David Thomson, grand reporter et écrivain, devenu la référence sur le djihadisme, brise son silence pour « Le Figaro ».
Exilé aux États-Unis après des menaces de mort, David Thomson se taisait depuis un an. Le débat sur le sort à réserver aux combattants de Daech l’a poussé à sortir de son silence. En exclusivité, le Prix Albert-Londres, auteur des Revenants, se confie au Figaro. Pour lui, «la déradicalisation institutionnelle est une chimère » et « il est impossible de s’assurer de la sincérité du repentir d’un djihadiste ». Il révèle les raisons de son départ et alerte sur le danger représenté par le retour des djihadistes français.
« DAVID THOMSON, ou la personne qu’on a envie d’inviter aux soirées, car il met une bonne ambiance », avait tweeté, un jour, une consoeur pour plaisanter. Il est vrai que le grand reporter au look de dandy n’a jamais fait dans l’«information positive ». Pendant six ans, il a pratiqué « un journalisme d’anxiété qui ne prévoit et n’annonce que de mauvaises nouvelles ». Il est devenu la référence sur le djihadisme. Le seul journaliste à avoir approché les combattants de l’État islamique d’aussi près, à avoir su gagner leur confiance, nouer des liens au point que ces derniers le contactaient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Le seul à s’être immergé dans cet univers de violence et de morbidité jusqu’à risquer sa propre vie.
Tout a commencé en 2011 à Tunis, peu après la chute de Ben Ali. Thomson, qui couvre les printemps arabes pour RFI, aperçoit sur le bord d’une route un stand de prédication orné de drapeaux noirs. Il s’arrête et discute. La « radicalité » décomplexée du discours et son succès auprès de la jeunesse tunisienne au lendemain de la révolution l’interpellent. Un an plus tard, il scelle pour la première fois de véritables relasein tions avec des djihadistes. Alors qu’il filme la réunion d’un parti salafiste discutant charia et jurisprudence islamique sur le droit des femmes, deux jeunes à la longue barbe et à la moustache rasée l’abordent. Très influents au du mouvement djihadiste tunisien, ces derniers vont y introduire le journaliste.
Pour Thomson, c’est le début d’une plongée de cinq ans. Alors que ses confrères s’abreuvent de sources secondaires (PV de gardes à vue, vidéos parues sur le Web), il travaille avec les djihadistes eux-mêmes et suivra certains d’entre eux jusqu’à leur mort. En 2014, il en tire un premier livre puissant. Les Français jihadistes (Les Arènes), fondé sur des entretiens menés durant plus d’un an avec une vingtaine d’entre eux, peint leurs premiers pas au sein de l’État islamique et tire la sonnette d’alarme quant au risque d’attentat en France. Hélas, le lanceur d’alerte ne sera pas entendu (lire encadré). Deux ans plus tard, avec près de 240 morts et le triple de blessés, le terrorisme est dans tous les esprits. Tandis que les fameux « experts » continuent à avoir l’oreille des politiques, qui déversent des centaines de milliers d’euros en pure perte dans la «déradicalisation», une autre menace pointe déjà à l’horizon. Alors que l’État islamique entame son déclin militaire, la courbe des départs et des retours de djihadistes commence à s’inverser. Thomson est le premier à mesurer le danger.
Dans Les Revenants (Seuil), document terrifiant qui mêle enquête et analyse, il peint les djihadistes à l’heure du retour sur le sol français. Le contact et la distance, c’est toute la force du travail de Thomson. S’il est proche de ses sources, c’est pour mieux décrypter leurs motivations et leur idéologie. Les Revenants nous donne ainsi à comprendre comme jamais l’univers mental des combattants de Daech. Les djihadistes ne sont ni des déséquilibrés ni des damnés de la ter- re, mais, pour la plupart, des jeunes issus de l’immigration en mal de reconnaissance et habités par un projet théologico-politique. « L’État islamique propose à ces ego froissés une dignité, un statut, une revanche sociale et la foi en une transcendance spirituelle », écrit-il. Il bat aussi en brèche le mythe du «djihadiste de bonne famille», qui reste marginal. L’équation « immigration-délinquance-banlieue » se vérifie à quelques exceptions près. «Une majorité d’entre eux a baigné dans la radicalité du “nique la France et la police”», écrit-il. Au point qu’en Syrie cela leur vaut leur mauvaise réputation et l’accusation d’avoir importé de France leur habitus de cité. Les Revenants sonne également comme une mise en garde. «Les djihadistes qui reviennent ne sont pas repentis, prévient-il. La menace pour la France est désormais triple : celle des retours d’éléments formés militairement et missionnés pour tuer; celle des “revenants” déçus mais non repentis, capables de passer à l’acte violent individuellement ; et celle des sympathisants restés en France et pénétrés par ce discours. »
Ce second livre magistral lui vaut le prix Albert-Londres et le grand prix de la presse internationale. Il n’aura pas le temps de savourer son triomphe. Menacé de mort, épuisé psychologiquement, Thomson s’exile à l’étranger avec la ferme intention de tourner la page. Celui que le magazine Vanity Fair décrivait en 2017 comme «un Galilée obstiné à répéter ce qu’on ne savait pas entendre sur les djihadistes» se taisait depuis un an. C’est le débat sur le sort à réserver aux djihadistes arrêtés en zone irako-syrienne ou au Kurdistan qui l’a poussé à sortir du silence.