Ainsi le Royaume d’Arabie annule, ou suspend, son aide de 4 milliards de dollars américains en faveur des forces armées libanaises, octroyée dans le cadre d’un protocole franco-saoudien.
A peine la nouvelle était-elle tombée, faisant l’effet d’une bombe, que le microcosme médiatique est entré en ébullition et les media sociaux ont littéralement explosé. Ces derniers, métamorphosés en autant de crachoirs et de lieux d’aisance virtuels, débordent actuellement d’un tsunami de haine féroce à l’égard de tout ce qui est arabe. Une sorte de « Haro sur le baudet, ce pelé, ce galeux dont venait tout le mal », semble avoir été allumé. Le baudet, dans le cas qui nous occupe, est l’Arabe, l’Arabie et tout ce qui est du Golfe Arabique, sur lesquels on jubile de taper, non de manière critique et rationnelle mais sur un ton émotif et pamphlétaire, voire parfois très blessant.
Bref, tous les émonctoires semblent ouverts et le cloaque virtuel déborde. Le discours de la raison, de la pondération et de l’élémentaire bon sens, ne parvient pas à juguler un tel déferlement de propos fielleux, insidieux, proprement racistes mais maquillés en pseudo-sophismes qui ne convainquent personne. Les auteurs de tels propos s’oublient, notamment sur les media sociaux, comme les bébés dans leurs couches et comme les vieilles personnes souffrant d’insuffisance sphinctérienne.
Peu d’observateurs prennent la peine de se demander si une mesure, d’une telle ampleur, constitue un repli tactique ou un virage stratégique. Pour expliquer la décision saoudienne, suivie par d’autres pays du Golfe, ils ne voient, pour motif officiel, qu’un mouvement d’humeur qui serait provoqué par les vociférations et les insultes de Hassan Nasrallah, au nom de la haine chiite contre les sunnites, d’une part ; de même que les propos irresponsables de notre inénarrable Monsieur Gendre, actuel ministre des affaires étrangères du Liban, d’autre part.
La décision d’octroyer une aide militaire d’une telle ampleur est, par nature, une décision politique éminemment stratégique de la part des saoudiens. Son annulation, ou sa suspension, ne peut être motivée que par des considérations politiques qui tiennent compte des intérêts stratégiques prioritaires de l’Arabie, dans la guerre que lui livre la Perse des Mollahs ; et non par une saute d’humeur du ministre d’un Etat quasi virtuel.
Si on utilise une telle grille de lecture, comment pourrait-on comprendre cette mesure saoudienne qui constitue une potion amère pour le Liban et les libanais, tant ceux de l’intérieur que ceux de la diaspora dans les pays du Golfe.
S’il s’agit d’un virage stratégique de la part de l’Arabie, ceci voudrait dire que le Royaume Saoudien prend acte des équilibres nouveaux apparus après le deal irano-occidental, mais aussi aux modifications sur le terrain provoqués par l’intervention russe en Syrie. En clair, l’Arabie aurait donc perdu la bataille sur le front méditerranéen et n’a plus aucune raison d’investir stratégiquement dans les forces armées libanaises ni même dans le Liban. Ce dernier pourrait donc être considéré comme hors de la « sphère arabe ». Avec la Syrie occidentale, ou Syrie-Utile, le Liban serait devenue une zone d’influence iranienne. Certes l’entité « Liban » peut ne pas disparaître. Les Mollahs de Téhéran n’en demandent pas tant ; il leur suffit que l’Etat libanais, ainsi que sa Constitution et ses institutions ne soient qu’une coquille vide entièrement contrôlée par eux via leur tête-de-pont sur place, le Hezbollah et ses cohortes auxiliaires (saraya al mouqawama) comme le parti aouniste et d’autres formations. Le blocage actuel de la vie institutionnelle libanaise va dans ce sens.
Cependant, la même mesure saoudienne peut aussi se comprendre comme un repli tactique permettant à l’Arabie, dont le potentiel militaire est énorme, de mieux concentrer ses efforts sur une prochaine opération militaire en Syrie, de grande envergure, dont on parle beaucoup. Si cette hypothèse s’avère vraisemblable, les mesures saoudiennes pourraient constituer un coup de semonce aux forces politiques souverainistes afin de se ressaisir et de sortir de leur léthargie et de leur sempiternel jeu d’enfants se chamaillant dans une cour d’école. Dans ces conditions, la mobilisation de l’opinion publique peut encore infléchir les événements car l’état d’esprit qui a fait sortir l’occupant syrien en 2005 n’est pas mort et pourrait, en 2016, mettre une limite à l’hégémonie iranienne sur son otage libanais.
Affronter pacifiquement le Hezbollah iranien et ses cohortes auxiliaires libanaises, exige une série de conditions de la part du camp souverainiste : la solidarité indéfectible de toutes ses composantes ; la loyauté à l’égard des partenaires sans arrière-pensées ; la probité dans la dénonciation de la corruption qui sévit ; la rigueur et la transparence cristalline de la vision commune ainsi que la renonciation aux obsessions identitaires et au jeu de la roublardise machiavélique à l’égard de l’allié dans la bataille en cours.
Mais surtout, ceci implique de mettre fin à la mascarade des candidatures Frangieh-Aoun en vertu du principe vital en politique : Tu ne feras jamais de ton rival politique ton champion, car tu seras le premier à payer le prix de ta maladresse.
acourban@gmail.com
*Beyrouth
L’Orient Le Jour