La récente promotion du général Asef Chawkat, passé le 13 septembre 2011 du poste de chef d’état-major adjoint des forces armées syriennes à la fonction de vice-ministre de la Défense, offre une illustration intéressante des difficultés dans lesquelles se placent eux-mêmes les régimes fonctionnant, comme le régime syrien, sur une base étroitement familiale.
Dans un pays comme la Syrie, où le détenteur du portefeuille de la Défense n’a aucune influence réelle sur la chose militaire, comme l’a démontré la présence à ce poste durant 31 ans (de 1972 à 2003) du général Moustapha Tlass, la fonction de vice-ministre de la Défense ne représente rien. Si, pour tout autre que le général Asef Chawkat, cette nomination aurait pu malgré tout constituer une forme d’avancement, elle se réduit pour celui qui est déjà le beau-frère du chef de l’Etat au passage d’une étagère d’argent à un placard doré. Surtout, elle trahit l’embarras de Bachar Al Assad et de son entourage familial quant au sort à réserver à ce personnage proche et puissant, devenu depuis quelques années singulièrement encombrant.
Tout le monde sait en Syrie que Asef Chawkat est né en 1950 dans le village d’Al Madhaleh, dans le gouvernorat de Tartous. Simple officier du service de renseignements de l’armée de terre, marié et père de cinq enfants, il fait intrusion dans la famille présidentielle dans la seconde moitié des années 1980, en séduisant Bouchra Al Assad, fille aînée de Hafez Al Assad, qui a dix ans de moins que lui et dont il est chargé d’assurer la protection. La perspective de voir leur sœur épouser Asef ne suscite aucun enthousiasme parmi ses frères, qui font tout pour la dissuader et convaincre leur père de s’opposer à ce projet. Certes, l’homme a la réputation d’être volontaire et courageux. Mais son extraction est modeste. Et il n’est pas alaouite, même s’il a grandi parmi des alaouites. Il est en effet issu de la tribu sunnite des Arab Bani Khaled, sédentarisée dans un environnement alaouite sur la frontière de la Syrie avec le Liban, entre Tartous et le ‘Akkar.
La disparition brutale de Basel Al Assad, en janvier 1994, ôte un obstacle de taille devant ce projet matrimonial. Hafez Al Assad lui donne finalement son consentement, en 1995, compte-tenu de la résolution manifestée par sa fille et du scandale provoqué par le concubinage et la fuite momentanée des deux étourneaux. Mais elle ne suffit pas à aplanir toutes les difficultés et à établir une ambiance de parfaite sérénité entre Asef Chawkat et ses autres beaux-frères. En 1999, une altercation avec le jeune Maher Al Assad, portant sur les agissements de l’oncle de ce dernier, Rifaat Al Assad, aurait pu avoir pour lui des conséquences funestes. Connu pour avoir la tête près du bonnet, Maher Al Assad, excédé d’entendre son beau-frère se mêler de choses qui ne regardaient selon lui que « la famille » au sens le plus étroit du terme, ouvre le feu sur lui à bout portant, le blessant à l’abdomen.
A son retour de France, où il a été traité au Val de Grâce, Asef Chawkat se réconcilie avec Maher. Il peut dés lors poursuivre sa carrière et son ascension dans le service de renseignements de l’armée de terre. Il bénéficie de la mise à la retraite progressive, par Hafez Al Assad, des responsables sécuritaires peu enthousiastes à la perspective de voir le pays bientôt confié à celui qu’il prépare pour lui succéder, Bachar Al Assad. Lorsque le général Hasan Khalil remplace le très redouté Ali Douba à la tête des renseignements militaires, en 2000, Asef Chawkat en devient officiellement le deuxième adjoint. Mais, en réalité, lorsque que Bachar Al Assad prend les rênes du pouvoir, en juillet de la même année, le mari de Bouchra est déjà considéré comme le véritable homme fort de ce service… et par le fait même de la Syrie. Il lui faut toutefois attendre le 14 février 2005, pour en prendre le commandement. Quelques rares amis étrangers assistent à cette transmission de pouvoir, dont le hasard seul, personne n’en doute, fait coïncider la date avec l’attentat dans lequel l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Al Hariri et plus d’une vingtaine d’autres personnes perdent ce jour-là la vie à Beyrouth.
Mis en difficulté par les suites de cette affaire, dont la responsabilité est immédiatement attribuée à la Syrie, Bachar Al Assad ne tarde pas à éprouver des doutes sur la totale fidélité à son endroit de son beau-frère. Les relations de confiance que celui-ci a établies avec les responsables de la lutte antiterroriste aux Etats-Unis et en Europe, au lendemain du 11 septembre 2001, et les services rendus par lui aux Américains en quête d’experts dans « l’art d’interroger les suspects », peuvent en effet conduire un certain nombre de chancelleries occidentales à voir dans Asef Chawkat une alternative à l’actuel chef de l’Etat, au cas où il serait nécessaire de favoriser en Syrie un changement dans la continuité. Compte-tenu de sa fonction, Asef Chawkat est soupçonné d’avoir contribué à la préparation et à la réalisation de l’attentat contre Rafiq Al Hariri. Il a d’ailleurs été interrogé par la commission d’enquête internationale et, en octobre 2005, son nom figure avec celui de Maher Al Assad dans la version « divulguée par erreur » du rapport du juge Detlev Mehlis. Mais, comme on le sait, souvent nécessité fait loi. Et faire passer Asef Chawkat pour le « véritable réformateur » de la famille présidentielle – suivez mon regard… – pourrait aider à faire passer la pilule.
Les soupçons sur ses intentions sont alimentés par les efforts déployés par Asef, titulaire d’un doctorat en Histoire pour un travail portant sur la période du mandat français en Syrie, en vue de nouer et entretenir des relations avec les intellectuels. Cette prérogative était réservée jusqu’alors au seul général Bahjet Sleiman, fidèle d’entre les fidèles du chef de l’Etat, auquel il avait servi de cornac durant ses quelques années d’apprentissage. Mais, Bahjet Sleiman est écarté de son poste de chef de la branche intérieure de la Sécurité d’Etat (Renseignements Généraux), en juin 2005, à la suite du 10ème congrès du Parti Baath, pour être mis à la disposition de l’état-major. Il quitte d’ailleurs bientôt le pays pour occuper le poste d’ambassadeur de Syrie à Amman.
Les soupçons sont entretenus ensuite par l’insistance de Asef à recentrer le service qu’il dirige sur ses missions particulières, une manière comme une autre d’inciter les autres services à faire de même. Ce choix trahit de sa part comme une réticence à s’impliquer dans la répression qui continue alors de s’abattre sur les opposants et activistes de la société civile.
Défenseurs des Droits de l’Homme, membres de la Déclaration de Damas et signataires du Communiqué Beyrouth-Damas Damas-Beyrouth ont alors à faire au général Ali Mamlouk, chef des Renseignements généraux, auquel Bachar Al Assad confie un rôle pivot dans son dispositif sécuritaire.
Ils sont enfin confortés par les ambitions manifestées par sa femme. A cette époque, Bouchra Al Assad a sans doute définitivement renoncé à briguer pour elle-même la présidence. On raconte en effet que, en 1994 à la mort de Basel, elle avait fait valoir que, puisque succession dynastique il y avait, elle était mieux à même de remplacer l’héritier présomptif que « son imbécile de frère », selon ses propres termes. En revanche, elle n’a jamais cessé de mettre son énergie et son influence au service de l’ascension de son époux, auquel il ne reste que quelques échelons à gravir pour parvenir au sommet de l’Etat. Or Bouchra sait ce qu’elle veut. Asma Al Akhras, femme de Bachar Al Assad, pourrait en témoigner, elle qui a subi des avanies durant des années de la part de sa belle-sœur avant d’obtenir enfin, en 2007, le titre de « Première Dame » de Syrie, jusqu’alors réservé par la volonté de Bouchra à sa mère Aniseh Makhlouf, femme du défunt « président éternel ».
Les doutes que Bachar Al Assad éprouve sur la fidélité de son beau-frère sont confirmés d’abord par la nomination à son côté, en juin 2006, du général Ali Younes. Peu apprécié de Asef Chawkat, qui cherchait depuis un moment à écarter l’intéressé de la direction du « Bureau des Officiers », un poste hautement stratégique puisqu’il permet de contrôler l’ensemble des nominations au sein de l’armée, le nouveau directeur adjoint de la sécurité militaire, qui cumule sa nouvelle fonction avec l’ancienne, est chargé de rendre compte directement à Bachar Al Assad de l’ensemble des agissements et contacts de son beau-frère. Le chef de l’Etat veut évidemment contrôler ses relations et vérifier que Asef le tient bien informé de tout ce qui concerne la sécurité du pays et la stabilité du régime. Ses doutes sont aussi confirmés par la vague d’affectations entreprises d’un commun accord entre Ali Younes et le général Mohammed Sleiman, conseiller militaire et sécuritaire au Palais présidentiel, qui aboutit à écarter de leurs postes plusieurs personnalités proches de Asef Chawat, que celui-ci avait installées au cours des quelques mois écoulés.
Les agression et attentats dont la Syrie est le théâtre, entre l’automne 2007 et l’été 2008, sont fatals à Asef Chawkat. On lui reproche en effet d’avoir failli à prévenir l’attaque aérienne israélienne contre le site nucléaire d’Al Kibar, sur la rive septentrionale de l’Euphrate en amont de Deïr al Zor (6 septembre 2007). On l’accuse de n’avoir pas assuré au responsable militaire du Hizbollah, Imad Moughniyeh, la protection dont il avait besoin à Damas, où il est victime d’un attentat à la voiture piégée (12 février 2008). Et on le suspecte plus ou moins d’avoir trempé dans la liquidation du général Mohammed Sleiman, en charge du dossier nucléaire syrien et de l’approvisionnement en armes du Parti de Dieu au Liban, assassiné sur la terrasse de son chalet de la plage des Sables d’Or, près de Tartous (3 août 2008).
La suspicion qui entoure désormais Asef Chawkat se traduit par la remise des enquêtes sur ces trois affaires à un autre proche parent de Bachar Al Assad, Hafez Makhlouf, frère cadet de l’homme d’affaires et gestionnaire des avoirs de la famille présidentielle, Rami Makhlouf.
Bénéficiant d’un total blanc seing présidentiel, celui qui n’est encore que colonel de la Sécurité d’Etat et sur qui Bachar Al Assad se repose pour surveiller certains de ses collègues, peut se présenter dans les services qu’il veut et se faire remettre directement, sans en référer à leurs chefs, les dossiers auxquels il estime devoir s’intéresser, dans le cadre de ces enquêtes.
Les Syriens ne doutent plus qu’il y a de l’eau dans le gaz au sein de la famille présidentielle, lorsqu’ils apprennent que Bouchra Al Assad a installé ses quartiers d’hiver, fin 2007, aux Emirats Arabes Unis, où elle réside à demeure avec les 5 enfants du couple. Elle regagne son pays au cours de l’année 2009, au terme d’un arrangement qui lui offre, ainsi qu’à Asef, les garanties qu’elle a réclamées. Mais la menace qu’elle a brandie, de révéler tout ce qu’elle sait sur différents sujets sensibles pour ses frères Bachar et Maher, au cas où l’on toucherait à un seul cheveu de son mari, continue de planer sur les relations familiales.
Le 1er juillet 2009, Asef Chawkat bénéficie de ce que la presse officielle s’empresse de qualifier de « double avancement » : il passe du grade de liwâ’ à celui de ‘imâd, et il est promu du poste de directeur du service de renseignements de l’armée de terre à celui de chef d’Etat-major adjoint, en charge des questions de sécurité. Cette nomination aurait constitué une véritable promotion si Asef Chawkat avait pu cumuler, comme l’un de ses prédécesseurs, le général Ali Douba, les deux fonctions. Mais ce n’est pas le cas, et la comparaison est à son désavantage : contraint de délaisser le service qui contribuait jusqu’alors à sa puissance, il apparaît désormais en position de faiblesse et pour tout dire marginalisé.
Cette décision passe mal. Asef Chawkat ne se rend guère à son nouveau bureau où aucun travail effectif ne lui est demandé. Sa femme, Bouchra Al Assad, qui a beaucoup perdu de son influence au sein même de la famille avec la dégradation de la santé de sa mère, ne peut plus lui venir en aide. Il espère qu’une nomination comme vice-président de la République pour les questions militaires et de sécurité, un poste jadis créé sur mesure pour Rifaat Al Assad par son frère Hafez Al Assad, lui confèrera à nouveau une certaine autorité. Son espoir se reporte ensuite sur le poste de secrétaire du nouveau Conseil National de Sécurité, qui a été institué par décret présidentiel en juillet 2009 pour remplacer, sous l’égide directe du chef de l’Etat, le Bureau de la Sécurité Nationale jusqu’alors placé sous l’autorité formelle d’un membre du commandement régional du Parti Baath. Mais, une fois encore, son attente est déçue, les lourdeurs du système syrien entravant – ils continuent d’ailleurs d’entraver jusqu’à aujourd’hui… – le passage de l’ancienne structure à la nouvelle. Le 6 mai 2010, pour faire taire les rumeurs qui se développent en Syrie sur la marginalisation définitive de l’ancien chef de la sécurité militaire et son mécontentement, le chef de l’Etat l’invite à siéger… en bout de table, lors du banquet organisé à l’occasion de la Fête des Martyrs.
La mesure dont Asef Chawkat paraît le bénéficiaire, le 13 septembre 2011, alors que la révolution en Syrie entre dans son septième mois, indique en réalité que Bachar Al Assad ne sait plus que faire de son encombrant beau-frère. Cette « promotion » s’inscrit en effet dans une séquence qui démontre que, s’il faut sauver la face des uns et des autres et continuer à « faire comme si » le mari de Bouchra comptait toujours dans la décision, il en va dans les faits tout autrement.
– Le 8 août, le chef de l’Etat remercie le ministre de la Défense, le général Ali Habib Mahmoud, en fonction depuis le 3 juin 2009. Les raisons de ce renvoi ne sont pas claires. Certains évoquent les problèmes de santé de l’intéressé. D’autres parlent de divergences de vue entre le commandant en chef adjoint des forces armées syriennes et leur commandant en chef, Bachar Al Assad, sur le niveau d’engagement de l’armée dans la répression des troubles, dans la ville de Hama en particulier. Des rumeurs ayant aussitôt indiqué que le général Ali Habib avait été retrouvé mort, assassiné à son domicile, le régime estime nécessaire de démontrer qu’il n’a pas été « suicidé ». Il apparaît, dès le lendemain, sur la chaîne de télévision officielle pour lire une déclaration dans laquelle il confirme qu’il a pris l’initiative de renoncer à sa fonction du fait de son état de santé.
– Au poste de ministre de la Défense laissé vacant, Bachar Al Assad désigne le même jour le général Dawoud Rajiha, qui avait déjà succédé au général Ali Habib à la direction de l’état-major. Pour occuper ce dernier poste, le chef de l’Etat fait appel, le 11 août, au général Fahd Jasem Al Farij, qui était jusqu’alors, avec Mounir Adanov et Asef Chawkat, l’un des adjoints du général Rajiha.
– Enfin, le 13 septembre, le chef de l’Etat nomme son beau-frère ministre adjoint de la Défense.
En cette période troublée, le choix de Dawoud Rajiha, qui est chrétien, et celui de Fahd Al Farij, qui est issu d’une tribu sunnite sédentarisée des environs de Hama, s’expliquent par le souhait du régime d’impliquer toutes les communautés dans la répression, dans l’espoir d’écarter l’accusation de mener une guerre confessionnelle contre la population. Mais les Syriens ne peuvent s’empêcher de se demander pourquoi le poste de chef d’état-major n’a pas été attribué à l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, autrement dit, à Asef Chawkat. La réponse ne fait guère de doute : ni Bachar Al Assad, ni son frère Maher Al Assad, patron de la 4ème division et responsable sur le terrain de la répression ordonnée par le chef de l’Etat, ne souhaitaient remettre le pied à l’étrier à leur beau-frère et lui conférer une autorité quelconque sur l’ensemble de la troupe. Compte-tenu de son autorité personnelle et des réseaux qu’il entretient dans l’armée, il aurait pu, à l’inverse de Dawoud Rajiha, en faire bon usage. C’est donc pour ne pas laisser perdurer une situation incongrue, problématique dans toutes les armées du monde, que Bachar Al Assad a finalement offert à Asef Chawkat une compensation symbolique avec le poste de ministre adjoint de la défense.
Le chef de l’Etat est en quelque sorte limité dans sa capacité de manœuvre vis-à-vis de son beau-frère par le fait que, si Asef est le père des cinq enfants de sa sœur, il est aussi lié par mariage à la famille Makhlouf qui est celle de sa mère. Son fils aîné Ziyad Asef Chawkat, né de sa première épouse, est en effet marié à l’une des filles de Mohammed Makhlouf, Abou Rami, oncle maternel de Bachar Al Assad. Ce dernier aurait sans doute préféré trouver une solution plus radicale, surtout dans le contexte actuel de fortes pressions sur son régime. Mais il manque d’alternative. En d’autres temps, menacé à l’intérieur par les ambitions de pouvoir de son frère Rifaat, en 1985, Hafez Al Assad avait trouvé la solution en envoyant son cadet dépenser ses sous à l’extérieur. Mais, alors que les pressions auxquelles il est soumis sont aujourd’hui tout à la fois intérieures et extérieures, Bachar Al Assad n’a pas d’autre issue que de tenter de donner le change aussi longtemps qu’il le pourra. Tout est bon, à commencer par une promotion sans signification, pour interdire à quiconque d’imaginer possible de trouver, au sein de sa propre famille, la pierre d’achoppement susceptible de contribuer au renversement de son régime.
http://syrie.blog.lemonde.fr/2011/10/02/asef-chawkat-ou-comment-s’en-debarrasser/
Asef Chawkat ou comment s’en débarrasser ?
OK très bien
Asef Chawkat ou comment s’en débarrasser ?
Bonjour je cherche actuellement à faire des partenariats avec des sites intéréssants comme le votre, comment vous contacter ? Merci!
Asef Chawkat ou comment s’en débarrasser ?
Un marigot exceptionnel! Et des hôtes qui le sont tout autant! Et dire que ces gens-là ont pu -et continuent de..?- bénéficier d’appuis dans nos démocraties, Europe et US. Décidément, le sang d’un Arabe assassiné par un « responsable » arabe ami de l’Occident ne vaut pas un clou. Rien. Idem pour le sang de dizaines de milliers d’Arabes, civils, dont un contingent d’enfants : Rien.