Les responsables des affrontements interpalestiniens, qui ont fait 13 morts fin juillet, n’ont pas été arrêtés. Le retour à la normale se fait attendre et l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens déplore la destruction de certaines de ses infrastructures.
Le petit appartement où Mohamed Samour, sa femme et leurs deux enfants vivaient, dans le quartier de Bustan Al-Quds, a été ravagé par les récents combats qui se sont déroulés dans le camp palestinien d’Aïn El-Héloué, à Saïda (sud du Liban). Les murs ont été éventrés, les portes ont sauté de leurs gonds, les gravats s’accumulent au sol et ce qui reste du mobilier est noirci par le feu. « Les destructions sont invraisemblables, dans la zone où nous vivons. On était en première ligne. On n’a plus de maison. Ma voiture a été défoncée », dit ce Palestinien de 39 ans, aux abords du camp, en faisant défiler sur son téléphone des images de son domicile.
Les affrontements de la fin juillet, qui ont fait treize morts, ont opposé des combattants du Fatah, le parti du président palestinien Mahmoud Abbas, à des miliciens de divers petits groupes islamistes du camp, dont Jund Al-Cham et Chabab El-Muslim. Ils ont duré cinq jours, ponctués de plusieurs cessez-le-feu violés, avant que l’un ne finisse par tenir, à partir du 3 août. Mais les habitants restent sur le qui-vive. « Dieu seul sait ce qui nous attend ! », lance Samira Zaarour, une sexagénaire qui s’est « terrée chez [elle] pendant les combats ».
A l’entrée principale du camp, l’armée libanaise – elle ne pénètre pas dans l’enclave mais en verrouille les divers accès par des barrages fixes – a resserré ses contrôles, vendredi 11 août. Les militaires fouillent les voitures, dans les deux sens. Des obus ont été découverts dans un véhicule entrant à Aïn El-Héloué, la veille. L’hôpital public de Saïda, adjacent, porte des impacts sur sa façade ; ses patients avaient été évacués au plus fort des combats.
Chef militaire du Fatah abattu
Souvent nourries par des luttes de pouvoir entre factions, des violences ont endeuillé à répétition, ces dernières années, le plus grand camp palestinien du Liban, avec ses dizaines de milliers d’habitants. Il est considéré comme la « capitale » des réfugiés, dont les aînés ont été expulsés de leur terre à la création d’Israël, en 1948.
Cette fois, un assassinat a d’abord eu lieu. Mais l’escalade a démarré après qu’Abou Achraf Al-Armouchi, chef militaire local du Fatah, a été abattu par des islamistes avec quatre de ses hommes, le 30 juillet. Un coup dur pour le mouvement, à l’autorité historique dans le camp, quoique contestée par des rivaux.
Dans la partie septentrionale d’Aïn El-Héloué, où s’est déroulé l’essentiel des affrontements, à coups de tirs à l’arme automatique, de roquettes antichar et d’explosions, la situation n’est pas revenue à la normale. Des hommes du Fatah restent déployés dans les rues et ont coupé les artères à la circulation des voitures, témoignent des habitants. Des combattants islamistes demeurent retranchés dans un complexe scolaire de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. C’est de là qu’Abou Achraf Al-Armouchi a probablement été visé. Des négociations sont menées sans relâche pour obtenir que les principaux tireurs – du Fatah et des islamistes – impliqués dans le mini-conflit soient remis à l’armée libanaise. C’est la condition pour un retour au calme durable.
Des milliers d’habitants ont fui
Par crainte de nouveaux heurts, Mohamed Samour a laissé ses proches à l’abri, réfugiés chez sa sœur, en dehors de Saïda. Il n’a pas rouvert son commerce de bonbonnes de gaz. « A quoi bon ? Il n’y a pas d’activité. Tout le monde a peur de nouvelles violences. » Il est toujours en état de choc face à la « puissance de feu inouïe qui a été utilisée ». A la sortie du camp, un homme âgé au sourire édenté explique qu’il n’y a plus ni eau ni électricité dans la partie nord, les installations ayant été endommagées.
Des milliers d’habitants avaient fui, aux premiers jours des combats. Certains sont revenus. D’autres, comme Mohamed Al-Masri, un Libanais marié dans le camp, se contentent de passer s’assurer qu’il n’y a pas de vols. « Il n’y a pas de retour possible tant que les infrastructures ne sont pas réparées », juge ce père de famille.
Dans les quartiers septentrionaux, le déploiement des combattants bloque l’évaluation des destructions, qui pourrait durer plusieurs semaines. Les humanitaires craignent que des engins non explosés soient disséminés dans les ruelles : elles devront être passées au peigne fin. A défaut de pouvoir accéder à cette zone, l’UNRWA a fait son retour dans la partie sud, où des combats ont aussi eu lieu. Un de ses centres de santé a rouvert, mardi, où se pressaient adultes et enfants, « durement éprouvés » par les combats, a constaté sur place Dorothee Klaus, directrice de l’agence au Liban.
Destruction difficilement tolérable
Les images des dégâts dans les écoles, du côté nord, laissent penser que la rentrée, prévue le 1er octobre, sera retardée. La représentante ne décolère pas devant le fait que les combattants aient investi un complexe scolaire. La protection des lieux avait été renforcée il y a quelques années pour garantir la sécurité des élèves en cas de troubles. « Ce côté “forteresse” a été utilisé par les combattants, déplore-t-elle. Il ne s’agit pas que de réparer, mais de réviser l’agencement pour que l’école ne puisse plus jamais servir de lieu d’opérations armées. »
Le mandat de l’UNRWA ne couvre que l’enceinte historique du camp – et non les quartiers qui se sont agrégés, grossissant l’enclave entourée par un mur construit par l’armée. Une réhabilitation globale est nécessaire, « pour ne pas alimenter des tensions », anticipe Dorothee Klaus. A condition de trouver des bailleurs pour la reconstruction, dossier qui doit être prochainement discuté. Des centaines d’habitations ont été endommagées.
Les ultimes combats ont fait craindre une détérioration sécuritaire encore plus grave. Les autorités libanaises souhaitent que le Fatah garde l’avantage dans le rapport de force dans le camp, et ne veulent pas d’une montée des groupuscules extrémistes. Mais les affrontements se sont pour l’instant soldés par un échec pour le Fatah : ils ne lui ont pas permis de mater ses ennemis. Ils ont apporté une destruction difficilement tolérable pour une population réfugiée étranglée par l’effondrement économique, en plus d’être marginalisée de longue date au Liban.