Dès les premiers jours, la joie qui a accompagné l’élection du Patriarche Rai a été mêlée d’appréhension. Beaucoup regrettent le départ du Patriarche Sfeir, une figure historique liée aux heures de gloire du Liban. Sfeir critiquait de façon virulente l’hégémonie syrienne. Le fameux communiqué des évêques maronites de septembre 2000 avait donné une forte impulsion à la dynamique menant cinq ans plus tard à la Révolution des Cèdres.
La première initiative alarmante du nouveau Patriarche fut l’annonce, quelques heures après son entrée en fonction, de son intention de visiter la Syrie, sous le prétexte d’un voyage religieux. Cette initiative dénote un changement très net par rapport à son prédécesseur qui a toujours refusé de se rendre en Syrie. Heureusement, du fait de l’insurrection syrienne, la visite inopportune a dû être reportée.
Par ailleurs, le style très expansif de Rai détonne par rapport à la tradition des Patriarches de communiquer sobrement et avec parcimonie. Les patriarches précédents ne se prononçaient qu’en temps de crises et seulement au sujet d’enjeux nationaux majeurs. Pour les Libanais le caractère démonstratif et avide de médias de Rai contraste avec la réserve très digne de Sfeir. Selon eux certaines des initiatives de Rai (réunion des leaders chrétiens et non moins futile sommet spirituel), sa suractivité et son ubiquité, trahissent son besoin de paraître et de faire sa propre promotion. Parlant de Sfeir et Rai, les maronites pourraient dire en plaisantant : notre patriarche permanent et notre patriarche itinérant.
Le malaise restait latent ces derniers mois jusqu’aux récentes déclarations de Rai lors de sa visite officielle en France. Ce fut la goutte de trop. Le patriarche est allé au-delà de ce qui était imaginable. La critique s’est déchaînée. Jamais un dignitaire religieux n’avait connu disgrâce aussi rapide.
Les déclarations de Rai semblaient surréalistes, reprenant presque mot pour mot la propagande syrienne. Embarrassé par le tollé provoqué, et soucieux sans doute d’étouffer l’affaire, Rai a ajouté l’insulte à l’injure en protestant que ses déclarations avaient été mal interprétées et sorties de leur contexte, et en accusant les médias de leur manque d’objectivité. J’ai vérifié et n’ai trouvé aucune ambiguïté possible. Au contraire, ses déclarations affichent une remarquable unité. Elles s’articulent autour de cinq thèmes récurrents et peuvent être résumées comme suit.
Le thème “Apocalypse Now”. La chute du régime syrien sera suivie d’une guerre civile entre sunnites et alaouites ou d’une partition de la Syrie en mini États sectaires.
Le thème “Les chrétiens sont en danger”. Les Frères musulmans vont prendre le relais, et les chrétiens en paieront le prix, comme ils l’ont fait en Irak.
Le thème “Donnez une chance à Assad”. Les deux premiers points conduisent à une conclusion : la communauté internationale doit donner à Assad les chances de mettre en œuvre les réformes qu’il a déjà annoncées. Et la cerise sur le gâteau: “Assad est une personne ouverte qui a étudié en Europe, mais il ne peut pas faire des miracles. »
Le thème “Les armes du Hezbollah sont éternelles”. On ne peut exiger le désarmement du Hezbollah tant que la communauté internationale n’exerce pas une pression sur Israël afin qu’elle se retire des territoires libanais qu’elle occupe encore et permette aux Palestiniens du Liban de retourner sur leurs terres.
Le thème “La menace des sunnites”. Lorsque les sunnites arriveront au pouvoir en Syrie, ils entraîneront leurs homologues du Liban et formeront une alliance avec eux, conduisant à une escalade des tensions entre sunnites et chiites au Liban. C’est Apocalypse Now, 2ème partie.
Rai n’a pas manqué l’occasion de jeter un doute, au passage, sur le Tribunal spécial pour le Liban (TSL, le tribunal soutenu par l’ONU mis en place pour juger les responsables de l’assassinat en 2005 de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri), en disant qu’il le soutenait « à condition qu’il ne soit pas politisé“.
Ces remarques ne sont pas des paroles en l’air. Elles ne sont pas non plus un écart de langage. La preuve en est que le Patriarche maronite a réaffirmé ses positions quelques jours plus tard, lors d’un voyage à Baalbek, un bastion du Hezbollah, alors que l’on pouvait s’attendre à ce qu’il clarifie ses propos comme un prélude à leur retrait. Rai participait à un dîner donné en son honneur par Cheikh Mohammad Yazbeck, haut responsable du Hezbollah. Le voyage à Baalbek a été suivi d’une visite de trois jours au Sud Liban, où Rai a réitéré ses positions, sous une forme légèrement atténuée.
Les positions de Rai sont très controversées.
Rai n’a pas vu le Printemps arabe d’un bon oeil. Dans l’homélie qu’il a prononcée le jour de son investiture, il a indiqué qu’il “suivait avec inquiétude les événements dans le monde arabe ». Un communiqué des évêques a qualifié plus tard les événements révolutionnaires dans le monde arabe de “trouble regrettable ». A Paris, Rai a semble-t-il décidé de passer à la vitesse supérieure.
La tactique de la peur est flagrante. La guerre civile et la partition sont peu probables, ou temporaire, au mieux, comme c’est arrivé en Libye ; les révolutionnaires voudront certainement diriger l’ensemble de la Syrie. Surestimer les Frères musulmans ne rend pas justice à la diversité de l’opposition syrienne et à tous ces gens qui n’ont rien à voir avec les Frères musulmans et que le désir de liberté pousse chaque jour à défier la répression la plus épouvantable.
Par ailleurs, ce n’est pas rendre service aux chrétiens que de les effrayer et les engager à défendre un régime despotique qui s’effondre.
Quarante ans après l’arrivée au pouvoir de ce régime, faut-il lui donner une nouvelle chance? Ironie du sort, le jour même où le Patriarche insistait pour qu’une nouvelle chance soit accordée à Assad, une vidéo YouTube était diffusée montrant un officier de l’armée syrienne exécutant un manifestant blessé au milieu de la rue. Le sursis demandé a coûté la vie à 35 victimes supplémentaires, rien qu’au cours de cette journée.
Sur la question la plus controversée de la politique libanaise aujourd’hui, à savoir les armes du Hezbollah, Rai va à l’encontre de la position des partis d’opposition du 14 mars, soutenue par de nombreux libanais, appelant le Hezbollah à remettre ses armes aux autorités libanaises. Il a donné sa bénédiction sur le maintien de l’arsenal du Hezbollah en conditionnant la remise des armes à la fin de l’occupation israélienne dans les territoires libanais et le retour des réfugiés palestiniens, un processus qui pourrait bien se poursuivre encore longtemps. Rai sape ainsi le rôle de l’Etat, en ignorant qu’il relève du rôle de l’Etat, et non pas d’un parti libanais, de défendre le Liban et forcer Israël à quitter le territoire libanais, et par la même occasion, en justifiant la détention illégale d’armes par une communauté libanaise particulière dirigeant son propre mini-État au détriment de l’autorité de l’état. Et il semble oublier le fait que le projet du Hezbollah a une dimension supranationale, et que le Hezbollah fait partie d’un axe régional reliant à l’Iran à la Syrie.
Rai a également réussi à se mettre à dos toute une communauté libanaise en exprimant l’appréhension à l’encontre des sunnites libanais, une maladresse qu’aucun patriarche maronite n’a jamais faite, même au plus fort de la Guerre Civile (1975-1990). Il est injuste vis a vis des sunnites qui ont régné en Syrie avant 1970 et qui n’ont jamais persécuté les chrétiens syriens ou même constitué une menace pour le Liban maronite.
Rai s’est fait retoquer par les français. Le président Sarkozy aurait dit à Rai que “le régime en Syrie est fini » ajoutant « c’est une certitude, et non une attente ». Il a également dit à Rai que les chrétiens devaient se préparer et travailler à la mise en place d’un état civil.
La réaction américaine a été plus véhémente. Les déclarations de Rai ont été jugées injustifiées, irresponsables et nuisibles à sa réputation et sa position. Par ailleurs, il a été informé qu’il n’était pas « approprié d’organiser une rencontre avec le président américain » lors de sa visite aux Etats-Unis en octobre. En conséquence, Rai ne s’est pas rendu à Washington et s’est contenté de visiter les paroisses maronites.
Localement, tandis que les politiciens du 8 mars ont fait éloges du Patriarche, la réaction de l’opposition du 14 mars était critique mais mesurée. La réaction la plus cinglante fut celle de Samir Geagea, chef du parti des Forces libanaises, qui, dans un discours enflammé prononcé lors de la commémoration des martyrs des Forces libanaises, en présence de l’ancien Patriarche Sfeir, pris le contre-pied de Rai, réaffirmant sa foi dans le printemps arabe. De même, des centaines de Libanais chrétiens intellectuels et leaders d’opinion se préparent à tenir une conférence spectaculaire pour confirmer le soutien des chrétiens à la promesse de démocratie et modernisation portée par le printemps arabe.
Curieusement, les réactions les plus passionnées viennent du public chrétien en général. De nombreuses voix dissidentes se font entendre, surtout sur les médias sociaux. Les positions du Patriarche ont été dénoncées, principalement sur le terrain de la morale. Rai, disent-ils en substance, est devenu le complice des tyrans ; il a piétiné la dignité des victimes et fait honte à la population qu’il est censé représenter; ses déclarations n’ont rien à voir avec la doctrine chrétienne, ce sont les déclarations d’un politicien, et qui plus est d’un mauvais.
Cela soulève la question de l’ambition politique du patriarche. Une explication probable de ses incursions fréquentes dans la politique, est qu’il vise, au-delà de son rôle ecclésiastique, à devenir le chef politique de la communauté chrétienne. Dans cette perspective, chaque communauté devient une unité politique qui parle d’une seule voix et communique ses décisions aux autres communautés, court-circuitant les institutions, le gouvernement devenant une sorte de teneur de registre. Cela conduirait évidemment à affaiblir l’activité politique à l’échelle nationale et dévaloriserait la formule libanaise «vivre ensemble». Cela permettrait également à la communauté chrétienne, sous la direction de Rai, de négocier avec l’hégémonie syrienne, abdiquant la souveraineté en échange d’avantages.
En conclusion, on ne devrait pas être surpris par les positions de l’Eglise. En dehors de rares exceptions, comme le mouvement controversé de Théologie de la libération en Amérique latine dans les années 1960, et le rôle joué par l’Eglise en Europe de l’Est dans les années 1980, l’Eglise a toujours été une force conservatrice, et a, à tout moment été du côté du pouvoir, et avec les oppresseurs contre les opprimés.
Peut-être le seul résultat positif produit par les positions méprisables du Patriarche maronite, et du patriarche orthodoxe avant lui, est qu’elles libèrent les croyants du respect indu qu’ils avaient pour leurs dignitaires religieux. Encore un effort, Messieurs, et vous les poussez vers la libre pensée.
Kamal.yazigi@hotmail.com
Dr. Kamal Yazigi est un universitaire libanais et analyste politique.
Traduit de l’anglais.
L’automne du Patriarche Effectivement et comme « à toute chose malheur est bon », les excentricités du patriarche de l’heure aura quelque peu accéléré la désacralisation de la « fonction ». Puisse ce processus de désacralisation s’amplifier et recouvrer tant la présidence de la République que d’autres « noeuds » institutionnels! Car, décidément, cette malédiction de l’Oedipe inversé a la vie dure en Orient, Liban compris, bien sûr. A croire que, sous ces latitudes, c’est le père qui continue, tranquillement, de tuer le fils (et la mère avec?). Père Sleimane, père Nasrallah, père Aoun, et tutti quanti. Que de pères sans paires (hé hé)! Aurait dit… Lire la suite »
L’automne du Patriarche
i’m sorry but u r either against z meddlin of z church or for it !!! this sway between a patriarche and another , and to prove ur point is unacceptable…