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Vu de Tunisie : le burkini, insulte au combat mené chaque jour par les femmes arabes

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Alors que la situation des droits des femmes fait actuellement débat en Tunisie, Maya Ksouri revient sur la polémique autour du burkini en France. Elle s’adresse à tous ceux qui, à l’image du fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, ont évoqué « un vêtement comme les autres ».

La semaine du 13 aout, fête de la femme en Tunisie, a été le théâtre d’un affrontement entre tenantes du boycott de la cérémonie officielle organisée au palais de Carthage et partisanes de la participation. Le point de friction entre les deux camps s’articulait autour de l’évaluation de la situation des droits de la femme aujourd’hui en Tunisie sous la présidence de Beji Caïd Essebsi. Les premières considèrent ce dernier comme un usurpateur de la mémoire bourguibienne et de ses acquis en faveur de la femme, ayant failli par calcul et opportunisme à entériner l’évolution du code du statut personnel vers l’égalité dans l’héritage. Les secondes encensent ce même président en tant que continuateur « florentin » de Bourguiba faisant ce qu’il peut dans un contexte difficile.

Ainsi, la présence symbolique de la femme, en tant qu’élément de plus-value politique, ne cesse d’être débattue en Tunisie, surtout dans le contexte actuel où la parole s’est libérée et où le compromis politique avec la réaction islamiste (dont la répression, sous Bourguiba et Ben Ali, était admise par l’Occident comme un gage de modernité) ne laisse de reposer la question du statut – réel – de la femme derrière la vitrine longtemps brandie. Des incidents comme l’interpellation par la police d’une jeune femme portant un short dans une zone résidentielle, le tollé islamiste lors de l’évocation du projet de l’égalité dans l’héritage, raviveront tous les jours les inquiétudes sur la nature de la république tunisienne.

Le statut de la femme dans une société donnée est un tel indicateur de la nature de cette dernière, surtout en ces temps agités – où la sinistrose économique, la perte de sens généralisée et le cynisme ambiant ressuscitent les démons identitaires et leurs consolants replis – que cette même semaine, on a vu la femme et son corps causer un autre affrontement, non pas en Tunisie mais dans un pays ou la question paraissait depuis longtemps réglée : la France.

Combat entre pro et anti-interdiction du burkini

La décision de certains maires d’interdire le burkini sur leurs plages, l’appui judicaire à ces décisions et la rétraction qui a suivi ont généré un affrontement entre deux camps, en France et ailleurs dans ce village-terre où tout s’est mondialisé : les pro-interdiction – des laïques, des progressistes anti-islamistes mais aussi une minorité de xénophobes ayant toujours vu d’un mauvais œil la présence étrangère et « maure » sur leurs terres -, et les anti-interdiction, des islamistes, des complexés de l’identité et des « droits-de-l’hommmiste ».

Et quoique l’argumentaire des premiers soit mis à mal vu la spécificité de l’endroit de l’interdiction (la plage), où ni l’argument sanitaire ni l’argument du bannissement des signes religieux dans l’espace public ne tiennent vraiment, l’argumentaire adverse, construit autour de la liberté de la vêture et de la diversité, n’en est pas moins dans une meilleure posture.

« UN DÉBAT BIAISÉ CAR CHACUNE DES

PARTIES CROUPIT DANS LES FAUX-SEMBLANTS IMPOSÉS

PAR LA BIENPENSANCE ET LE POLITIQUEMENT CORRECT »

 Si l’argumentaire des deux blocs paraît si friable, c’est qu’aucune des factions ne veut /n’ose afficher le fond de sa pensée. Le débat est biaisé car chacune des parties croupit dans les faux-semblants imposés par la bien-pensance et le politiquement correct.

Les pro-interdiction (exceptée la frange d’extrême-droite)n’osent plus aller au bout de leur raisonnement de peur d’être taxés d’islamophobes dans un environnement de compromis et de clientélisme politique socialiste ayant eu pour résultat de laisser des causes comme la laïcité, en France, en pâture à l’extrême droite. Ainsi, si discuter de la burqa leur est encore permis, discuter du bien-fondé du voile leur est interdit au risque de se voir opposer l’argument d’autorité de l’islamophobie même si le voile et la burqa découlent du même impératif religieux : cacher la « awra » (l’indécence) qu’est la femme.

Ce que taisent ces pro-interdiction, au-delà de l’argument sanitaire et de l’argument laïque – qui ne résistent pas à l’examen dans ce cas précis -, c’est leur rejet profond du voile, de la barbe, du « kamis », et de tout ce qui est signe de ralliement à cet islam qui devient depuis un moment si disert et si violent dans l’espace public. Pour ce camp, le burkini est l’extension de la burqa que les talibans ont imposé aux femmes et dont son nom est du reste issu. Le burkini est un signe du refus et de stigmatisation de l’autre via l’ostentation d’une tenue en dehors de laquelle on est dans le « haram »

Les anti-interdiction, composés en leur majeure partie d’islamistes et de conservateurs, n’osent pas, eux aussi, avouer le vrai motif de leur indignation : sous leur argumentaire adossé au très politiquement correct respect des libertés, se terrent leurs convictions moins avouables, celle de l’obligation qui doit être faite à la femme, et qui après tout est inscrite dans le coran, d’observer une pudeur de sorte à ne pas provoquer « les instincts mâles ». Les femmes vivant dans les pays arabes vous diront aisément les remarques/regards/gestes de déconsidération à leur égard quand elles osent s’afficher en bikini dans des plages publiques. Au fond, ce n’est que cela derrière les déclamations de disposer de son corps car jamais vous ne verrez ces anti-interdiction user de ce même appareil argumentatif pour militer pour le droit à la minijupe ou au nudisme.

« JAMAIS VOUS NE VERREZ CES ANTI-INTERDICTION

MILITER POUR LE DROIT À LA MINIJUPE OU AU NUDISME »

Cependant, et malgré cela, ce camp jouit aujourd’hui d’une audience assez importante (recrutée surtout parmi les jeunes). Une des raisons principales de la résonnance du discours de ce camp est la caution d’honorabilité que lui donne une faction particulière de ses composantes : celle « des droits-de-l’hommiste » classés à gauche par l’opinion publique.

Edwy Plenel en est l’archétype ; ce dernier, et en pleine polémique sur l’interdiction du burkini, publie un article intitulé « Un vêtement comme les autres ». Cet article est naturellement repris par tous les sites « halal » en France et ailleurs et par une grande partie des profils islamistes/conservateurs sur Facebook et Twitter qui, d’habitude, dénigrent le monde d’où vient Edwy Plenel.

Et justement le tour de passe-passe idéologique est là : « Regardez ô islamophobes errants ! Voilà qu’un homme objectif, car faisant traditionnellement partie de nos ennemis, se range à nos côtés et c’est la preuve irréfutable que nous sommes indéniablement dans le vrai. »

Edwy Plenel, en réduisant le burkini (qui, rappelons-le encore, est un terme issu de burqa et de bikini) à un choix vestimentaire, se donne, à peu de frais, bonne conscience, se félicitant, sans doute, de sa droiture chevaleresque et de sa lucidité de justicier incorruptible même quand il s’agit du « camp adverse ». Sauf que cette posture fort honorable a des répercussions qui ne feront hélas de monsieur Plenel que l’idiot utile de l’Internationale wahhabite car la burqa n’est pas un vêtement comme les autres et n’est pas juste un choix vestimentaire.

« LA BURQA N’EST PAS UN VÊTEMENT COMME LES

AUTRES ET N’EST PAS JUSTE UN CHOIX VESTIMENTAIRE »

On arguera qu’Il y a bien aujourd’hui des femmes rétives au projet wahhabite qui portent la burqa, mais qu’elles le fassent est, justement, éloquent sur la situation alarmante de la femme dans les sphères arabo-musulmanes où la respectabilité/le confort/la paix passe désormais par la mutilation d’une partie de soi. Que les femmes, mêmes hostiles au projet islamiste, aient intériorisé d’une manière inconsciente leur infériorité du fait de la chose inconvenante qui doit être couverte qu’est leur corps est, en soi, une insulte à tout humaniste qui se respecte.

Le voile, sous toutes ses formes, est-il anodin, juste un choix vestimentaire ?

Le débat, pollué aujourd’hui par des éléments conjecturaux (le contexte d’après Nice), des finauderies («gardons-nous de leur victimisation ») et brimé par l’épée de Damoclès de l’islamophobie, élude le fond réel du problème : le voile, sous toutes ses formes, est-il anodin, juste un choix vestimentaire ?

Lire la « littérature » wahhabite-islamiste vous dira que non. Le voile, la burqa et le burkini ne sont pas des vêtements comme les autres mais des signes ostentatoires d’appartenance et de ralliement qui, a contrario, excluent toutes celles qui ne les portent pas du monde de « la bonne musulmane » pour les jeter dans celui des blâmables non pratiquantes, au mieux, ou, au pire, dans celui des catins mécréantes.

Lisez les mémoires* d’un des plus éminents dirigeants de la Nahdha (le parti islamiste tunisien vendu comme le parangon de l’islam modéré), Abdelhamid Jelassi, parues cette année, et vous verrez que le voile et ses pendants ne sont pas des vêtements comme les autres. Il le dit clairement.

Le voile et la volonté insidieuse de sa généralisation, sous toutes ses formes, dans l’espace public, est aujourd’hui, dans un contexte d’islam politique florissant, un élément de propagande, de démonstration de force et de victoire… Victoire remportée sur le modèle social caractérisé par la libération des femmes arabes et leur émancipation à partir des années 30 sous l’impulsion d’Atatürk, Bourguiba et Nasser. Un modèle social progressiste si bien accepté dans un premier temps qu’on vit des salles combles hilares devant un Nasser qui ridiculisait l’attachement des frères musulmans au hijab.

L’acte fondateur de la Tunisie moderne a été, plus que la constitution de 1959, le code du statut personnel de 1956 qui s’est accompagné d’actes symboliques comme le geste de Bourguiba ôtant publiquement le voile a une femme venue l’acclamer. Oter ce voile, c’était reconnaitre la femme comme un égal et non comme un objet, un bonbon (pour reprendre une comparaison en cours chez les islamistes) qu’il faut envelopper pour le soustraire à la convoitise.

« UNE INSULTE AU COMBAT MENÉ PAR LES FEMMES ARABES TOUS LES JOURS »

Ainsi, prétendre aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme les autres est une insulte au combat qu’ont mené et que mènent les femmes arabes tous les jours pour faire évoluer leurs acquis -ou pour juste les sauvegarder – et pour changer les mentalités qui se ré-enlisent depuis quelques décennies de désenchantement national dans le bourbier identitaire.

Soutenir aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme un autre, c’est donner, à partir d’un confort parisien, un bâton de plus à ceux qui salissent les femmes émancipées tous les jours dans le monde arabe : du compte « Aicha Amal », très populaire au Maroc, qui photographie des femmes en bikini à leur insu pour les livrer à une curée de « slut-shaming » ensuite sur Facebook, aux déclarations publiques émanant de « respectables » présidents de « think tanks » tunisiens insultant la championne olympique tunisienne Habiba Ghribi et imputant sa déconvenue lors de derniers jeux à…. son slip impudent.

Soutenir aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme un autre au nom de la diversité culturelle et religieuse admettrait de soutenir que l’esclavage, s’il est pratiqué en Arabie saoudite par exemple, est une embauche comme une autre vu que le coran contient des versets qui le rendent licites et que c’est donc une spécificité culturelle. N’est-ce justement pas cela l’essentialisme que la gauche de monsieur Plenel dénonce ?

Soutenir aujourd’hui que la burqa est un vêtement comme un autre en exhibant sur Twitter, comme le fait monsieur Plenel, des photos de baigneuses couvertes de la belle époque, n’est autre (mise de côté la supercherie intellectuelle qui élude qu’à la même époque les hommes aussi se devaient de porter des costumes de bains couvrants, donc nulle discrimination de la femme), que de la condescendance, envers des peuplades que l’on considère comme attardées. Une condescendance travestie dans ce nouveau tiers-mondisme qu’est l’islamo-progressisme.

Soutenir aujourd’hui que le burkini est un vêtement comme un autre, c’est nier l’importance de l’enjeu dans des sociétés où des femmes, dont le seul tort est d’exercer leur liberté de penser et d’expression pour défendre leurs acquis contre le travail de sape insidieux de wahhabisation à coups de pétrodollars, sont menacées dans leur existence et astreintes à une escorte policière. Soutenir le port du burkini c’est mieux les désigner à la vindicte des alliés objectifs de monsieur Plenel : les islamistes.

« REPRÉSENTATION FANTASMATIQUE ET PASSÉISTE »

Soutenir que le burkini est un choix vestimentaire qui correspond à l’actuelle configuration politico-sociale arabe, c’est ignorer les errements des peuples qui, laminés par ce monde qui se complexifie, se laissent porter par leurs instincts primaires pour se réfugier dans une représentation fantasmatique et passéiste d’eux-mêmes. Au nom de quoi donc, si ce n’est au nom de la lutte contre ces errements et du rétablissement du sens de l’Histoire, la gauche française a-t-elle contré l’engouement pour le Front national en votant massivement Chirac un certain printemps 2002 ?

Le voile est régression et asservissement de la femme mais monsieur Plenel n’a cure que, par un certain effet, l’orgueilleux papillonnement de ses ailes chamarrées nous condamne, nous, femmes arabes, qui nous battons tous les jours contre ses réactionnaires alliés objectifs, à l’obscurité.

 

*Les moissons de l’absence : la petite main ne ment pas. Éditions librairie tounes, 2016 [en langue arabe].

Maya Ksouri est avocate et chroniqueuse politique tunisienne.

MARIANNE

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Ramez B.
Ramez B.
7 années il y a

L’internationale wahhabite; ça sonne bien et juste, mais quelque peu borgne, amputé de l’alter ego khomeiniste. Du « two in one ».

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