Il y a quelques semaines, le ministre syrien de l’Information, le Dr Mohsen BILAL a interdit, par un simple ordre oral – une procédure inconnue de la « Loi sur les Publications » adoptée au début de la présidence de Bachar AL ASSAD -, l’entrée et la distribution en Syrie de la revue littéraire libanaise « Al Adâb ». Ce numéro contenait un dossier consacré à la littérature syrienne contemporaine et, en particulier, un article signé du professeur Hassan ABBAS, professeur de critique littéraire à l’Institut Supérieur de Théâtre et de littérature arabe à l’Institut Français d’Etudes Arabes de Damas. Intitulé « Des récits contre l’oubli : lecture de certaines productions romanesques contemporaines en Syrie », le texte du professeur ABBAS s’intéressait aux œuvres dans lesquelles une quinzaine d’anciens détenus politiques, hommes et femmes, militants de gauche ou membres de l’Association des Frères Musulmans, avaient tenté de traduire en mots pour la surmonter définitivement leur expérience des prisons syriennes.
Ce faisant, le professeur ABBAS avait commis deux fautes ou, comme on dit en Syrie, « franchi deux lignes rouges »:
– il avait parlé dans son texte de « violence réciproque » entre l’Etat et la société civile, alors que, dans le discours officiel, ce sont les « forces de l’obscurantisme », c’est-à-dire les Frères Musulmans, et les « réactionnaires », c’est-à-dire tous les autres opposants, qui détiennent seuls la responsabilité de ce qu’on appelle pudiquement en Syrie « les événements des années 1978 à 1982 »;
– surtout, il avait attiré l’attention sur un type de littérature que le régime syrien prohibe dans la mesure où s’y trouvent décrites les pratiques auxquelles il a eu recours – et auxquelles il continue d’avoir recours, mais sur un mode mineur – pour briser définitivement ceux qui, refusant d’être des partisans ou des vassaux, ne peuvent être que des « ennemis ».
Cette interdiction démontre que les prisonniers politiques en Syrie n’en ont pas fini avec le pouvoir lorsqu’ils sont relâchés, au terme de leur peine ou quand le bon vouloir des autorités en décide ainsi, puisqu’ils n’ont pas le droit de parler de ce qu’ils ont vécu, même pour se débarrasser des images et expériences traumatisantes de la prison que le régime préfère voir « oubliées » au fond de leurs mémoires.
Il ne sera question ici que des détenus politiques.
Le traitement qui leur est en effet réservé, en Syrie, durant leur enfermement comme après leur libération, est tout à fait spécifique.
On n’ira pas jusqu’à dire que les prisonniers de droit commun sont « bien traités » dans les prisons syriennes. L’usage des coups est une pratique ordinaire, de l’arrestation à la fin des procès. Mais les criminels, les voleurs, les auteurs d’agressions sexuelles et autres ont à faire, entre les murs de leur prison, aux mêmes règles qui régissent grosso modo la vie en Syrie. La loi du plus fort s’y exerce, comme le pouvoir de l’argent. Une bonne origine sociale permet d’y survivre dans des conditions presque convenables. La corruption généralisée permet d’obtenir, jusque dans les prisons, une quantité de choses et de passe-droits. Surtout, une fois leur peine achevée, ces condamnés peuvent reprendre une vie normale ou… retourner à leurs anciennes activités.
Pour les détenus politiques, la situation est radicalement différente. S’ils sont systématiquement maltraités, mal nourris, frappés, torturés, insultés et humiliés, c’est précisément pour que, au cas où ils retrouveraient – ou lorsqu’ils retrouveront – le monde extérieur, ils restent définitivement marqués par ce qu’ils ont vécu, et pour que, brisés physiquement, psychologiquement et moralement, ils ne soient plus en état de reprendre leurs anciennes activités politiques.
Ces détenus politiques en Syrie, qui sont-ils ?
Il s’agit grosso modo de tous ceux qui ont refusé, à titre individuel ou collectif, de reconnaître l’autorité de fait du Parti Baath, arrivé au pouvoir suite à une série de coups d’Etat (en 1963, en 1966 et en 1970… pour ne rien dire du « coup d’Etat constitutionnel » qui a permis à Bachar AL ASSAD de succéder à son père, en juin 2000), et maintenu au pouvoir par le biais d’élections étroitement contrôlées. Refusant de se placer sous le joug du Parti Baath et de se comporter à son égard comme des vassaux, ces hommes et ces femmes ont été considérés par lui, non pas comme des concurrents ou des adversaires politiques, mais comme des ennemis du parti… et donc comme des « traîtres à la Patrie ».
On ne peut refaire ici en détail l’histoire des différentes répressions qui ont accompagné l’installation au pouvoir de ce parti.
Pour dire les choses brièvement, cette histoire est faite de luttes internes pour le leadership. C’est ce qui explique la présence, parmi les anciens détenus politiques, de membres de l’aile pro-irakienne du Parti Baath, des fidèles de Salah JEDID et des partisans du Baath Démocratique.
Cette histoire est faite aussi de concurrence idéologique. C’est ce qui explique la présence, parmi les anciens prisonniers politiques, de membres de la plupart des partis de gauche, du Parti Communiste, de la Ligue d’Action Communiste, de l’Organisation Communiste Arabe, auxquels il faut ajouter les partisans syriens des diverses composantes du champ politique palestinien non récupérées par le régime syrien.
Cette histoire est faite enfin de compétition à mort, au sens premier du terme, avec l’ensemble des forces sociales et religieuses susceptibles de contester au Baath, parti auto-proclamé « parti dirigeant de l’Etat et de la société » par la Constitution de 1973, une domination et un contrôle de la société syrienne que le régime voulait absolus. C’est ce qui explique la présence, parmi les anciens détenus d’opinions, d’une part d’un grand nombre de syndicalistes non baathistes, et d’autre part d’un nombre bien plus considérable de membres de l’Association des Frères Musulmans.
S’agissant des Frères Musulmans, il faut d’emblée préciser quelque chose.
Il est vrai que, au tournant des années 1970 et au début des années 1980, quelques centaines de membres et de dissidents de l’Association ont combattu le pouvoir syrien les armes à la main, certains de leur plein gré pour tenter de renverser un régime considéré par eux comme impie, les autres pour défendre simplement leur vie, leurs proches ou leurs biens, une fois les hostilités engagées entre le pouvoir et l’Association. Pour répondre à ce défi, le régime syrien a pris à leur encontre une décision radicale : il a purement et simplement condamné à mort, par la « Loi 49 » de 1980, la simple appartenance aux Frères Musulmans. Des milliers de membres de l’Association, qui n’avaient jamais touché un fusil et qui condamnaient souvent le recours à la violence, ont alors été arrêtés, torturés, enfermés et oubliés dans le bagne militaire de Palmyre.
Le récit intitulé « La Coquille », récemment publié par les Editions « Actes Sud », décrit, d’une manière romancée sur la forme mais d’une façon tout à fait exacte sur le fond, la situation de ces hommes, dont une partie n’a jamais été jugée, et dont d’autres ont été maintenus en détention après avoir été reconnus innocents par une justice militaire pourtant entièrement soumise aux ordres du pouvoir. Il existait en effet, à Palmyre, à coté des unités réservées aux détenus mineurs, au moins un « bâtiment des innocents »… Moustapha KHALIFEH, l’auteur de « La Coquille », raconte comment, abandonnés de tous, ces hommes ont été soumis durant 10, 15 ou 20 ans, selon les cas, aux pulsions les plus sadiques de leurs geôliers. Protégés par une directive qui les exonérait de toute poursuite devant la Justice – on signalera d’ailleurs en passant que, loin d’être annulée, cette directive a au contraire été confirmée, à la fin de l’année 2008, par le président Bachar AL ASSAD… -, ceux-ci étaient implicitement encouragés à se livrer aux pires exactions sur ceux qui étaient livrés sans défense à leur bon vouloir. On estime ainsi à plus de 15 000 le nombre de Frères Musulmans qui, ayant été un jour emmenés par les « moukhabarat », les agents des services syriens de renseignements, au début des années 1980, ont « disparu » en prison sans laisser de traces, et sans que leur proches aient été informés jusqu’à aujourd’hui des circonstances de leur très probable décès. Ceux qui ont résisté aux mauvais traitements ont été transférés à la prison de Sadnaya, lors de la fermeture du bagne de Palmyre. Certains ont commencé à être relâchés au milieu des années 1990.
C’est du sort de ces derniers et de celui des autres détenus politiques libérés qu’il va maintenant être question. On passera en revue, dans un ordre forcément arbitraire et sujet à de multiples débats, les problèmes physiques, psychologiques, familiaux, matériels et politiques auxquels les uns et les autres doivent faire face lorsqu’ils se retrouvent, au sortir de leur petite prison, dans un pays transformé par l’omniprésence et l’omnipotence des moukhabarat en une immense prison.
Recouvrer la santé
On ne sort pas d’un séjour de 10 ou de 15 ans dans une prison, quelle qu’elle soit, et en particulier s’agissant des prisons syriennes, sans de sérieuses séquelles physiques. Elles sont liées :
– à la nourriture ingurgitée pendant la détention,
• insuffisante et exécrable à Palmyre, pour détruire volontairement à petit feu les détenus,
• aléatoire ailleurs, parce que dépendante
de la possibilité pour les familles habitant parfois à l’autre bout du pays d’apporter régulièrement ce dont leurs proches ont besoin, l’ordinaire des prisons étant notoirement immangeable,
des ressources dont certains peuvent disposer pour acheter à l’intérieur de la prison ce dont ils ont besoin,
des conditions de conservation des denrées alimentaires dans les cellules,
du bon ou du mauvais vouloir des gardiens qui prélèvent régulièrement leur dîme au passage…
– à la promiscuité dans les cellules,
• où les détenus sont entassés au sens premier du terme,
• où les prisonniers sont souvent obligés de dormir à tour de rôle, surtout durant la détention préventive,
– au tabagisme de la part de certains prisonniers,
– à l’insalubrité générale des lieux, puisque
• un simple trou, dans un angle de la cellule individuelle ou collective, fait office de wc,
• les détenus n’ont souvent pas d’habits de rechange et sont contraints de conserver les mêmes vêtements durant des mois,
• les cellules sont surchauffées pendant l’été et glaciales pendant l’hiver… surtout lorsque le directeur de la prison détourne et revend, à son profit, le quota de fuel de chauffage attribué à son établissement,
– à l’accès limité aux installations sanitaires, douches et lavabos, où les prisonniers n’ont ni le temps, ni le courage de subir une eau glaciale,
– à l’absence de médecins, à la pénurie de médicaments, au manque de cellules d’isolement pour les malades contagieux…
– à la pratique ordinaire de la torture, répétée pendant des semaines, des mois ou des années,
– au refus des responsables de procurer les soins nécessaires aux prisonniers ayant eu une main cassée, un bras brûlé, une épaule déboîtée, la nuque brisée, un tympan perforé pendant leur interrogatoire,
– au manque d’activité physique…
Lorsque les détenus qui ont été ainsi traités durant des années sortent de prison, certains dégâts sont irrémédiables, faute d’avoir été soignés à temps. D’autres seraient encore remédiables, mais ils supposeraient :
– de disposer de ressources financières dont on verra que tout est justement mis en œuvre pour les en priver,
– de trouver une organisation caritative locale susceptible de fournir une prise en charge pour un traitement sur place,
– de bénéficier d’une prise en charge d’une ONG étrangère, donc a priori suspecte pour des autorités syriennes extrêmement tatillonnes sur ce sujet, pour un traitement à l’extérieur,
– et dans ce cas d’être autorisé à quitter le pays, ce qui est rarement possible puisque la plupart des anciens prisonniers politiques ne disposent pas de passeport ou sont frappés d’interdiction de quitter le territoire national.
Les solidarités à l’œuvre au sein des familles, et parfois au sein des partis politiques, sont généralement insuffisantes, dans le contexte de difficultés économiques grandissantes que connaît la population syrienne, pour envisager des traitements ou des thérapies de longue haleine.
Il pourrait être fait appel à de généreux donateurs, qu’ils appartiennent à la bourgeoisie traditionnelle ou à la classe des nouveaux riches. Mais il est périlleux pour ces gens-là, dont le succès des entreprises est souvent conditionné par la proximité avec le régime, d’afficher une quelconque forme de solidarité avec les anciens prisonniers politiques.
Avant de fermer ce chapitre, il faut ajouter quelques mots sur un sujet délicat.
Il a été observé, depuis longtemps, que les cas de cancer, nombreux dans la population syrienne de façon générale, l’étaient particulièrement parmi les anciens détenus politiques. Les statistiques fiables manquent encore. Mais certains ont malgré tout commencé à se demander si les responsables des centres de détention n’auraient pas reçu pour consigne de mettre dans la nourriture ou de faire ingurgiter sous une autre forme à leurs prisonniers des produits cancérigènes.
Il y a quelques années, l’ancien prisonnier politique syrien Nizar NAYYOUF, dont les déclarations et les agissements ne plaident malheureusement pas en faveur de la crédibilité, n’a pas hésité à accuser les autorités de son pays de s’être livrées à des expériences sur des prisonniers, en particulier dans le centre de détention situé en bordure du désert syrien, à Khan Abou Chamat. Selon lui, des produits chimiques et biologiques leur auraient été inoculés. Fautes de preuves concrètes et de témoignages concordants, on lui laissera la responsabilité de ses affirmations.
Mais la récente ouverture des archives de la STASI, dont on sait que les services syriens de renseignements se sont jadis inspirés des méthodes et des pratiques, justifient de se poser à nouveau cette question. On a en effet appris, à cette occasion, que l’exposition à des produits cancérigènes et l’inoculation de ces mêmes produits faisaient partie des techniques de ce service. Et on ne peut pas être rassuré par le fait que la Syrie ait accueilli sur son territoire, au lendemain de la seconde guerre mondiale, un homme aussi expert dans l’usage de la torture que le nazi Aloïs BRUNNER.
On peut difficilement en dire plus pour le moment. Mais la question, d’un stricte point de vue de défense des Droits de l’Homme, devra sans doute être posée un jour …
Se reconstruire psychologiquement
La reconstruction psychologique des prisonniers politiques libérés est aussi urgente mais également beaucoup plus délicate à mener à bien que leur rétablissement physique.
Comme on l’a rapidement indiqué plus haut, en Syrie, la prison n’est destinée, pour les détenus politiques, ni à leur permettre de s’acquitter de leur dette envers la société – quelle dette ? -, ni à leur fournir l’occasion de s’amender – s’amender de quoi ? -. L’arrestation, en dehors de tout cadre judiciaire, et le maintien en prison, souvent sans aucun jugement, pendant des périodes très longues et dans des conditions extrêmement difficiles, ont au contraire pour objectif de briser la résistance des individus qui refusent de se plier à l’état de fait imposé au pays par la prise du pouvoir par le Parti Baath, puis à la confiscation de ce même pouvoir par Hafez AL ASSAD, et aujourd’hui par son héritier, Bachar AL ASSAD.
Tout est dès le départ mis en œuvre pour humilier l’opposant politique.
– Il est arrêté généralement en pleine nuit, devant les membres de sa famille réveillés par le bruit et par les insultes proférées par les moukhabarat, lesquels, agissant sans mandat, refusent d’indiquer le motif de leur intervention, où ils emmènent l’opposant, la durée possible de la rétention et même le service auquel ils appartiennent.
– Dès son arrivée au siège du service qui l’a arrêté, quand cela n’a pas commencé à son domicile ou durant le trajet, qu’il effectue menotté et les yeux bandés, l’opposant est reçu par un « comité d’accueil » qui lui assène coups et gifles accompagnés d’insultes.
– Après des délais variables, il est admis devant l’officier chargé de procéder à son interrogatoire, qui a le droit, comme déjà indiqué, de recourir à tous les moyens pour lui arracher des aveux ou lui faire « dire ce qu’il a à dire ».
Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans le détail et la nature des tortures auxquelles les services de renseignements syriens ont eu jadis recours, et qu’ils continuent d’utiliser, quoique dans une moindre mesure, jusqu’à aujourd’hui.
Il faut avoir conscience que cette évolution récente, que l’on pourrait estimée positive, n’est pas due à des directives d’assouplissement venues d’en haut, du chef de l’Etat ou des chefs des différents services, dont certains se sont naguère signalés par leur très grande sauvagerie et par la pratique personnelle de la torture. Si des conditions de sécurité minimum leurs étaient garanties, leurs victimes pourraient en témoigner.
Cette évolution est imputable uniquement à la quasi-disparition, en Syrie, de ceux auxquels étaient réservées les formes de tortures les plus radicales, les plus humiliantes, les plus dégradantes, les plus abominables, en un mot les plus inhumaines. Ceux qui veulent se faire une idée de la sauvagerie alors déployée, avec les encouragements officiels, pourront se reporter encore une fois à « La Coquille ». On doit toutefois indiquer ici que, s’il n’y a plus de Frères Musulmans en Syrie, ou si le régime a aujourd’hui renoncé à accuser à tort et à travers les hommes et les femmes dont la religiosité est jugée excessive d’être des membres secrets de l’Association des Frères Musulmans, le pouvoir a trouvé deux catégories de victimes de substitution, contre lesquelles il laisse les moukhabarat exercer leur sadisme :
– d’une part, les membres de quelques partis kurdes, comme l’ancien « Parti des Travailleurs du Kurdistan » d’Abdallah OCALAN ou le « Parti Yakiti Kurde » de Syrie, jugés particulièrement dangereux pour l’unité nationale puisqu’ils voudraient « récupérer au profit d’une puissance étrangère » – laquelle ? – une partie du territoire de la Syrie ;
– d’autre part, les membres de quelques groupuscules islamistes radicaux refusant de servir, ou de continuer de servir, en Irak, au Liban ou ailleurs, les intérêts et les objectifs stratégiques de la Syrie.
Qu’est-ce qui permet à un être humain de résister à la torture ?
Son courage personnel, son amour pour les siens, son sens de l’honneur, la conscience de sa responsabilité vis-à-vis de ses camarades, sa foi religieuse, sa haine pour le système qui tente de lui imposer sa volonté, l’espoir que ses épreuves auront une fin…? Eh bien, c’est à tout cela que ceux qui dirigent ou pratiquent la torture s’attaquent à la fois… Il s’agit de salir et de briser des individus, d’en faire des choses dépourvues de volonté propre, de les rabaisser au niveau d’animaux préoccupés par leur seul instinct de survie… Et tant pis – ou tant mieux – s’ils décèdent au cours des séances…
La reconstruction psychologique de ceux qui résistent et qui sont un jour autorisés à sortir de cet enfer est conditionnée par une quantité de facteurs :
– la honte éprouvée par ceux qui ont parlé, donné les noms de leurs camarades ou de membres de leur propre famille,
– l’humiliation provoquée par les traitements dégradants,
– l’incompréhension ou la révolte de ceux qui ont été aussi mal traités alors qu’ils n’avaient rien fait qui contrevenait à la Loi,
– l’abattement et le renoncement à tout, même à la vie, qui peut conduire au suicide…
La reconstruction des anciens prisonniers supposerait d’abord que les victimes acceptent d’en parler. Or, si la plupart des anciens prisonniers politiques répugnent à évoquer les jours, les mois, les années de souffrance supportée le long d’une détention dont ils connaissent le décompte exacte, et s’ils préfèrent généralement s’enfermer dans leur silence, ceux d’entre eux qui voudraient parler ne le peuvent pas parce que rien n’est prévu à cet effet.
– Les structures d’accueil spécialisées manquent.
– Dans leur grande majorité, ils n’ont pas les moyens de s’offrir les prestations d’un psychothérapeute privé.
– Et les psychologues redoutent, de leur côté, en ouvrant leur porte à ce genre de clients, de se voir considérés comme des complices.
Une autre thérapie pourrait être l’écriture.
Mais tous les journaux sont en Syrie contrôlés par le pouvoir, et les maisons d’édition, elles aussi soumises à la censure, ne sont pas disposées à prendre le risque d’éditer les pages qu’ils pourraient rédiger pour « lutter contre l’oubli ».
On a évoqué plus haut, en citant l’article publié sous ce titre par le Dr Hassan ABBAS, les romans écrits par une quinzaine de syriens et de syriennes de toutes tendances politiques pour dépasser, en « vidant leur sac » en quelque sorte, les traumatismes subis pendant leur détention qu’ils ne voulaient plus continuer à ressasser. A une ou deux exceptions près, ces récits n’ont pas été publiés et ne sont pas commercialisés en Syrie…
Tout étant enchevêtré, la reconstruction psychologique des anciens détenus politiques se heurte à trois autres difficultés auxquelles il faut consacrer quelque phrases : comment bâtir ou rebâtir une famille ? comment retrouver un travail ? comment reprendre éventuellement un engagement politique ?
Bâtir ou rebâtir une famille
La détention provoque, du côté du prisonnier, une coupure avec la famille et avec les proches. Cette coupure était radicale pour les anciens Frères Musulmans qui n’ont jamais disposé, au bagne de Palmyre, du moindre droit de visite. Elle était moins sévère pour les autres détenus, qui ont généralement été autorisés à recevoir des visites, même si celles-ci n’étaient ni régulières, ni fréquentes. Mais l’épreuve n’était pas moindre du côté des familles, où, en l’absence du père, du mari ou des fils, les femmes ont dû apprendre à se débrouiller seules, à subvenir aux besoins des uns et des autres, et où, avec les enfants qu’elles avaient peut-être déjà, elles ont occupé tout l’espace de la maison dans laquelle revient maintenant ce quasi-étranger.
Il n’est pas difficile d’imaginer le choc qu’a pu provoquer le retour soudain, dans les foyers des Frères Musulmans libérés, la réapparition d’un mari, d’un fiancé ou d’un père, disparu depuis 15 ou 20 ans, et dont les uns et les autres, faute de la moindre nouvelle, avaient peut-être déjà fait le deuil. Le travail de re-connaissance mutuelle, puis celui de re-construction de la cellule familiale, avec un ancien prisonnier marqué physiquement et psychologiquement, ne sont pas des opérations simples. D’autant que nul spécialiste, nulle structure adaptée n’existe en Syrie, qui permettrait aux uns et aux autres de se re-découvrir et d’apprendre à vivre de nouveau ensemble. Cette opération est d’autant moins facile que, pour nombre de femmes et d’enfants, le mari ou le père qui rentre soudain est considéré, à cause de ses idées ou de son engagement, comme le premier responsable de son malheur et des épreuves endurées par l’ensemble de sa famille.
On peut citer ici un exemple de cette difficile compréhension mutuelle. On sait que, avant d’être remis en liberté, même lorsque leur nom figure sur une liste de prisonniers graciés par le chef de l’Etat, les détenus politiques sont transférés du pénitencier dans lequel ils se trouvent au siège du service de renseignements qui a jadis procédé à leur arrestation et à leur interrogatoire. Il s’agit, pour ce dernier, de s’assurer que celui qui va recouvrer sa liberté est « suffisamment amendé » – comprenez : « suffisamment brisé » – pour ne plus constituer un danger pour le pouvoir. Au cours de l’interrogatoire auquel il est alors soumis, il lui est systématiquement demandé d’accepter de collaborer avec ce service, auquel il devra régulièrement présenter des rapports sur les membres de son entourage ou les personnes de sa connaissance sur lesquels les moukhabarat l’interrogeront. Ceux qui refusent sont la plupart du temps renvoyés dans leur cellule, dans l’attente d’une autre échéance… Or, on sait qu’un certain nombre de ceux qui se plient à cette condition le font sous la pression de leurs proches, lesquels, n’en pouvant plus d’attendre et de supporter les difficultés induites par leur maintien en détention, les supplient de ne plus résister, autrement dit… de renier les principes qui les ont peut-être aidés à tenir pendant si longtemps.
De nombreux témoignages rapportent que, meurtris et blessés par ce qu’ils ont vécu en prison, un grand nombre d’anciens détenus manifestent une attitude de régression affective. Eprouvant un besoin maladif d’être aimés, ils recherchent compréhension et consolation auprès de toutes les femmes qui acceptent de les écouter et de leur donner un peu d’affection. Cela débouche sur des aventures amoureuses, la plupart sans lendemain, et se conclut parfois par le divorce avec l’épouse qui a attendu son mari durant des années, qui a parcouru des kilomètres pour lui rendre visite, qui a consenti à des sacrifices pour lui apporter du réconfort en terme de nourriture dans sa prison, qui a élevé seule les enfants du couple, etc. Bref, au lieu d’apporter à l’individu libéré et à sa famille la vie à laquelle ils aspiraient, chacun de son côté, la fin de la détention marque la fin des rêves et un dur retour à la réalité.
Du coup, un certain nombre d’anciens prisonniers en viennent à regretter, plus ou moins explicitement, la vie finalement presque « chaleureuse » connue durant leur enfermement. Certes, ils ne disposaient de liberté ni de mouvement, ni d’initiative, ni d’expression. Mais, précisément, pour ceux qui étaient fatigués de lutter, après avoir subi des tortures inhumaines durant des mois ou des années, la cellule, bien que surpeuplée, avait fini par constituer une sorte de cocon protecteur. Certes, leurs conditions de vie quotidienne étaient très insatisfaisantes. Mais ils n’avaient aucune responsabilité à assumer, aucune décision à prendre, puisque tout était décidé à l’avance et ailleurs pour eux.
Retrouver un travail
La reconstruction de l’ancien détenu politique passe aussi par l’accès à un travail, qui lui fournira, ainsi qu’à sa famille, les moyens de sa subsistance, et donc, pour autant qu’il en ait besoin, la possibilité de bénéficier de soins physiques et psychiques. Dans un pays où le chômage est important, trouver du travail est loin d’être simple. Cette recherche se heurte, dans le cas des anciens prisonniers politiques, à des difficultés spécifiques.
Pour prendre les choses par le commencement, il faut déjà avoir conscience que, au moment où ils ont été arrêtés, beaucoup d’anciens détenus n’avaient pas terminé leurs études. Les mineurs encore scolarisés étaient particulièrement nombreux dans les rangs des combattants des Frères Musulmans. Enfermés, comme leurs aînés au bagne de Palmyre, mais dans des unités spéciales, ils n’ont pas été beaucoup mieux traités. Ceux qui ne sont pas morts sous la torture ou en raison des mauvaises conditions de leur détention, n’ont en tout cas pas pu profiter des opportunités dont ont bénéficié, ailleurs, la plupart des détenus politiques des mouvements et partis de gauche.
Comme on l’a déjà indiqué, le traitement réservé aux Frères Musulmans était motivé par une puissante volonté de vengeance contre ceux qui étaient sur le point de faire vaciller le régime. Il avait pour objectif de mettre définitivement à l’écart, voire de supprimer physiquement, ceux qui étaient perçus comme des ennemis absolus du pouvoir en place. Il était donc hors de question de manifester à leur égard le moindre sentiment humain. On sait que certains gardiens et médecins du bagne de Palmyre ont été chassés et parfois eux-même emprisonnés pour avoir fait preuve d’une pitié suspecte à l’égard des prisonniers…
En revanche, les membres des partis de gauche racontent eux-mêmes comment, au terme de leur période d’interrogatoire, elle aussi accompagnée de tortures, et après leur condamnation, ils ont bénéficié, dans les différentes prisons entre lesquelles ils ont été répartis, de conditions telles qu’elles leur ont souvent permis d’acquérir, dans leurs cellules, des compétences dont ils ne disposaient pas en entrant. Autorisés, par moments, en fonction de l’humeur ou de la bonne volonté des responsables des lieux, à recevoir des livres, ils ont souvent appris des langues étrangères au point d’être en mesure d’occuper, à leur libération, des emplois de traducteur.
Les plus courageux, ou les moins éprouvés par leur longue détention, ont repris des études, se retrouvant, à 35 ou 40 ans, assis côte à côte, dans les salles de cours, avec des jeunes gens deux fois moins âgés qu’eux. Ceux qui avaient entamé des cursus longs, des études de médecine ou d’architecture par exemple, ont dû abandonner l’idée de les mener à bien, pour se rabattre sur des cursus beaucoup plus courts, de nature à leur assurer les revenus dont ils avaient désormais un besoin immédiat.
Les portes de la fonction publique leur étant fermées, du fait de leur condamnation, ceux qui étaient fonctionnaires, enseignants, ingénieurs, journalistes, avant leur arrestation, ont dû trouver ailleurs un emploi, la plupart du temps, évidemment, hors de leur domaine de compétence : vendeur dans une échoppe, chauffeur de taxi, coiffeur, manœuvre ou maçon…
Les relations familiales ou les solidarités partisanes ont souvent joué un rôle à ce niveau. Elles ont permis à certains de disposer d’un capital suffisant pour se lancer, seuls ou en groupe, dans une petite entreprise. Pour les autres, il leur a fallu convaincre des patrons, peu enclins pour la plupart à manifester leur solidarité avec ce genre de « parias », de les embaucher, tout en sachant que ces employés d’un genre particulier devraient s’absenter, un jour par mois, pour rendre visite au service de renseignements auprès duquel ils avaient été contraints de s’engager, au moment de leur libération, à aller pointer régulièrement.
Reste à dire que, épuisés physiquement et moralement, beaucoup d’anciens prisonniers n’ont jamais été en mesure de reprendre un travail. Honteux, brisés, abattus, dépourvus de volonté et d’envie, ils ont été incapables de prendre la décision de sortir de chez eux et de se mêler de nouveau à la foule de ceux qui, n’ayant jamais connu leur sort, leur paraissaient vivre dans un autre monde.
Combien sont-ils ainsi ?
Personne en Syrie ne peut le dire. Pour la simple et unique raison que, dans un pays où toutes les statistiques sont considérées comme « politiquement sensibles », aucune étude n’a pu jusqu’à présent être menée sur un sujet qui concerne pourtant des dizaines de milliers de personnes. On sait que, en 1990, alors que le pic des arrestations était depuis longtemps dépassé, il y avait environ, dans ce pays, 18 000 prisonniers politiques, c’est-à-dire plus de 1 prisonnier pour 1 000 habitants ! On sait aussi que, autour de l’an 2000, lorsque le président Hafez AL ASSAD a imposé son fils à la tête de l’Etat, il en restait entre 1 500 et 2 000.
On aimerait pouvoir affirmer que ceux qui manquent à l’appel ont tous été libérés. Mais on ne le sait pas. De même qu’on ignore, jusqu’à aujourd’hui, à combien ce chiffre a été ramené depuis lors, d’une part en raison des amnisties décrétées par le nouveau président, au début de son mandat, et d’autre part en raison des décès intervenus à la prison de Sadnaya, au début du mois de juillet 2008. Pour un ensemble de raisons sur lesquelles le régime syrien a toujours refusé de communiquer, une révolte des détenus a eu lieu à cette date dans le centre de détention qui avait pris le relais, depuis le milieu des années 1990, du bagne de Palmyre. Compte tenu des manières expéditives des services de sécurité et de l’omerta imposée jusqu’à aujourd’hui par les autorités autour de ces événements, il y a lieu de redouter qu’ils aient été réprimés dans le sang, faisant beaucoup plus que les 25 morts officiellement annoncés.
Reprendre un engagement politique
La plus sûre manière de finir de se reconstruire, pour les anciens détenus politiques, serait de pouvoir reprendre leur activité politique passée. Ils refermeraient ainsi une parenthèse cruelle dans leur histoire personnelle et collective. Or, de cela, il n’est pas question. Des nuances, là encore, existent entre anciens prisonniers appartenant à l’Association ou à la mouvance des Frères Musulmans, et les membres des partis de la gauche arabe, nationaliste, socialiste ou communiste.
Les Frères Musulmans, définitivement exclus du jeu politique.
Le maintien en l’état de la « Loi 49 », adoptée en 1980, interdit absolument aux anciens détenus appartenant au premier groupe, les Frères Musulmans, d’envisager une reprise, sous quelque forme que ce soit, de leurs anciennes activités. On a déjà rappelé que cette loi condamne à mort la simple appartenance à l’Association. Ceux qui sont visés par elle ne sont pas uniquement les Frères qui auraient pris jadis – ou qui prendraient aujourd’hui – les armes pour tenter de modifier la forme de l’Etat. Elle concerne, de la manière la plus extensive, tous ceux qui sont liés de près ou de loin aux Frères Musulmans.
On sait que le régime syrien n’a jamais reculé devant les prises d’otage, arrêtant les parents, les frères, les épouses, voire même les enfants mineurs des membres de l’Association pour contraindre les Frères à se rendre. On sait également qu’un grand nombre de ces otages, qui n’avaient rien à voir avec l’Association, sont malgré tout décédés sous la torture ou dans les prisons, où ils ont été maintenus enfermés dans les mêmes conditions que les Frères durant des années.
Il a pu arriver, dans ce système absurde qu’était devenue la Syrie obsédée par l’éradication des Frères, que des chrétiens soient accusés d’appartenir à l’Association. Il n’est pas exclu que, condamnés comme les autres, ils aient connu un sort identique. Il est certain, en tout cas, que des familles chrétiennes ont vu certains de leurs membres soumis à la question parce que des « rapports » parvenus aux services de renseignements affirmaient que les intéressés, bien que chrétiens, étaient membres des Frères Musulmans…!
Au cours des dernières années, l’atténuation du danger que les Frères Musulmans représentaient pour le régime a conduit la Justice syrienne à atténuer les sanctions : dorénavant, si la peine de mort continue à être prononcée contre les membres réels ou supposés, elle est aussitôt commuée en peine de 12 ans de prison pour les adultes, de 6 ans pour les jeunes gens. Mais il apparaît toujours hors de question, pour un pouvoir politiquement monopolisé par des membres de la communauté alaouite minoritaire, d’abroger une loi qui lui permet de tenir en respect la communauté sunnite majoritaire, dont aucun membre ne peut et ne doit se sentir définitivement et totalement à l’abri d’une accusation d’appartenance à l’Association.
Au mois de janvier 2009, les Frères Musulmans syriens réfugiés par milliers à l’extérieur, qui avaient déjà tendu la main au pouvoir lors de l’arrivée de Bachar AL ASSAD à la tête de l’Etat, ont annoncé une suspension de leur activité d’opposition. Quelques semaines plus tard, ils ont rompu avec l’ancien vice-président Abdel-Halim KHADDAM, avec qui ils avaient créé, au début de 2006, un Front de Salut National pour la Syrie. Ils ont proposé au régime une réconciliation, et ils ont demandé au pouvoir de les autoriser à rentrer dans leur pays.
Les autorités ont répondu que « ceux qui n’avaient pas de sang sur les mains pouvaient rentrer sans crainte ». L’histoire récente a malheureusement démontré qu’il s’agissait là de « paroles verbales », que ces promesses n’engageaient que ceux qui les croyaient et qu’un retour des Frères Musulmans en Syrie ne pourrait intervenir de facto tant que la « Loi 49 » serait maintenue comme une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.
Or, à la date de ce jour, aucune indication n’est parvenue de la part du pouvoir suggérant que celui-ci serait disposé à envisager l’abolition de cette mesure, prise dans le cadre de l’état d’urgence et des lois d’exception en vigueur depuis… 1963.
La situation est différente pour les anciens militants des partis de gauche.
S’ils se sont abstenus, sous la présidence de Hafez AL ASSAD, de retourner à leurs activités précédentes, ils ont activement participé, dans les premiers mois d’exercice du pouvoir par son héritier, à ce qu’on a appelé le « Printemps de Damas ». Ils ont été nombreux à signer le « Manifeste des 99 », puis le « Communiqué des 1000 », dans lesquels les activistes réclamaient du nouveau président de renoncer au pouvoir du parti unique et d’accepter une ouverture du jeu politique. On sait comment cette aventure s’est terminée, après quelques mois : par la mise en prison de ses principaux initiateurs, parmi lesquels le vieux responsable communiste Riyad TURK. Considéré comme « le prisonnier du Palais », il avait été élargi par Hafez AL ASSAD en 1998, après 18 ans de détention en cellule individuelle.
Depuis les premiers mois de la présidence de Bachar AL ASSAD, on a entendu parler, en Syrie, d’une « Loi sur les Partis politiques », destinée à encadrer la création et le fonctionnement des partis politiques, actuellement tous « illégaux »… y compris le Parti Baath.
Neuf ans plus tard, cette loi est toujours en préparation.
Mais les Syriens l’ont compris depuis longtemps : il est inutile, si une « Loi sur les Partis » est enfin adoptée, d’en attendre une véritable ouverture du jeu politique. Votée par une Assemblée du Peuple contrôlée par le Parti Baath au pouvoir, qui y dispose automatiquement à lui seul, de par la Constitution, de la moitié des sièges plus un, la nouvelle loi ne fera que consacrer le règne du parti dominant. Elle placera de telles conditions à la constitution de nouvelles formations qu’elle sera un nouvel obstacle, beaucoup plus qu’un stimulant, pour la vie politique.
En attendant, pour tenter de sortir de la situation de blocage, des anciens détenus politiques et diverses personnalités ont rendue publique, en octobre 2005, une « Déclaration de Damas pour un Changement National Démocratique Pacifique », dont l’intitulé en dit suffisamment à la fois sur l’objectif et sur les moyens. La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre : condamnés à 2 ans et demi de détention, au cours de l’été 2008, ses principaux animateurs – Fida AL HOURANI, fille du leader politique historique Akram AL HOURANI, l’ancien député et homme d’affaires Riyad SEIF, l’ancien militant du « Parti de l’Action Communiste » Akram AL BOUNNI, déjà emprisonné durant 16 ans, les animateurs du « Courant Islamique Démocratique Indépendant » Yaser AL EITI et Ahmed TOMEH, et une bonne demi-douzaine d’autres militants démocrates aux appartenances politiques diverses – sont aujourd’hui en prison…
– D’autres anciens détenus, considérant que l’action politique proprement dite ne serait ni possible, ni utile, aussi longtemps que la population syrienne n’aurait pas décidé de se prendre elle-même en charge, avaient lancé, en 2001, un « Comité de Relance de la Société Civile ».
– D’autres encore avaient privilégié l’engagement dans des ONG de Défense des Droits de l’Homme : « Comités de Défense des Libertés Démocratiques et des Droits de l’Homme en Syrie », « Association des Droits de l’Homme en Syrie », « Commission Syrienne des Droits de l’Homme »…. Aucune de ces structures n’a évidemment été autorisée, et celles d’entre elles qui fonctionnent encore le font à leurs risques et périls. Les dirigeants ou anciens dirigeant de deux d’entre elles ont d’ailleurs fait récemment l’actualité : les avocats Mohannad AL HASANI, arrêté au début de l’été 2009, et l’avocat Haytham AL MALEH, arrêté il y a moins de 2 mois…
– D’autres anciens prisonniers se sont lancés dans la rédaction d’articles destinés à conscientiser, sensibiliser, mobiliser leurs compatriotes sur la nécessité des réformes. Mais leurs articles, refusés par la presse syrienne, sont édités uniquement hors des frontières du pays. Ils ne sont accessibles qu’à ceux qui, à la fois, possèdent un accès à Internet et acceptent de prendre le risque d’ouvrir des sites considérés comme « sensibles ». L’arrestation de Habib SALEH, en 2005, et celle de Michel KILO, en 2006, ont confirmé que cette activité n’était pas non plus dépourvue de danger pour ceux qui s’y livraient.
Conclusion : La Syrie de 2009, une grande prison…
Bien que trop rapides et très incomplets, les éléments qui précèdent suffisent à démontrer que la Syrie de Bachar AL ASSAD, dans laquelle les Syriens n’ont, selon le titre de l’ouvrage de l’écrivain britannique Alan GEORGE, « Ni pain, ni liberté », est bien, pour les Syriens en général, et pour les anciens détenus politiques en particulier, une « vaste prison ».
S’il est vrai que l’on torture moins désormais dans les geôles des moukhabarat syriens, et s’il est exact que l’on meurt moins aujourd’hui qu’hier des suites des traitements inhumains subis dans les prisons syriennes, il n’en est pas moins vrai que, en quittant les murs de leur « petite prison », les détenus politiques syriens se retrouvent dans une prison aux dimensions du pays. Ils y sont condamnés à se taire et à se plier aux règles arbitraires d’un jeu politique imposé par un régime trop préoccupé par son maintien au pouvoir pour prendre le risque d’octroyer à sa population la moindre marge de liberté de parole et d’action.