Grâce à la collaboration de l’un de ses informateurs au sein du ministère syrien des Affaires étrangères, le site d’information en ligne All4Syria est parvenu à divulguer avant tout le monde, mardi 14 janvier, la composition de la délégation que le régime syrien envisage d’envoyer à Montreux pour l’ouverture, le 22 janvier, de la conférence dite « Genève 2 ».
Cette délégation comprendra :
– Walid AL MOALLEM, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères et des Émigrés (chef de la délégation),
– Omran AL ZOUBI, ministre de l’Information, vice-président (chef adjoint de la délégation),
– Bouthayna CHAABAN, conseillère politique et médiatique du président de la République (chef adjoint de la délégation),
– Faysal AL MIQDAD, vice-ministre des Affaires étrangères et des Émigrés,
– Housameddin ALA, ministre adjoint des Affaires étrangères,
– Bachar AL JAAFARI, représentant permanent de la République Arabe Syrienne auprès des Nations Unies à New York,
– Ahmed ARNOUS, conseiller du ministre des Affaires étrangères et des Émigrés,
– Louna AL CHEBEL, chef du bureau de presse du président de la République,
– Ousama ALI, bureau du ministre des Affaires étrangères et des Émigrés.
Ils seront assistés par une délégation technique dans laquelle figurent :
– Ahmed KOZBARI, député à l’Assemblée du Peuple,
– Mohammed Khayr AKKAM, professeur à l’Université de Damas,
– Hicham AL QADI, membre du cabinet du ministre des Affaires étrangères et des Émigrés,
– Abdel-Karim KHWANDA, membre du cabinet du ministre des Affaires étrangères et des Émigrés,
– Amjad AISSA, bureau de presse du président de la République,
– Tamim MADANI, représentant permanent de la République Arabe Syrienne auprès des Nations Unies à Genève,
– Mohammed MOHAMMED, membre de la représentation permanente de la République Arabe Syrienne auprès des Nations Unies à Genève.
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La composition de cette liste est extrêmement instructive.
Elle réunit, autour des principaux chefs de la diplomatie syrienne, des conseillers à la présidence, des correspondants plus ou moins honorables des services dans les administrations mentionnées et des responsables de la propagande officielle. Elle confirme avant tout que, trois ans après le début du soulèvement populaire et du début de la révolution de la dignité et de la liberté, Bachar al-Assad n’a pas évolué d’un pouce dans sa grille de lecture du conflit.
En désignant des diplomates à la tête de sa délégation, il affecte de considérer que le problème à résoudre n’est pas intérieur mais extérieur. Il voudrait faire croire aux opinions publiques et aux gouvernements qu’en bombardant avec des tonneaux de dynamite des quartiers d’habitation peuplés de civils, en assiégeant des villes entières jusqu’à provoquer la famine et la mort de leurs habitants, en laissant ses moukhabarat arrêter des citoyens de tous âges et les torturer pour faire taire leurs revendications politiques, en faisant appel à des dizaines de milliers de djihadistes chiites invités à défendre des lieux saints que vénèrent aussi les Syriens sunnites, et en ordonnant ou en couvrant une quantité de turpitudes qu’il cherche ensuite à imputer aux révolutionnaires…, il lutte contre un complot fomenté de l’extérieur, il résiste à Israël, il s’oppose aux impérialismes américain et occidental, et il rend aux Arabes leur honneur perdu…
Puisqu’il n’y a pas de révolution dans son pays, il est compréhensible qu’il confie à des diplomates le soin de négocier avec les Etats qui, selon lui, sont à l’origine de tous les maux dont souffrent aujourd’hui la Syrie et les Syriens. Rejetant sur les autres, comme à l’habitude, toutes les responsabilités, et négligeant la part prise par ses gouvernements successifs, par son armée et par ses services de sécurité dans la crise sociale et économique, dans la transformation d’un soulèvement pacifique en une confrontation armée et dans la fabrication du terrorisme, il tente une nouvelle fois d’accréditer l’idée que ce sont uniquement ses « ennemis » qui ont organisé et financé le soulèvement, soutenu et équipé les rebelles, et dépêché dans son pays les hordes de djihadistes réunies par leurs soins pour détruire la Syrie.
Il attend donc de ses diplomates qu’ils réclament des Etats concernés, quand ils siégeront face à leurs représentants à Montreux, qu’ils cessent d’intervenir dans les affaires intérieures de son pays, qu’ils renoncent à déstabiliser son régime et qu’ils mettent un terme à leur soutien aux groupes islamistes avant que ceux-ci ne se retournent – avec son aide, comme en Irak ou au Liban… – contre les mains qui les auront nourris, armés et financés.
Le déni de la réalité, forme privilégiée de l’irresponsabilité qui caractérise les agissements et les propos de Bachar al-Assad, explique aussi bien l’échec des simulacres de « dialogue national » organisés durant les premiers mois de la révolution, que la faillite de la « réconciliation nationale » imaginée pour la forme et confiée à un ministre sans envergure et sans pouvoir. Mais, après avoir encore une fois entonné la rengaine présidentielle à Montreux, et après avoir énuméré leurs griefs devant les délégués des Etats et les journalistes du monde entier, c’est malgré tout avec d’autres Syriens, que cela leur plaise ou non, que ses représentants seront contraints de négocier à Genève.
Ils le feront peut-être face-à-face. Ils le feront plus vraisemblablement par porteurs de messages interposés, parce que cela évite d’accorder aux interlocuteurs une véritable reconnaissance et, surtout, permet de faire traîner les choses en longueur. Or, faute de pouvoir gagner la guerre contre sa population, c’est bien à gagner du temps que le régime consacre aujourd’hui le plus clair de ses ressources politiques, économiques, diplomatiques et militaires…
En tout état de cause, et en dépit de l’expérience acquise par eux dans les discussions périodiquement « engagées pour ne pas aboutir » avec les Israéliens, sous les règnes successifs de Hafez al-Assad et de son héritier, les diplomates n’auront plus rien à faire dans ces négociations… si elles vont au-delà de la séance inaugurale. Ils seront officiellement remplacés par des personnalités politiques, mais en réalité par des responsables sécuritaires.
S’exprimant au nom des forces de la révolution et de l’opposition syrienne qu’elle a la charge de représenter, la Coalition nationale a exigé que ses futurs interlocuteurs n’aient pas sur les mains du sang de leurs compatriotes. Mais, si les deux délégations travaillent en aveugle, chacune enfermée dans ses bureaux, elle ne sera pas en mesure de s’en assurer. Or, en se reportant au précédent des négociations menées entre le pouvoir et les Frères Musulmans, au lendemain de la crise du début des années 1980, on peut prédire que, s’agissant d’un régime prêt à tout pour assurer sa survie et qui n’entend pas céder dans des discussions la moindre parcelle d’un pouvoir qu’il défend avec férocité depuis près de trois ans les armes à la main, c’est en majorité avec des officiers de l’armée et des responsables des services de renseignements plutôt qu’avec des politiciens – une denrée rare si ce n’est inconnue en Syrie… – que, sans connaître leur identité, les délégués de l’opposition devront malgré tout négocier à Genève.
Cela laisse augurer un dialogue de sourds, puisqu’aux propositions et revendications politiques répondront uniquement, il y a tout lieu de le craindre, exigences et mesures sécuritaires.