Après la basilique Sainte-Sophie en juillet, c’est le deuxième édifice d’Istanbul que le président Erdogan reconvertit en lieu de culte musulman cet été. Il était très prisé des touristes pour ses remarquables fresques et mosaïques byzantines.
Recep Tayyip Erdogan poursuit sur sa lancée. En l’espace d’un mois, voilà une deuxième église byzantine reconvertie en mosquée dans la capitale économique du pays. Dans un décret publié vendredi au Journal officiel, le président turc ordonne d’«ouvrir au culte» musulman l’église Saint-Sauveur-in-Chora, s’appuyant sur une décision du Conseil d’État rendue en ce sens l’an dernier. Une annonce qui intervient quelques semaines après la reconversion similaire et controversée de l’ex-basilique Sainte-Sophie, classée au patrimoine mondial de l’humanité.
Bien moins connue que Sainte-Sophie, l’église de la Chora est très importante d’un point de vue historique et artistique. Construite par les Byzantins au Ve siècle, elle a été convertie en mosquée après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453. Outre son histoire millénaire rivalisant avec celle de Sainte-Sophie, le monument est surtout connu pour ses magnifiques mosaïques et fresques datant du XIVe siècle, dont une immense composition du Jugement dernier. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’édifice a subi une longue restauration menée par une équipe d’historiens de l’art américains et été ouvert au public en tant que musée en 1958.
Que vont devenir les fresques ?
Les fresques et mosaïques de l’église de la Chora font partie des joyaux de l’art byzantin les mieux conservés au monde. L’annonce de la reconversion en mosquée a suscité des craintes pour leur survie, l’islam interdisant les représentations figuratives. «On dit que certaines mosaïques vont être recouvertes parce qu’elles ne sont pas islamiques. Cela pourrait poser problème aux gens qui aiment ce genre de choses et qui, par conséquent, ne viendront plus ici», souligne à l’AFP Anna Naumova, une touriste russe âgée de 25 ans. En effet, sur les murs et les dômes du monument sont déclinés plusieurs thèmes bibliques comme la Dormition de la Vierge ou la Résurrection.
Plusieurs pistes pourraient être envisagées : les cacher avec des rideaux et des jeux de lumière pendant que les musulmans prient, comme c’est actuellement le cas à Sainte-Sophie. Ou, de manière plus radicale, les recouvrir de chaux, pour les masquer sans les détruire. L’historien Fabrice Monnier, rappelait au Figaro il y a quelques semaines que la Turquie compte plusieurs exemples de fresques chrétiennes dissimulées de façon différente au cours de l’histoire. Rien n’a été annoncé sur ce point et l’incertitude règne. Pour Zeynep Turkyilmaz, historienne et spécialiste de l’Empire ottoman, il sera impossible de les dissimuler temporairement lors des heures de prière comme à Sainte-Sophie, car elles décorent l’ensemble de l’édifice. «C’est l’équivalent d’une destruction, car il est impossible de transformer cette architecture intérieure en la préservant», s’alarme-t-elle.
«Effacer les traces de la civilisation grecque»
Pour nombre d’observateurs, les récentes reconversions d’anciennes églises byzantines visent à galvaniser la base électorale conservatrice et nationaliste du président Erdogan, dans un contexte de difficultés économiques aggravées par la pandémie. Les tensions avec la Grèce y jouent aussi un rôle, selon Mme Turkyilmaz. «Il y a une volonté d’effacer les traces de la civilisation grecque et chrétienne», estime l’historienne. «En mettant la main sur un lieu appartenant à la civilisation grecque, on rappelle aussi à la Grèce sa place d’ancien membre de l’empire que les Turcs dominaient». La Grèce a d’ailleurs vivement dénoncé vendredi la reconversion de l’église de la Chora, y voyant «une autre provocation envers les croyants et la communauté internationale». «Un autre symbole de l’histoire multiculturelle de notre pays a été sacrifié», a critiqué Garo Paylan, député d’opposition du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde).
Selon une journaliste de l’AFP qui a visité le site juste après la publication vendredi du décret de M. Erdogan, l’édifice était toujours ouvert aux visiteurs, contrairement à Sainte-Sophie qui avait immédiatement été fermée avec l’annonce de sa reconversion.