Qui reprochera aux habitants des villes échappant à l’autorité de l’Etat en Syrie de ne pas croire aux promesses du régime lorsque celui-ci les appelle à la « trêve » ? Ils n’ont pas attendu la campagne en cours pour douter, dans ce domaine comme dans les autres, de la réalité des intentions d’un pouvoir peu habitué à conformer ses actes à ses engagements. Ils constatent aujourd’hui que, après avoir usé de toutes les armes possibles durant des mois pour obtenir un arrêt des affrontements armés, le régime profite de la suspension des hostilités pour entretenir comme à dessein les ressentiments à son égard.
Le journal Al-Hayat montrait, le 25 février, comment les forces du régime recourent à l’arme de l’eau pour faire pression sur les villes échappant à son autorité et les contraindre à se « soumettre à la trêve ». Elles suspendent la distribution d’eau dans des villes entières, comme à Hama, une mesure qui contribue d’ailleurs à enrichir les proches de la famille al-Assad, propriétaires des usines de mise en bouteille des eaux minérales. Elles s’acharnent un peu partout à détruire les infrastructures encore en fonctionnement, visant en particulier les conduits d’eau potable. De telles destructions ont été constatées à l’est d’Alep, à al-Atareb, à al-Ghanto (Homs), au Crac des Chevaliers, dans le village d’al-Huseïniyeh près de Deïr al-Zor… Dans le gouvernorat de Damas-campagne, la majorité des châteaux d’eau ont été bombardés. Ailleurs, ce sont les stations d’épuration.
Les conséquences de ces démolitions sont désastreuses en termes sanitaires pour les populations. Incapables d’assumer le coût d’un approvisionnement par camion (17 $ les 1 000 litres, soit dix fois le prix ordinaire), nombre de familles utilisent pour se désaltérer comme pour se laver de l’eau récupérée par des moyens de fortune. Dans les villes encerclées, d’autres creusent des puits dont l’eau peut être contaminée par des produits chimiques ou les écoulements des conduits sanitaires eux aussi déficients. Dans le nord du pays, des citernes récupèrent de l’eau dans le cours de l’Euphrate et la distribuent sans aucun traitement. La réapparition en Syrie de maladies depuis longtemps disparues témoignent de la gravité de la situation.
Il est donc surprenant que, après s’être donné tant de mal pour amener les villes révoltées à résipiscence, le régime paraisse indifférent au comportement de ceux auxquels il confie la gestion des trêves. Dans sa synthèse quotidienne des nouvelles locales, la Coalition nationale rapportait, le même 25 février, l’abattement et la colère des habitants des environs de Barzeh et Qaboun autorisés à regagner leurs domiciles après la signature d’un accord entre ces deux quartiers et les autorités. Ils ont en effet découvert que leurs maisons et leurs biens avaient été soit détruits, soit volés. Les chabbiha qui avaient occupé les lieux avaient souillé de leurs excréments les sols, les lits et les photos de familles. Ils avaient accroché les sous-vêtements féminins trouvés sur place aux portes et aux fenêtres. Ils avaient laissé sur les murs d’une maison cette inscription qui signait leurs méfaits : « Ils ont choisi la liberté d’expression. Nous avons choisi la liberté de destruction« .
On sait que le régime a aujourd’hui besoin de conclure des trêves locales ponctuelles. Il lui faut bien prendre quelque part les soldats qui lui font défaut ailleurs. On ne peut donc que s’étonner qu’il tolère en même temps des voyous à son service ce genre de provocations. Il ne peut ignorer qu’elles peuvent avoir pour effet, non seulement de dissuader les autres villes aux mains des rebelles de conclure à leur tour des armistices, mais que les humiliations risquent de provoquer à terme plus ou moins rapproché une montée des tensions, et peut-être une reprise des affrontements.
Le régime ne manque pas une occasion de souligner l’anarchie qui règne dans les rangs de l’opposition, qu’il s’agisse de l’opposition politique ou des groupes armés. Il n’est pas certain, au vu de ces agissements, qu’il soit lui-même dans une bien meilleure situation. Il paraît en effet incapable d’imposer une quelconque discipline à ceux qui le servent et de les empêcher de se livrer à des actes qui contredisent ses intentions.
A l’été 2011, le chef d’un groupe de chabbiha répondait déjà à un officier des moukhabarat qui tentait de lui imposer quelque mesure : « C’est nous qui vous protégeons ? Alors c’est aussi nous qui décidons » ! Après tout, Bachar al-Assad ne dit pas et ne fait pas autre chose depuis bientôt trois ans, lorsqu’il utilise les moyens les plus criminels pour « protéger » sa population contre les « terroristes »…