Le pouvoir irakien veut empêcher la tenue d’un référendum sur l’indépendance dans les trois provinces autonomes kurdes.
À peine la menace djihadiste recule-t-elle en Irak qu’un autre danger affleure : lundi prochain, les Kurdes des trois provinces autonomes du nord du pays ont prévu de tenir un référendum sur leur indépendance. La plupart de leurs leaders répètent qu’ils n’ont pas « d’autre choix » pour garantir les droits des Kurdes – entre 15 et 20% de la population irakienne -, durement réprimés par le régime de Saddam Hussein, jusqu’à sa chute en 2003. Même s’il ne s’agit que d’une étape en vue d’une lointaine indépendance, la consultation menace l’unité d’un pays déjà fragmenté.
Conforté par l’opposition de la communauté internationale à ce référendum, le gouvernement central de Bagdad est vent debout et se fait menaçant. « Quand j’ai parlé aux ambassadeurs européens de cette question, affirme au Figaro Hadi al-Ameri, le tout-puissant chef de la Mobilisation populaire, qui participe à la guerre contre Daech, je leur ai dit que si on ne peut pas empêcher Massoud Barzani (le président du Parlement autonome kurde, NDLR) de tenir le référendum, la confrontation sera certaine. On ne pourra pas éviter la guerre. »
Alors que le Parlement kurde – qui ne s’était pas réuni depuis deux ans – a ratifié le référendum (par 65 voix sur 68 présents, 43 députés étant absents), le Parlement central à Bagdad l’a rejeté, son président, Salem Jabouri, demandant au premier ministre Haidar alAbadi de «prendre toutes les mesures pour protéger l’unité de l’Irak». Samedi, al-Abadi, à son tour, a froncé les sourcils, déclarant que « si la population irakienne était menacée par l’usage de la force en dehors de la loi, nous interviendrons militairement » contre les Kurdes.
Ces derniers prévoient de tenir la consultation dans leurs trois provinces autonomes, mais aussi à la périphérie de celles-ci dans des « zones disputées » avec Bagdad que les Kurdes contrôlent, depuis le blanc-seing donné par les Américains en 2003. Et c’est là que réside le principal danger de confrontation, notamment dans la riche province pétrolière de Kirkouk, que les Kurdes ont encore conquise lors de l’avancée de Daech en juin 2014, sans laquelle leur rêve d’indépendance n’est pas viable. «Tenir le référendum dans les zones disputées est particulièrement provocateur et déstabilisant», a averti vendredi la Maison-Blanche, qui appelle Massoud Barzani à renoncer au référendum et à entrer en négociations avec Bagdad. « Un référendum à Kirkouk et dans toutes les zones disputées est une ligne rouge », gronde Hadi al-Ameri. Selon l’ancien chef de la milice chiite Badr, entraînée et formée en Iran jusqu’à la chute de Saddam Hussein, «les Kurdes agissent en contradiction avec la Constitution irakienne. Les habitants des zones disputées sont désarmés. Des Turkmènes, des Yazidis, des Arabes et des Shabaks refusent le référendum. »
La semaine dernière, le Parlement irakien a démis de ses fonctions le gouverneur kurde de Kirkouk, qui a rejeté cette décision. Le danger de confrontation est accru par la présence dans ces zones, non loin des combattants kurdes, de miliciens chiites déployés à la faveur de la guerre contre Daech. Massoud Barzani exige, depuis des mois, leur départ. « Pas question », répond Hadi al-Ameri, arguant que le combat antidjihadiste n’est pas terminé. «Face à la décision prise par Barzani de déployer les pechmergas dans ces zones, le gouvernement irakien entrera en confrontation avec les Kurdes, c’est inévitable», prévient Hadi al-Ameri.
Pour éviter que la guerre des mots ne dégénère en affrontements, Américains, Britanniques, Français, mais aussi Iraniens et Turcs ont multiplié les pressions sur Barzani. Pour Washington, l’initiative kurde remet en cause la guerre, bien avancée contre Daech, après les victoires à Mossoul et Tal Afar, alors que le prochain front sera précisément dans cette province disputée de Kirkouk, à Hawija, à 70 km plus à l’est. Mais alors que les forces irakiennes ont pris position non loin de Hawija, al-Abadi a d’ores et déjà demandé aux Kurdes de ne pas s’en approcher. En riposte, des renforts de pechmergas se seraient déployés dans d’autres secteurs de cette province de tous les dangers.
De leur côté, les voisins turcs et iraniens des Kurdes redoutent que ce référendum attise les appétits séparatistes de leurs propres minorités kurdes. Téhéran dispose de relais au sein des Kurdes irakiens, divisés sur cette initiative jugée dangereuse par certains, compte tenu de leur isolement. « Les Kurdes vont quand même trop loin », regrette Hamid, un Irakien.
Le premier ministre espère encore que le dialogue évitera la confrontation avec Massoud Barzani, qui compte utiliser le oui attendu au référendum pour consolider sa position dans des négociations avec Bagdad sur un divorce. Mais Haidar al-Abadi est sous pression. « Jusqu’à maintenant, nous avons réfréné la Mobilisation populaire d’attaquer, mais ça ne durera pas toujours », aurait confié l’Iranien Qassem Soulaimani, toutpuissant patron de la Force al-Qods, à un responsable kurde irakien.