Le site syrien d’information en ligne All4Syria, dont le créateur et le rédacteur en chef est Ayman Abdelnour, un Syrien chrétien démocrate et réformateur, a publié le 12 octobre un rapport de l’Organisation Orientale pour la Paix et la Liberté qui attire l’attention sur l’extrême gravité de la pétition précédemment rendue publique par un nouveau lobby, la Coordination des Chrétiens d’Orient en Danger.
Publié en arabe, ce rapport se lit ainsi en français :
« Planifié à Damas, un projet extrêmement dangereux vient d’être mis en œuvre à Paris. Il est destiné à obtenir une protection européenne et internationale pour les chrétiens et les minorités en Orient. Il a obtenu le soutien sans précédent d’un lobby parlementaire et politique français et européen. Il est parvenu aux oreilles des décideurs en France, en Europe, aux Nations Unies et au Vatican. Mais il a aussi suscité l’opposition d’activistes de la société civile libanaise et syrienne, conscients de la gravité et du caractère suspect d’un tel mouvement, et préoccupés par la protection des peuples syrien et libanais dans toutes leurs composantes, via la réalisation d’un projet démocratique pluraliste fondé sur la citoyenneté et l’égalité entre tous.
Une fois encore, expert en manipulation du confessionnalisme et adepte du principe « diviser pour régner » transmis en héritage par Hafez al-Assad à son fils Bachar, le régime syrien se livre à son jeu favori. C’est à Paris qu’il l’a inauguré, le mois passé. Y participent ses alliés libanais traditionnels : le Courant Nationaliste libre, c’est-à-dire les partisans du général Michel Aoun, et le Hezbollah.
Pour se parer cette fois-ci du titre de protecteur des chrétiens de tout le Moyen-Orient, le régime a inventé une « coordination » composée de quatre ensemble régionaux. Chacun d’entre eux assumerait la protection des chrétiens, en Egypte, en Syrie, au Liban et en Irak. Ce faisant, le régime tente de se faire passer à nouveau pour l’avocat des minorités et en premier lieu des chrétiens, auprès des Etats européens, dans un cadre oriental général imprécis.
Piloté au plus haut niveau depuis Damas et Beyrouth, c’est à travers ses agents médiatiques à Paris que ce régime menteur a entrepris de faire signer aux Eglises orientales une pétition. Elles l’ont effectivement cosignée avec quelques associations chrétiennes orientales, soit abusées, soit ignorantes, soit utilisées comme couverture pour des activités politiques. Ses promoteurs sont parvenus à faire tomber dans le piège de nombreux ecclésiastiques orientaux, inconscients de la gravité de ce qu’ils signaient.
Dans cette pétition, on lit ceci : « Est-il possible de rester sourd aux massacres en Syrie, uniquement parce que ceux qui sont tués là-bas sont chrétiens ? » Une telle formulation est une falsification. Elle est destinée à faire croire aux gens que les 200 000 victimes du conflit en Syrie sont uniquement des chrétiens !
Recourant à un discours qui rappelle les Croisades du 10ème siècle, la pétition parle aussi des quatre Etats susmentionnés comme de la « Terre sainte ». Or ne figure dans la coordination en question aucun Palestinien. La tragédie et la fuite des chrétiens de Palestine sont donc allègrement oubliées…
Cette pétition a été remise au pape, à la fin du mois de septembre dernier, par une délégation dans laquelle figurait, outre l’un de ses promoteurs, Hasan Chalghoumi, imam de la mosquée de Drancy dans la banlieue de Paris. Ce personnage est mal vu à la fois des musulmans et des arabes pour avoir accueilli l’ambassadeur d’Israël dans sa mosquée et avoir effectué des visitées répétées en Israël.
Trois jours après cette transmission, une conférence de presse a eu lieu à Paris sous le patronage du président de la coordination, le conseiller régional (UMP) Ile de France et ancien délégué interministériel d’origine libanaise Patrick Karam. Seuls trois journalistes de la presse religieuse y ont assisté, dont un Serbe. L’ensemble des médias arabes et français l’ont en revanche boycottée. Il faut savoir que le premier cercle de la coordination est composée de Patrick Karam, d’Elie Haddad, représentant à Paris du courant aouniste, de Rouweïda Khoury, représentante de l’ambassade de Syrie à Paris, de l’ancien baathiste Elish Yako, représentant des Assyriens irakiens, et de Jean Maher, représentant des coptes. Quant au second cercle élargi, il compte parmi ses membres des chabbiha et des alliés du régime à Paris, parmi lesquels Bassam Tahhan.
Ont participé à la conférence les hauts dignitaires chrétiens orientaux signataires de la pétition, comme Mgr Naser Gemayyel, évêque maronite de France et d’Europe, le père Cherbel Maalouf, représentant du patriarcat grec catholique en France, des représentants des églises arménienne et syriaque, en l’absence de tout représentant de l’église grecque orthodoxe. Des citoyens syriens et libanais chrétiens ont été empêchés de s’exprimer pour donner leur avis, « faute de temps suffisant », parce qu’ils n’étaient « pas journalistes »… ou tout simplement parce qu’ils n’étaient « pas chrétiens » ! Une citoyenne syrienne – elle-même chrétienne si cela peut en intéresser certains – est intervenue pour dénoncer un comportement honteux qui n’avait rien à voir avec le christianisme. Si une protection devait être réclamée, elle devait l’être pour tous les Syriens et pour tous les Libanais, et non pour les seuls chrétiens. Elle a accusé la coordination d’être politisée, d’agir dans l’intérêt des parties auxquelles elle servait de façade et d’exploiter le christianisme avec lequel elle n’avait rien à voir pour dissimuler ses propres objectifs.
Quelques jours plus tard, les instigateurs de la pétition se sont réunis à l’issue d’une messe à l’église grecque catholique syrienne de Paris, Saint Julien le Pauvre. Pour fêter sa signature, ils ont accroché des photos de Bachar al-Assad derrière l’autel dont ils ont ainsi profané le caractère sacré. Un représentant du régime syrien était là, ainsi que des personnes proches de l’ambassade de Syrie. Parmi les assistants à la messe, quelques syriens et libanais chrétiens ont protesté contre la politisation de l’office et la profanation de l’église. Ils ont qualifié de mensonges les allégations de la coordination et des groupes du régime sur Ma’aloula et sur ce qui se passait en Syrie de manière générale.
L’affaire ne s’est pas achevée là. Sous l’égide de l’ancienne ministre Valérie Pécresse, une rencontre s’est déroulée à l’Assemblée nationale, mardi 8 octobre, à laquelle n’ont assisté qu’une quinzaine de personnes. Contrairement à ce qu’ils espéraient, les organisateurs ne sont pas parvenus à convaincre les députés de réclamer que soit mis un terme au soutien français à l’opposition syrienne.
Deux jours plus tard, un débat sur le même thème s’est tenu à la mairie du 16ème arrondissement à l’instigation du maire, l’ancien ministre Claude Goasguen, président du groupe d’amitié France-Israël, qui avait signé la pétition et en est le principal soutien. En présence des chabbiha du régime, du courant aouniste et du Hezbollah, il a demandé dans un message officiel une protection européenne et internationale pour les chrétiens et les juifs. Egalement présents à cette manifestation, des activistes libanais et syriens ont protesté contre les mensonges que l’on cherchait ainsi à répandre sur la question du christianisme en Syrie et au Liban. En revanche, et c’est là le plus important, aucun des religieux des Eglises orientales signataires de la pétition n’était présent à ce colloque, suite à leur retrait et à la prise de distance des Eglises, et en particulier de l’évêque maronite Naser Gemayyel, avec les actions de la coordination.
Le même soir, avant le début de la rencontre à la mairie du 16ème, un communiqué avait en effet été diffusé par l’ensemble des Eglises orientales en France, c’est-à-dire l’Eglise maronite, l’Eglise grecque catholique, l’Eglise grecque orthodoxe, l’Eglise arménienne, l’Eglise syriaque et l’Eglise assyrienne. Dans ce texte qui est reproduit ci-après, ces Eglises rappellent que « le Moyen-Orient est composé d’un peuple unique » et elles invitent à la paix et à la prière pour la protection de la dignité humaine de tous.
De son côté, le ministère français des Affaires étrangères a été mécontent de la forme de la première pétition et de ses signataires. Il a surtout été irrité par la mention de massacres collectifs, de viols et d’expulsions dont auraient été victime les chrétiens syriens, libanais et autres, alors qu’il s’agissait d’inventions sans aucun fondement.
Malgré tout, les suppôts du régime syrien et quelques membres abusés de la coordination n’ont pas renoncé à diffuser leur pétition et à allonger la liste de ses signataires. Tous les procédés leur étant bons, ils sont allés jusqu’à y faire figurer les noms des personnes présentes au débat de la mairie du 16ème. Cette falsification a provoqué des disputes et des éclats de voix de la part de certaines victimes de cette manigance durant la réunion !
La coordination n’en a pas moins un autre rendez-vous au Sénat, jeudi 17 octobre. Elle devrait également être reçue au Parlement européen.
Grâce à l’attention et à la prise de conscience des religieux chrétiens de la gravité de la situation au Moyen-Orient, et spécialement en Syrie, cette nouvelle parenthèse des ruses et des falsifications habituelles du régime syrien est d’ores et déjà refermée. C’est également là le résultat de la mobilisation constante des activistes de la société civile libanaise et syrienne, qui s’efforcent de faire prendre conscience à tous qu’ils appartiennent à l’humanité et qu’ils sont d’abord et avant tout des citoyens ».
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Communiqué des Eglises Orientales en France
Octobre 2013
Nous, responsables des Églises Orientales en France, tout en maintenant notre engagement et notre soutien moral et concret envers toute personne victime des actes de violence atroces qui affectent le Moyen-Orient, nous adressons un appel à la paix, à l’arrêt des combats et aux exclusions inacceptables.
Le Moyen Orient est composé d’un seul peuple, dans lequel chaque communauté a sa place et auquel elle apporte sa contribution.
Nous réitérons notre appel aux responsables des pays occidentaux à œuvrer pour une paix concrète et réelle, afin de faire taire les armes et d’aider les chrétiens d’Orient, fils et filles de ces pays, et tous les déplacés, afin de leur permettre de rester sur leur terre.
Nous appelons tous les croyants, de toutes les religions, à prier avec nous et à s’unir à notre appel, pour l’instauration d’un cessez-le-feu et l’établissement du respect de la dignité humaine pour tous.
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Sur la situation des chrétiens en Syrie, on lira également sur ce blog :
– Les chrétiens dans le conflit syrien : ni les seuls victimes, ni seulement des victimes
– Eviter à Damas une dérive confessionnelle de la révolution
– Une religieuse pour convaincre Israël de ne pas lâcher le régime en Syrie
– Les chrétiens de Syrie entre appels de l’opposition et menaces du régime
– Chrétiens en Syrie : séparer le vrai du faux
– En Syrie, « la révolution doit aussi englober l’Eglise »
– Le régime syrien veut faire des chrétiens des moutons apeurés
– Mise au point d’un prélat sur la situation des chrétiens en Syrie
– Des dignitaires religieux instrumentalisés en Syrie par Bachar al-Assad
– En Syrie, encore une fois, le régime ne protège que les « bons chrétiens »…
– Le régime syrien ne protège pas les minorités mais les utilise pour se protéger