Le porte-hélicoptères de classe Mistral « Vladivostok » à Saint-Nazaire.
Jeudi dernier, le «Vladivostok», le premier des deux navires de type Mistral vendus aux Russes, a été amarré dans la forme écluse Joubert, le second le «Sébastopol» a été mis à l’eau «en toute discrétion», précise le journal local «Presse Océan». Difficile d’être discret quand on déplace un navire de 199 mètres de long dans le bassin de Saint-Nazaire, qui représente autant de centaines de millions d’euros dans les caisses d’un pays en crise que d’ennuis diplomatiques pour un Président en mauvaise posture. Ces mouvements «discrets» seraient un signe que le «Vladivostok» devrait prendre le large.
«Nos supérieurs nous ont informés que le bateau devra partir la semaine prochaine, mais c’est la troisième fois qu’on nous parle de départ et nous sommes toujours là», raconte un marin. Parmi les cinq cents marins russes présents au port, deux cents devraient embarquer avant le 27 novembre. Information confirmée par «la Voix de la Russie» qui a aussi annoncé la nomination d’un vice-amiral pour organiser le transfert, mais pas confirmée par l’Elysée, qui laisse toujours flotter un parfum d’incertitude embarrassant…
« LE PRÉSIDENT RUSSE SAIT QUE SON HOMOLOGUE N’AIME PAS PRENDRE DE DÉCISIONS »
Persuadé d’avoir jusque fin janvier pour prendre sa décision, le président Hollande jugeait encore la semaine dernière que les conditions n’étaient pas réunies en Ukraine pour autoriser la livraison du premier navire. «Les termes du contrat laissent en effet un délai de trois mois avant le paiement de pénalités, donc jusque fin janvier, mais c’est seulement en cas de problème technique, or il n’y en a pas eu», précise une source proche du dossier. En cas de problème diplomatique, rien n’est spécifié sur la papier. La règle a été dictée par Poutine qui laisse au Français jusque fin novembre pour prendre sa décision. «Le président russe sait que son homologue n’aime pas prendre de décisions et que la situation budgétaire de la France ne laisse pas beaucoup de marge de manoeuvre», conclut notre source. Alors qu’une grande partie de la classe politique de François Fillon à Nicolas Sarkozy en passant par Jean-Luc Mélenchon s’est déclarée favorable aux livraisons, Poutine dictait son ultimatum la semaine du vote du budget.
Vendredi 21, sur les quais de Saint-Nazaire, les marins refusent pour la plupart de commenter la situation. «Nous partions quand cela sera notre devoir», déclare Boris, 27 ans, en fumant une cigarette. Une centaine de marins vivent encore sur le navire école russe «Smolny», les autres sur le «Sébastopol». Personne n’était encore autorisé à s’installer ce vendredi sur le «Vladivostok». «C’est un beau bateau, très confortable et avec une électronique moderne on se croirait dans un sous-marin», confie un marin enthousiaste. «Au début l’ambiance était super, nous avons pu faire venir nos famille, visiter Paris et les Châteaux de la Loire. Maintenant c’est tendu». D’après ce jeune militaire originaire de Vladivostok, l’ambiance s’est détériorée avec deux manifestations, l’une organisée par des militants opposés à la guerre en Ukraine et donc à la livraison de ces navires, une autre par les syndicats pour encourager au contraire ces chantiers qui préservent le tissu économique du port. Dans la ville qui depuis deux ans vit au rythme de la construction des deux navires russes, les marins ont bonne réputation. «On ne les voit pas dans les bars, ils sont discrets et très encadrés», commente un restaurateur.
Entre nécessités économiques et mauvaise conscience politique, le coeur de la Présidence balance. «Aujourd’hui, nos femmes commencent à s’impatienter», confie un marin. «On commence à en avoir un peu marre, on dirait que le Président français a peur de Poutine, on dirait qu’il a peur de tout !»