L’armée ukrainienne, qui a repoussé les assauts russes autour de Kiev et de Kharkiv, cherche à éviter un enlisement.
LE MERCREDI 24 AOÛT est doublement symbolique. Il marque le sixième mois de l’agression de la Russie contre le territoire ukrainien et le 31e anniversaire de son indépendance après la dislocation de l’URSS. Mais la fête nationale ne sera pas célébrée. Depuis plusieurs jours, le président Zelensky a dit craindre que Moscou, à cette occasion, ne fasse « quelque chose de dégoûtant et de cruel ». Les services de renseignements ukrainiens, de leur côté, affirment que des unités supplémentaires russes ont été déployées en Biélorussie et qu’au moins deux bâtiments, capables de projeter des missiles de croisière, sont en mer Noire.
La capitale de l’Ukraine renoue ainsi avec l’angoisse des derniers jours de février, quand l’armée russe était à ses portes. Les combats, dans les faubourgs, ont marqué un premier tournant. Cette guerre que beaucoup de commentateurs, et sans doute le Kremlin, imaginaient courte et victorieuse pour l’attaquant a déjoué les pronostics. Les soldats ukrainiens ont harcelé les lourdes colonnes russes, coupant les premières lignes de leur logistique. Le résultat fut que l’offensive éclair a tourné à la déroute. Fin mars, les troupes d’invasion durent se retirer de cet axe. La domination russe dans les airs, là encore attendue, n’a plus eu lieu. La défense antiaérienne de Kiev continue de veiller. En mer, le bilan n’est pas meilleur pour Moscou. Le naufrage du Moskva, son bâtiment amiral, en mer Noire, puis l’abandon de la très stratégique île aux Serpents a sonné le glas de ses ambitions maritimes.
La guerre continue tout de même, particulièrement sanglante. Dans le Donbass, dans l’est du pays, les combats ne fléchissent pas depuis six mois. Autour de Bakhmout, Siversk ou Kodema, d’intenses batailles font rage. Les armes modernes n’ont en rien empêché ce combat de près, où l’artillerie domine. Les apports d’armes occidentales à l’Ukraine, notamment les obusiers M777 et les lance-roquettes Himars américains, n’ont pas permis d’effacer l’avantage russe. Sur les arrières du front, on croise des soldats ukrainiens épuisés par la violence et l’intensité des combats. L’état-major ukrainien a reconnu lundi que 9 000 hommes étaient déjà tombés. Côté russe, alors que la stratégie semble de plus en plus brumeuse, les pertes sont sans doute plus lourdes encore. Les services américains estiment à 60 000 le nombre de Russes morts ou hors de combat sur les 150 000 lancés en Ukraine. Pour pallier ce manque, Moscou, qui n’a pas mobilisé, s’est lancé dans une coûteuse campagne de recrutements d’hommes à la motivation chancelante. Côté ukrainien, les problèmes d’effectifs se font aussi jour. Régulièrement, les nombreux checkpoints se transforment en centres de recrutement. Tous les hommes qui y passent se voient remettre une convocation pour se rendre dans les centres d’enregistrement.
Au final, ces quelque 180 jours de guerre n’auront offert à la Russie que la prise de quelques villes, dont Marioupol, rasée sous les bombes de son artillerie, coûtant la vie de milliers de civils. Kherson est la seule capitale régionale empochée par l’armée russe.
Couper les lignes russes
C’est désormais là, au moins dans les intentions affichées par Kiev, que la guerre devrait se jouer. Des responsables annoncent depuis des semaines leur intention d’y mener une offensive. Cette stratégie étrange a toutefois permis un second tournant dans le conflit. La Russie, a, selon le ministère de la Défense britannique, relocalisé de nombreuses forces dans le sud de l’Ukraine. Cette réaction montre que pour la première fois l’Ukraine a pris l’initiative. L’attaque terrestre n’aura peut-être pas lieu. « Nous sommes pour l’instant à un contre un. Pour attaquer, il nous faut être à trois contre un», confiait récemment le général Dmytro Marchenko, commandant de la ville de Mykolaïv, face à Kherson. L’Ukraine ne pourrait guère se permettre un assaut frontal contre cette cité où demeurent des milliers de civils. Cela ne veut pour autant pas dire que l’offensive se résume à un effet d’annonce.
Sur Twitter, le général australien Mick Ryan estime que la stratégie de Kiev, plus que sur « l’attrition », repose sur la « corrosion ». « Il s’agit, comme à Kiev, de couper les lignes logistiques russes, mais à une plus large échelle. » Les premiers signes sont déjà là, avec les attaques, certes jamais revendiquées, d’un aéroport militaire et d’un dépôt de munitions en Crimée. Les trois ponts au-dessus du Dniepr, qui relient Kherson à la rive gauche, sont régulièrement bombardés. Au moins l’un d’entre eux serait, depuis lundi, largement hors d’usage. Une victoire sur ce front serait d’une importance symbolique et stratégique majeure. Mais elle ne résoudrait pas le premier risque qui pèse aujourd’hui sur Kiev. Celui de voir le conflit se geler sur une ligne de front difficilement franchissable par l’un ou par l’autre des camps.