Cette rubrique existe depuis 16 ans déjà. Elle a débuté modestement comme « opinion » d’un universitaire impliqué, en tant que citoyen, dans le débat public. À aucun moment, cette rubrique n’a cherché à adopter l’ambiguïté de la neutralité anonyme. Être objectif ne signifie pas être sans opinion.
Durant 16 ans, ces colonnes ont invariablement maintenu le cap d’une conception du Liban comme État moderne postwestphalien; un État souverain ouvert et pluriel où l’homme libre s’honore d’une citoyenneté fondée sur la loi et non sur l’identité. De semaine en semaine, ces colonnes ont témoigné pour l’esprit de la citadinité, cadre naturel du vivre-ensemble à l’ombre de la règle du droit et de la loi. Ce sont les lecteurs qui ont fait de cette rubrique ce qu’elle est devenue au fil des ans : un témoignage pour le génie immortel de la citadinité, du politique centré sur une cité inclusive d’un territoire et non sur un conglomérat consensuel de tribus.
Ces colonnes n’ont cessé d’affirmer la valeur éminente de la personne humaine, en elle-même et non dans son appartenance à une identité collective. En bref, cette rubrique a fait l’effort de refléter la quintessence du Liban et de son message au monde : l’antithèse d’une théocratie et le contraire absolu des ghettos identitaires. C’est pourquoi nombreux sont les échos de l’agora qui ont violemment pris à partie les crispations identitaires qui ne reconnaissent pas la primauté en dignité de l’être humain en tant que sujet autonome, membre de l’unique famille humaine.
Depuis octobre 2019, cette rubrique a vibré avec l’enthousiasme d’une jeunesse en révolte contre les caciques mafieux d’un Liban obsolète, celui des notables, des dynasties de notables, des honorables familles affairistes et de toute la nébuleuse glauque de réseaux imperméables à la recherche du bien commun selon les règles constitutionnelles. La férocité de l’attaque contre l’enquête judiciaire sur la double explosion à Beyrouth, les violences bestiales du 14 octobre courant sont là pour affirmer que le Liban a cessé d’être un État. Certes, c’est une contrée occupée par l’Iran, mais grâce à la complicité de libanais ivres de la volonté de puissance.
Déjà, en 2005, après l’assassinat de feu Rafic Hariri et de la série de meurtres politiques qui suivirent, cette rubrique fut pionnière en pointant du doigt le régime des mollahs de Téhéran alors que tout le monde ne parlait que du couple sécuritaire syro-libanais. Dans un papier prémonitoire de juin 2006 intitulé « La revanche de Darius III », nous faisions état de la possibilité d’un conflit imminent qui eut lieu un mois après. Notre papier s’achevait sur cette conclusion : « Quelle que soit la réponse que l’avenir réserve, nous pouvons déjà affirmer : quelle belle revanche pour Darius III. » Seize ans plus tard, qui oserait affirmer que Darius III et Chosroes II n’ont pas pris leur revanche sur Alexandre et Héraclius ? La Méditerranée orientale est de nouveau sous contrôle iranien. Le Liban est entièrement sous la botte des héritiers des Achéménides, des Sassanides et des Séfévides.
Dès 2011 et le déclenchement du soulèvement syrien, nous mettions en garde contre la collusion de certains groupes chrétiens avec le régime sanguinaire de Damas. L’intervention du Hezbollah en Syrie fut l’occasion de signaler le danger de la disparition de la frontière libano-syrienne au profit d’une sorte de nouvelle satrapie perse de Transeuphratène qu’on peut appeler Syrie-Utile, voire Méga-Liban, et qui serait l’enclos sous garde iranienne de l’alliance des minorités, si chère au régime libanais actuel et à sa base chrétienne.
Durant toutes ces années, ces colonnes ont maintenu le cap. En matière de souveraineté de l’État et de dignité du citoyen, toute neutralité face à l’occupant devient trahison suprême. Les foules du 17 octobre ont été incapables de devenir un peuple. Elles sont demeurées des « foules » et se sont délitées en une multitude de groupuscules affichant l’illusion que le processus démocratique achèvera ce qu’ils appellent « révolution ». Qu’ils soient rassurés, tout scrutin législatif sous occupation étrangère ne fera que légitimer l’occupant.
Cette rubrique a tout dit en 16 ans. L’heure maintenant n’est plus à l’analyse et à la critique. L’heure n’est plus à la parole structurée mais à l’action planifiée. Cette rubrique, comme tribune, a rempli sa mission.
L’heure aujourd’hui est à l’union sacrée de tous, sans exception, en vue de la reconquête de l’État et de la libération du pays.
L’heure est à l’initiative d’un vrai leadership qui entreprendrait une Longue Marche, à la Mao, ou une Marche sur Rome, à la Mussolini, en partant d’un coin du pays non contrôlé par l’occupant. En chemin, le peuple acclamera l’initiative et l’aidera à arriver à destination, c’est-à-dire à Beyrouth où le vide politique fait que le pouvoir est à prendre.