Oussama au paradis

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Ce texte satirique, écrit, en arabe, par un écrivain saoudien qui avait préférer garder l’anonymat, a été publié par metransparent en août 2006. Ce texte a, par la suite, été traduit par Courrier International en Septembre 2007, tel que nous venons de le découvrir.

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Voici un “conte oriental” non dénué d’humour, écrit par un anonyme saoudien et publié sur le site libéral arabe Shafaf.

Au cœur d’un jardin luxuriant, un ange s’adresse à ses frères. En face de lui, un groupe d’hommes, sur des trônes dorés, attend. L’un d’eux est Oussama Ben Laden. Après un court moment, l’ange appelle Oussama par son prénom précédé de celui de sa mère. Oussama s’approche, interloqué par cette singulière dénomination.

— Tu as l’air surpris ?

— Mais, dit-il d’une voix enrouée, nous sommes donc au paradis ?

— Exactement.

— Mais…

— Le pardon du Tout-Puissant est infini.

— Et les gens… ceux qui…

— Ceux qui sont allés au-devant de la mort ? Ceux qui ont souffert, qui ont tout perdu ? Ils t’ont pardonné.

Oussama laisse échapper un pâle sourire.

— Et maintenant ?

— Maintenant tu vas te rendre dans ton palais, pour te reposer. Demain, un ange viendra t’emmener là où tu dois travailler.

— On travaille au paradis ?

— Pourquoi, tu croyais que tu allais te tourner les pouces ? Tu es affecté à un vignoble dont le nectar est destiné aux Bienheureux, qui jouissent de l’éternité dans un des plus hauts degrés du Jardin.

— Mais je n’y connais rien, moi, à la vigne !

— Tu auras un superviseur, qui t’apprendra à cueillir les raisins selon les normes exigées ici.

— Et où est mon palais ?

— Au jardin de Rujz [paradis inférieur imaginé par le sceptique arabe du Xe siècle Abu Al-Ala’al-Maarri, écrivain honni par les islamistes].

L’ange revient le lendemain chercher Oussama. En sortant de chez lui, il rencontre deux hommes.

— Bonjour, je suis votre voisin, Georg Michaël, et voici Hassan Othman. Nous sommes venus vous souhaiter la bienvenue au paradis.

— Bonj… Mais, vous êtes chrétien ?

— Dans le monde d’en bas, j’étais chrétien. Et ce monsieur, notre voisin était musulman, un mystique soudanais.

Oussama ne dit rien. Au vignoble, il fait la connaissance de ses compagnons de travail et de sa contremaître, Sarah Michowsky. Il reçoit une formation et des instructions. Revenu à son palais, il s’abîme en réflexions sur la vie au paradis. Après plusieurs jours de travail, il demande à sa patronne de pouvoir accompagner l’un des anges à la demeure des Bienheureux du cercle supérieur, dans leur palais. Dans la cour d’un palais magnifique, Oussama trouve un groupe de lurons étendus sur des coussins de brocart et des couches d’émeraude.

— Qui sont ces gens ?

— C’est Nelson Mandela – je crois que c’était un de vos contemporains. A sa gauche, c’est Al-Hallaj [mystique martyr de l’islam, crucifié en 922 pour blasphème]. Les autres appartiennent à des époques ultérieures à la vôtre.
L’effarement envahit le visage d’Oussama, et il est saisi d’un léger tremblement. Quelques jours après, il décide de retourner au jardin où il a été reçu, lors de son admission au paradis.

— J’aimerais revoir certains qui étaient de mes amis, dans le monde d’avant.

— S’ils sont du même degré que toi ou d’un degré inférieur, tu peux leur rendre visite. S’ils sont d’un degré supérieur, tu dois présenter une demande.

— J’aimerais bien voir Abou Qatada et Abou Hafs [dirigeants d’Al-Qaida].

— Pas sur nos listes.

— Et le cheikh Machin ?

— Pas sur nos listes.

— Mais vous n’avez personne, alors ? Se peut-il que nous nous soyons trompés de direction ? Bon, et George Bush, il est là ?

— Pas sur nos listes.

— Et Cheney ? Et Rumsfeld ?

— Pas sur nos listes.

— Il n’y a personne ici, à la fin ! Vous avez qui, dans ce paradis ? Karl Marx ?

— Karl Marx, Karl Marx… Oui, il est là. Tu peux déposer une demande pour qu’il descende te rendre visite, si tu le désires.

Oussama n’en peut plus. Il étouffe. Que faire ? Le paradis est rempli de chrétiens, de juifs, de soufis, de chiites, de laïcs et d’athées ! Il essaie bien un moment d’attirer à lui quelques habitants du paradis, de les pousser à le suivre dans sa lutte contre les contrevenants. Mais personne ne l’écoute. Il enrage. Il cherche une porte, pour sortir du paradis. C’est alors qu’il sent une main se poser sur son épaule, qui le secoue brutalement. Et quand il ouvre les yeux, c’est son ami Ayman Al-Zawahiri.

— Ayman ? C’est toi, Ayman ?

— Eh, lève-toi, mon vieux ! Rentre te coucher dans la grotte.

Shafaf

Courrier international – n° 827 – 7 sept. 2006

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