Le premier ministre est revenu sur le pacte conclu en vue des législatives avec ces groupes paramilitaires, soutenus par l’Iran.
À quatre mois des premières élections législatives qui désigneront le futur homme fort de l’Irak post-Daech, les grandes manoeuvres ont commencé à Bagdad. Et comme souvent dans ce pays fracturé entre groupes politiques, les surprises sont déjà au rendez-vous.
Dimanche, le premier ministre, Haïdar al-Abadi, encore auréolé de sa victoire contre les djihadistes, annonçait qu’il dirigerait sa propre liste, «l’Alliance de la victoire», fort du ralliement de la Mobilisation populaire (MP), ces forces paramilitaires qui ont joué un rôle prépondérant pour chasser Daech d’un tiers du pays. Ce ralliement augurait d’une victoire quasi certaine pour un premier ministre qui, après avoir rebâti une armée, cherche maintenant à dépasser les clivages confessionnels entre chiites, sunnites et kurdes. Mais cette alliance n’aura duré que 24 heures. Lundi, Abadi et la Mobilisation décidaient de concourir séparément aux législatives du 12 mai prochain, dont l’issue redevient incertaine.
Pour le camp Abadi, «le retrait de certains groupes (appartenant à la Mobilisation) est dû au fait qu’ils n’ont pas pu se conformer aux conditions que le premier ministre a posées ». Soucieux de tourner la page d’un confessionnalisme destructeur et d’une corruption endémique, Abadi voudrait composer un gouvernement de technocrates, en y associant davantage la minorité sunnite, comme le lui demandent ses soutiens internationaux dans la guerre contre Daech, États-Unis et France en tête.
En coulisses, les pressions ont redoublé autour d’un premier ministre dont la position est fragile au sein de son propre parti (al-Dawa), principale formation représentant la communauté chiite, la plus nombreuse d’Irak. Aux législatives, Abadi affrontera son prédécesseur, Nouri al-Maliki, issu lui aussi du Dawa, jugé responsable de l’émergence de Daech en raison de sa politique antisunnite menée au cours de son second mandat entre 2010 et 2014. Et c’est entre les deux hommes que la soixantaine de milices issues de la Mobilisation populaire marchande leur soutien. Avec, pour les plus importantes d’entre elles, l’Iran comme discret mais puissant parrain, face aux ÉtatsUnis, qui restent vigilants sur l’avenir d’un pays que leurs 9 000 militaires sur place ont contribué à relever face aux djihadistes.
Mise en garde de Washington
« L’accord Abadi-Mobilisation n’a pas marché parce que les conditions iraniennes n’ont pas été satisfaites, analyse le politologue Jawad Bashara. Téhéran, ajoute-t-il, voulait que le prochain premier ministre soit pro-iranien et issu des milices, en la personne de Hadi al-Améri », le chef de l’une des plus puissantes forces paramilitaires, l’Organisation Badr. Une exigence inacceptable pour Abadi et les États-Unis de Donald Trump, en guerre contre l’Iran au Moyen-Orient. À l’appui de leur revendication, les milices faisaient valoir que, sur le terrain, la victoire contre Daech était la leur, et que le premier ministre ne cherchait qu’à engranger les dividendes politiques de leur victoire militaire. « Abadi a répondu que non, explique Jawad Bashara, mais il était prêt à constituer une force unifiée derrière lui, avant de se rendre compte qu’il allait être noyé parmi une multitude de petites organisations qui allaient paralyser son action. »
Les mises en garde de Washington ont également pesé lourd. « La Maison- Blanche a averti Abadi que les miliciens chiites pourraient se retourner contre les États-Unis et qu’il était donc anachronique que son allié irakien s’associe avec des adversaires résolus de l’Amérique », relève le chercheur Hosham Dawood, qui rentre d’Irak. D’autre part, à un mois d’une importante conférence sur la reconstruction de l’Irak, organisée par le richissime émirat du Koweït, alAbadi ne tient pas à se mettre à dos ses bailleurs de fonds, indispensables pour financer le nouvel Irak, et de toute façon hostiles à l’expansion iranienne au Moyen-Orient. Bref, le premier ministre a fait le choix de ne pas être trop associé aux milices chiites et à leur allié iranien. Quitte à réduire ses chances de victoire en mai.
Priorité à un État fort
Fortes d’environ 80000 hommes, ces milices, essentiellement chiites, constituent une épée de Damoclès au-dessus de l’Irak. Une loi votée par le Parlement en novembre 2016 les intègre aux forces de sécurité. Et ceux qui veulent se lancer dans l’arène politique peuvent déposer leurs armes et concourir aux législatives. Mais, au-delà de ses assurances, un flou subsiste sur leur avenir, entretenu par leurs nombreux parrains. Certaines factions armées dépendent de la marjaya de Nadjaf (le pouvoir religieux chiite), d’autres de Nouri al-Maliki, d’autres enfin – pas nombreuses mais les plus puissantes – du voisin iranien.
« Pour vraiment redémarrer, l’Irak ne pourra pas faire l’économie d’une vraie clarification du rôle de ces milices », assure un diplomate à Bagdad. C’est aussi ce que souhaite Haïdar alAbadi, et accessoirement Moqtada alSadr, cet autre puissant leader chiite, qui soutient l’alliance électorale du premier ministre. Mais ce dernier n’a pas les coudées franches. Accusés de nombreuses exactions dans des secteurs sunnites libérés de Daech, les miliciens ont des armes, de l’argent et n’hésitent pas à intervenir dans la vie quotidienne. «Ce sont les miliciens qui autorisent la vente d’alcool par certains commerçants dans le quartier d’Abou Nawas, à Bagdad, relève le diplomate. Les miliciens les protègent, en contrepartie, les propriétaires leur paient une taxe. » Bien loin d’un Irak à « l’autorité restaurée » et «luttant contre la corruption et les inégalités », selon les promesses de Haïdar al-Abadi, luimême, à l’aube de cette campagne électorale.