qui, depuis son entrée à la Maison Blanche, a par trois fois renouvelé la suspension des sanctions américaines qui pesaient sur l’Iran jusqu’à l’accord nucléaire, menace en effet de ne plus le faire le 12 mai, et d’annuler l’accord négocié par les « 5 +1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) avec Téhéran.
Les autorités françaises, comme les autres membres de l’Union européenne (UE), n’ont cessé de rappeler leur attachement à ce compromis, qui gèle et place sous haute surveillance au moins pour dix ans le programme nucléaire iranien. Outre son homologue, Mohammad Javad Zarif, le chef de la diplomatie française devrait rencontrer le président de la République, le
modéré Hassan Rohani, le président du Parlement, Ali Larijani, un conservateur pragmatique, et le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, le général Shamkhani. Un programme démontrant l’importance que Téhéran accorde à la visite.
Dans le grand jeu régional autour de l’Iran sur fond de tensions croissantes entre la République islamique et les Etats-Unis, Paris se voit volontiers en médiateur. M. Macron, qui doit se rendre en visite officielle à Washington fin avril, pourrait arguer d’éventuelles concessions de Téhéran afin de tenter de convaincre M. Trump.
En septembre 2017, à New York, dans le cadre de l’assemblée générale des Nations unies, il avait rencontré ses deux homologues, américain puis iranien. Tout en reconnaissant partager les préoccupations de Washington, il avait rappelé l’importance de l’accord nucléaire « qui permet de mieux contrôler les choses ». Paris reconnaît que l’Iran respecte ses
engagements, comme le certifie depuis plus de deux ans l’Agence internationale de l’énergie atomique dans des rapports réguliers.
Paris n’hésite pas à soulever les points qui fâchent. « Les ambitions capacitaires de l’Iran en matière de missiles balistiques sont très préoccupantes et contraires à la résolution 2231 des Nations unies »,a ainsi rappelé M. Le Drian, le 27 février à Moscou. Et d’insister aussi sur « la nécessité d’éviter que cette capacité balistique soit perçue comme une menace par les voisins ». La résolution 2231 de juillet 2015 se contente pourtant d’enjoindre à l’Iran « de ne mener aucune activité liée aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires » – ce qui ne constitue pas une interdiction – et de s’abstenir « de tirs recourant à la technologie des missiles balistiques ». Depuis février 2017, l’Iran n’a mené qu’un seul test de missile balistique de moyenne portée. Les dirigeants iraniens, toutes tendances confondues, n’en affichent pas moins leur fermeté sur la question balistique. « Nous ne négocions ni sur notre sécurité nationale, ni sur notre capacité de défense », déclarait, le 22 février au Monde, Mohammad Bagher Nobakht, le porte-parole du président Rohani.
Ce programme est considéré comme un moyen de dissuasion essentiel face à Israël et aux monarchies arabes du Golfe, dont les budgets de défense sont de loin supérieurs à celui de l’Iran, et qui bénéficient de ventes d’armes occidentales, quand l’Iran a dû s’équiper par lui-même, sous sanctions internationales, en améliorant notamment des modèles fournis par le passé par la Corée du Nord. « On peut comprendre leur besoin de sécurité mais un missile balistique avec une portée de 5 000 kilomètres, on n’en voit pas la nécessité »,souligne une source diplomatique française. Actuellement, les missiles iraniens plafonnent à 2 000 kilomètres de portée : assez pour menacer Israël.
Discussions discrètes
Lors du voyage seront aussi abordées toutes les crises régionales où Téhéran affiche, selon Paris, des « tentations hégémoniques », à commencer par la Syrie. « L’Iran doit choisir : être un instrument de paix dans la région ou alimenter les conflits pour étendre son influence, ce qui est inacceptable », analyse un haut diplomate français. Un dialogue s’était déjà amorcé en marge de la conférence sur la sécurité de Munich, fin février, entre des émissaires iraniens, français, britanniques, allemands, italiens et de l’UE sur le conflit yéménite. Il devrait se poursuivre en Italie et porter sur le Hezbollah libanais et sur les milices pro-iraniennes présentes dans le sud de la Syrie.
Paris pense pouvoir obtenir des concessions de l’Iran sur son programme balistique et sur sa politique régionale au Moyen-Orient, en promettant d’aider Téhéran à se reconnecter aux réseaux financiers internationaux. C’est là le principal gain que Téhéran pouvait déjà escompter de l’accord nucléaire, avec la reprise des investissements directs étrangers qui en dépendent. Paris s’est inquiété – sans succès – à Washington du raidissement, durant l’année écoulée, du département du Trésor, dont les menaces de sanctions effraient les investisseurs étrangers tentés de revenir en Iran.
L‘Iran aimerait savoir comment les Européens prévoient de défendre ces investissements si les Etats-Unis dénonçaient unilatéralement l’accord. « Nous n’attendons pas seulement de l’UE, et de la France en particulier, qu’elles restent fidèles à l’accord, mais aussi qu’elles compensent les éventuels manquements américains », expliquait au Monde le porte-parole de M. Rohani. Que pourraient être ces compensations ? « La question pour le moment est de sauver l’accord »,rétorque-t-on à Paris.
Les Européens sont sur la même ligne. « Il faut que l’accord tienne et éviter d’entrer dans une spirale négative », commente un expert du service d’action extérieure de l’UE. Des discussions discrètes seraient actuellement menées avec Washington mais leur teneur est inconnue. Dans la stratégie à tenir à l’égard de l’Iran, la position française est cependant apparue beaucoup plus ferme que celle de Londres et, surtout, de Berlin.