Depuis les attaques terroristes qui ont frappé leur partenaire français, le rôle de l’Arabie saoudite – un autre allié de l’Amérique – dans l’exportation d’un «wahhabisme et d’un néosalafisme» qui s’étendent à travers le monde et les banlieues d’Europe comme un poison est au cœur des réflexions et des dilemmes de l’Administration Obama ainsi que de la communauté de sécurité nationale à Washington.
Selon une source proche du renseignement américain, qui s’est confiée au Figaro et tient à souligner que les Américains «sont aux côtés de la France pour aider», «un basculement stratégique est en cours à Washington concernant l’évaluation du rôle des Saoudiens dans la promotion du terrorisme djihadiste». «Alors qu’il y a encore cinq à sept ans, les liens entre la promotion du wahhabisme saoudien et les groupes comme al-Qaida étaient généralement vus comme distants, aujourd’hui ces liens sont largement avérés et mènent à un changement de stratégie qui reconnaît que la propagation du wahhabisme et du néosalafisme est une menace majeure de long terme, qui doit être défaite», dit cette source.
Évaluer l’ampleur du «virus salafiste»
Les services de renseignement américains se disent particulièrement inquiets «sur la question de la fiabilité des forces armées saoudiennes», dans le contexte de «la lutte interne pour la succession du roi», très malade. Depuis l’époque de Roosevelt, les Américains ont toujours servi de protecteurs de la famille royale des Séoud. Mais la progression des idées de l’État islamique au sein de l’institution militaire du Royaume est jugée très «préoccupante». «L’assassinat par des commandants de l’EI d’un général saoudien envoyé sur la frontière nord du pays pour évaluer la loyauté de certaines unités jugées non fiables révèle l’ampleur du problème», poursuit la source proche du renseignement américain au Figaro. Une évaluation de«l’ampleur du virus salafiste dans les rangs» est «en cours». L’attaque menée par l’EI à travers la frontière contre le général Oudah al-Belawi a été bien planifiée, dit-il. «Elle était fondée sur des informations précises communiquées de l’intérieur de l’armée»…
Ces récents développements marquent un vrai dilemme pour une Amérique qui, depuis l’époque de Roosevelt, est toujours restée fidèle à son alliance avec la famille royale saoudienne, malgré de nombreuses crises, dont la plus grave a été le 11 Septembre, quand s’est posée la question de l’implication des Saoudiens dans l’organisation de l’attentat, avant que ce dossier ne soit prestement enterré, au nom de la realpolitik.
Dépendants du pétrole saoudien et attachés à leur relation avec la famille royale, les Américains ont hésité à remettre en cause leur alliance avec Riyad et décidé de garder secrètes les informations qu’ils détenaient sur le rôle des Saoudiens. «Il y a une bataille interne en cours en Arabie saoudite pour la succession, et les Américains sont impliqués car ils veulent préserver, comme ils l’ont toujours fait, la stabilité de la famille royale, il ne s’agit plus de pétrole. Nous savons que l’Arabie saoudite fait partie du problème, mais nous ne voulons pas d’un changement de régime, car nous pensons que cela serait bien pire et donnerait la main à l’État islamique», décrypte notre interlocuteur proche du renseignement.
En réaction à la guerre civile syrienne et ce qu’ils voient comme l’échec de l’Amérique à l’arrêter, les Saoudiens ont commencé par soutenir l’État islamique et d’autres groupes sunnites radicaux engagés dans la lutte contre le président Bachar el-Assad et le régime chiite en Irak, perçu comme une marionnette de leur grand ennemi chiite, l’Iran. Mais le gouvernement saoudien a opéré récemment un virage musclé, rejoignant la coalition américaine mise en place pour défaire Daech. Un mur de 700 kilomètres est en construction sur la frontière nord. «Ce tournant s’explique par la peur des répercussions internes à l’Arabie que pourrait avoir l’État islamique», a expliqué récemment à la radio NPR le professeur Gregory Gause, de l’université AM du Texas. Début 2014, l’Arabie saoudite a mis l’EI sur la liste des organisations terroristes. «Mais il va être beaucoup plus difficile pour les autorités religieuses d’Arabie de se distancier de l’EI parce que, de fait, leur vision de la manière dont “la politique doit être organisée dans un État islamique” est la même que celle de l’EI», dit Gause.
C’est sans doute la raison pour laquelle un fort courant politique s’est réveillé au Congrès pour révéler les «sombres coulisses» de la politique saoudienne. La semaine dernière, l’ancien sénateur Bob Graham, qui présidait la commission du renseignement du Sénat après le 11 Septembre, a solennellement appelé à déclassifier les 28 pages du Rapport parlementaire sur ces attentats de 2001, qui avaient été éliminées de la version rendue publique. Encadré par les représentants républicain Walter Jones et démocrate Stephen Lynch, lors d’une conférence de presse, Graham a affirmé que ces pages restées secrètes «pointent le doigt vers l’Arabie saoudite comme principal financier». «Ce sujet peut paraître dépassé à certains, mais il est d’une actualité aussi brûlante que les titres actuels des journaux», a dit l’ancien sénateur démocrate, en référence au massacre perpétré à Charlie Hebdo. Ces pages ont été classifiées «pour raisons de sécurité nationale, mais le vrai danger pour la sécurité nationale est de ne pas les rendre publiques», a affirmé Graham, dénonçant une «tendance générale» à garder les Américains dans l’obscurité. En avril 2014, Barack Obama avait confié aux familles des victimes du 11 Septembre être en faveur d’une déclassification de ces fameuses pages. Interrogée par Le Figaro sur la position de l’Administration, la Maison-Blanche a jugé ce vendredi ne pas avoir d’éléments à communiquer à ce stade.