Pour le première fois en France, une Marocaine, mère de trois enfants nés en France, se voit refuser la nationalité française parce qu’elle porte la burqa.
Catherine Coroller et Liberation.fr
Quelques semaines après l’annulation d’un mariage entre deux époux musulmans, au motif que la femme avait menti sur sa virginité, une nouvelle affaire, révélée vendredi par le quotidien Le Monde, pose la question de l’acceptation des particularismes religieux et culturels dans la société française.
Faïza M. est une Marocaine de 32 ans, mariée à un Français et mère de trois enfants nés en France. Elle vit en France depuis 2000, parle français et a demandé la nationalité française. Demande refusée, au seul motif qu’elle porte la burqa. «Pour la première fois en France, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 27 juin, a pris en compte le niveau de pratique religieuse pour se prononcer sur la capacité d’assimilation d’une personne étrangère», rapporte Le Monde.
Faïza M. «a adopté, au nom d’une pratique radicale de sa religion, un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment le principe d’égalité des sexes», a estimé le Conseil d’Etat, qui se prononce sur le cas de Fazia M. après un premier refus de la nationalité en première instance en 2005 pour «défaut d’assimilation».
La ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse a elle approuvé samedi la confirmation par le Conseil d’Etat du refus gouvernemental d’accorder la nationalité française à cette Marocaine.
Interrogée sur France Info, Valérie Pécresse a estimé que «le principe de l’égalité des sexes n’est pas négociable dans la République française» et que «le Conseil d’Etat en rendant cette décision a voulu réaffirmer qu’on ne pouvait pas avoir la nationalité française quand on n’adhérait pas à ce principe». «Au-delà même du port de la burqa, il y avait la question du fait que cette femme n’allait pas voter, du fait que cette femme n’avait pas de vie indépendante en dehors des déplacements qu’elle faisait accompagnée de son mari. Je crois que cela n’est pas la République française», a conclu la ministre. Le couple reconnaît son appartenance au salafisme, un courant rigoriste de l’islam. Dans le même temps, Faïza M. a toujours affirmé que, depuis son arrivée en France, elle n’avait jamais cherché à remettre en cause les valeurs de la République.
«D’après ses propres déclarations (Faïza M.) mène une vie presque recluse et retranchée de la société française. Elle n’a aucune idée sur la laïcité ou le droit de vote. Elle vit dans la soumission totale aux hommes de sa famille», souligne Emmanuelle Prada-Bordenave, la commissaire du gouvernement chargée de donner un avis juridique et qui a eu plusieurs entretiens avec le couple, interrogée par le quotidien. D’après elle, ces déclarations sont «révélatrices de l’absence d’adhésion à certaines valeurs fondamentales de la société française».
Le Conseil d’Etat étant la plus haute juridiction administrative, Faïza M. n’a plus de voie de recours.
L’islam est-il incompatible avec la laïcité?
Y a-t-il davantage de frictions entre la laïcité et l’islam ? Difficile à dire, le moindre incident concernant des musulmans étant systématiquement monté en épingle. Ainsi, du mariage annulé en avril par le tribunal de Lille à la demande d’un homme dont l’épouse avait menti sur sa virginité. En référence à la religion des conjoints, la féministe Elisabeth Badinter avait affirmé que le jugement ferait «courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l’hymen», et la présidente de Ni putes ni soumises, Sihem Habchi, avait dénoncé «une fatwa contre la liberté des femmes». Christine Boutin, la ministre du Logement, catholique déclarée, avait largement extrapolé en dénonçant des «difficultés des relations entre notre société et l’Islam».
Dans son ouvrage Allah, mon boss et moi ( Editions Dynamique Diversité, avril 2008), l’anthropologue Dounia Bouzar confirme une montée des revendications religieuses dans les entreprises, notamment de la part des musulmans. Faut-il y voir une flambée de l’intégrisme ?
Emmanuelle Prada-Bordenave, la commissaire du gouvernement qui a rendu un avis sur le cas de Faïza M., s’est interrogée opportunément sur la part de provocation dans son attitude. Moins qu’un refus d’intégration, Dounia Bouzar voit, pour sa part, dans le comportement de certains musulmans une tentative de se faire entendre dans une société qui a du mal à leur faire une place.
Qu’est-ce qu’une burqa?
Si le Coran commande aux femmes de se couvrir afin d’être reconnues comme croyantes et ne point être importunées, il est flou sur la nature de cette couverture. En tout état de cause, la burqa, voile de couleur sombre couvrant les femmes de la tête aux pieds – certains modèles laissant apparaître les yeux, d’autres non – apparaît comme une interprétation quelque peu outrancière des textes sacrés.
Le grand public a découvert la burqa lors de la prise du pouvoir des talibans, en Afghanistan, mais elle est également portée, sous diverses formes plus ou moins opaques, dans tout le monde arabo-musulman, ainsi que de façon croissante en Europe. En France, le débat a surtout porté sur le hijab, voile entourant la tête et le cou. La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou de tenues – dont le hijab – manifestant une appartenance religieuse dans certains établissements publics : écoles, collèges et lycées publics.
En théorie, le port du foulard islamique est autorisé partout ailleurs. Mais des incidents se produisent régulièrement, notamment dans des mairies. En janvier 2006, le député-maire d’Argenteuil (Val-d’Oise) a ainsi interdit à une femme qui portait le hijab d’assister à la remise du décret de naturalisation de son époux.
Quels sont les critères d’obtention de la nationalité?
Aux termes de l’article 21-2 du code civil, tout étranger contractant mariage avec un Français peut, après un délai de deux ans, acquérir la nationalité française. Mais plusieurs articles de ce même code restreignent ces possibilités.
Ils prévoient ainsi que «nul ne peut être naturalisé s’il n’est pas de bonnes vie et mœurs ou s’il a fait l’objet de l’une des condamnations visées à l’article 21-27 du présent code [condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou acte de terrorisme, ndlr]».
Autre condition : l’étranger conjoint de Français doit justifier «de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française et des droits et devoirs conférés par la nationalité française». Sa maîtrise de la langue doit plus précisément lui permettre de répondre aux «nécessités de la vie quotidienne». Le gouvernement peut également s’opposer, par décret, à ce qu’un étranger devienne français en cas de défaut d’assimilation, caractérisé notamment par le fait de «répandre des thèses extrémistes manifestant un rejet des valeurs essentielles de la société française».
Quelles sont les autres législations européennes?
En Allemagne, sur la carte d’identité, il faut avoir le visage découvert mais le vêtement – même la Burqa – n’entre pas en ligne de compte pour l’obtention de la citoyenneté. Vivre depuis au moins huit ans dans le pays, avoir un casier judiciaire vierge et passer avec succès un test de langue sont les critères définis. Dès cet automne, l’impétrant devra aussi répondre à 33 questions sur les institutions ou la société allemande.
En Italie, c’est après dix ans de résidence que le candidat à la naturalisation envoie son dossier au ministère de l’Intérieur où une commission évalue sa situation économique et l’absence de précédents judiciaires. Rien d’autre. Un tribunal administratif du Latium avait confirmé que «le maintien de traditions culturelles», à condition qu’elles ne violent pas les lois en vigueur, ne doit pas entrer en jeu.
Aux Pays-Bas, la naturalisation est automatique après cinq ans même s’il y a un certain durcissement pour l’installation de nouveaux immigrants qui doivent passer des tests de langue. Le nouveau citoyen doit aussi prêter serment durant une cérémonie.
La Grande-Bretagne, longtemps très libérale, a décidé de rendre plus difficile la naturalisation estimant que «la citoyenneté se mérite». Il y a un examen obligatoire sur les connaissances de base de la société, mais la ministre de l’Intérieur, Jacqui Smith, veut aller plus loin. Selon elle, la citoyenneté ne doit s’ouvrir «qu’à ceux qui parlent anglais, travaillent dur et paient leurs impôts». Mais le vêtement n’est pas un problème.
Qui sont les salafistes?
Les salafi, ce sont les «pieux précurseurs», les «pieux ancêtres», compagnons et successeurs immédiats de Mahomet. S’inspirant de leur exemple, les salafistes entendent suivre littéralement les préceptes du Coran, de la Sunna (tradition tirée de la vie de Mahomet) et de la charia (lois régissant la vie des musulmans). Dans leur ouvrage sur les Musulmans en France (1), Bernard Godard et Sylvie Taussig expliquent que «cette obédiencetrès présente en France» se divise en deux branches. L’une, jihadiste, prône le recours à la violence contre les ennemis de l’islam; l’autre, cheikhiste, plus pacifique, impose aux fidèles de vivre en respectant la tradition de manière littérale.
En France, les salafistes contrôlent une trentaine de mosquées, la plupart en région parisienne, une à Roubaix (Nord), une autre à Vénissieux (Rhône).
Internet joue un rôle important dans la vie des salafistes et des musulmans en général. Les fidèles peuvent y entrer en contact avec des cheikhs (savants) du monde entier, soit pour solliciter de leur part une fatwa (avis juridique portant sur tous les aspects de la vie des musulmans, y compris les plus intimes), soit pour y consulter la traduction de textes ou prêches prononcés dans différentes mosquées du monde musulman.
(1) Robert Laffont, février 2007
LIBERATION.FR : vendredi 11 juillet 2008
http://www.liberation.fr/actualite/societe
/338543.FR.php
Refus d’accorder la nationalité pour port de la burqa
Too little too late !!