Le résultat de l’élection présidentielle qui se déroulera en Syrie le 3 juin est déjà connu.
En dépit du bilan plus que calamiteux de la deuxième partie de son second mandat qui a débuté en 2007 – des millions de Syriens contraints de fuir leurs maisons et parfois leur pays, plusieurs centaines de milliers de morts ou de blessés, des dizaines de milliers de détenus et de disparus, une économie en ruine et une grande partie de son appareil industriel détruit, une société plus divisée que jamais… – Bachar al-Assad sera réélu.
S’il daigne faire campagne, il mettra en avant les slogans qu’il se plaît à ressasser alors qu’ils ne convainquent plus guère que deux catégories de personnes : ses adorateurs inconditionnels, les menhebbakjis, qui ont montré que leur amour exclusif pour le chef de l’Etat, résumé dans la formule « Bachar ou nous brûlons le pays », pouvait les conduire aux pires atrocités ; et ceux qui, méprisant les aspirations à la liberté et à la dignité qui ont jeté les Syriens dans les rues en mars 2011, contribuent en Occident à accréditer l’idée que l’héritier de Hafez al-Assad reste un réformateur, un promoteur de la laïcité, un protecteur des minorités, un ennemi du terrorisme, un rempart contre le djihadisme, bref un moindre mal face à une montée du radicalisme religieux en Syrie délibérément exagérée… dont le président candidat est en réalité le premier responsable.
Puisque l’issue de la comédie, pour ne pas dire de la farce, est déjà connue, mieux vaut s’intéresser aux artifices déployés par le régime pour en dramatiser les péripéties et tenter d’en faire une pièce sérieuse. Plus que jamais, le Parti Baath ayant été dépouillé dans la nouvelle Constitution de février 2012 du titre de « parti dirigeant de l’Etat et de la société » qui lui servait de cache-misère, ce sont les Services de renseignements, seuls véritables gardiens du temple, qui sont à la manœuvre. C’est à eux que Bachar al-Assad, vedette et héros de la pièce dont les deux premiers actes – la présentation des candidatures et la sélection des candidats par l’Assemblée du Peuple – viennent de s’achever, a confié le soin de la mise en scène. Sans surprise, ils ont recourt aux procédés qu’ils utilisent depuis des années pour accréditer l’idée d’une véritable compétition et pour faire en sorte que les élections législatives, comme les élections locales, offrent des dénouements conformes à leurs vœux.
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Ils ont d’abord fait entrer en scène tous les acteurs censés prétendre à la candidature. Il s’agissait en majorité de simples figurants, des acteurs inconnus dépourvus de la moindre prétention, auxquels il n’échappait pas qu’ils ne risquaient rien à se pavaner lors du premier acte, puisqu’ils n’avaient guère de chance de franchir l’obstacle de la sélection des candidats par l’Assemblée du Peuple lors du second. Ceux d’entre eux qui y parviendraient savaient à l’avance qu’ils ne seraient pas libres de faire campagne durant le troisième, et qu’ils ne manqueraient pas de subir une cuisante défaite à l’issue du quatrième. Mais comment auraient-ils pu résister aux pressions plus ou moins courtoises des hommes de l’ombre et refuser le rôle de leur vie ? Il ne s’agissait évidemment que d’un rôle de figurant éphémère, mais il leur donnerait peut-être le droit de s’affubler du titre, et peut-être celui de mentionner sur leurs krout – leurs cartes de visite – leur qualité d' »ancien postulant à la candidature à la magistrature suprême ».
Au terme de ce premier acte, le 1er mai dernier, ils étaient donc 24. Ce nombre considérable était nécessaire, selon les metteurs en scène, pour montrer aux sceptiques l’enthousiasme des Syriens à la perspective de s’affronter lors d’un scrutin parfaitement libre et démocratique et leur conviction de disposer tous de chances équivalentes. Mais il a une autre explication : selon le colonel Mohammed Hasan al-Kana’an, capturé par un groupe de combattants sur la route menant de la capitale au sud du pays d’où il est originaire, il avait été « obligé de se porter candidat par son chef, le commandant du 1er régiment de blindés, sous la menace de voir les membres de sa famille et lui-même liquidés les uns après les autres ». Selon lui, les autres candidats avaient subi des pressions identiques ».
Pour montrer également que toutes les régions du pays et l’ensemble des catégories de la population se sentaient concernées, alors même que la moitié du territoire échappe au contrôle de l’Etat, les scénaristes ont veillé à inclure parmi les comparses des « représentants » d’une majorité des gouvernorats : Damas, Damas campagne, Alep, Homs, Idlib, Lattaquié, Quneitra, Daraa et Deïr al-Zor. Ils ont aussi sélectionné une femme, Sawsan Haddad, deux selon Al-Quds al-Arabi, dont la présence à ce stade de la pièce constituait la preuve que, dans la Syrie de Bachar al-Assad, les femmes avaient une place limitée, certes, mais réelle et, puisque l’affaire était entendue pour la présente consultation, qu’elles pourraient un jour prétendre aux responsabilités de facto réservées aux hommes dans la majorité des autres pays arabes.
Parmi les faire-valoir apparaissait aussi un chrétien, Samih Mikhaël Moussa. En stipulant dans son article 3, alinéa 1, que « la religion du président de la République est l’islam », la Constitution de 2012 ne fermait pas la porte des candidatures devant les membres des autres religions. Elle impliquait uniquement que, en cas de victoire d’un chrétien, par exemple, celui-ci devrait se convertir à la religion majoritaire en Syrie. En attendant cette improbable issue, l’entrée en lice d’un non-musulman, évidemment dépourvu de la moindre chance, avait l’avantage de montrer l’intérêt de toutes les communautés religieuses pour cette compétition et de les impliquer dans la fiction d’une « élection démocratique » dans laquelle chacun avait le droit de se lancer…. si ce n’est la possibilité de l’emporter.
(A suivre)