Nucléaire iranien : la peur de signer

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François Clemenceau – Le Journal du Dimanche

Les tractations finales sur le dossier du nucléaire iranien coincent désormais sur ce qu’il y a de plus politique : la confiance dans une République islamique plus forte.

« On ne peut plus politiquement prolonger ces discussions. » Cette remarque de l’un des négociateurs européens à Vienne en dit long sur la guerre des nerfs qui se joue depuis vendredi soir. Les diplomates et les ministres, qui négocient depuis quinze jours sans interruption, sont épuisés. Le document final est bouclé à 95% et il ne resterait donc que quelques mètres à parcourir avant la ligne d’arrivée. Les plus durs, ceux qui engagent vraiment. « C’est donc l’heure des choix ultimes », confie au JDD notre source.

De quoi parle-t-on? Bien sûr, encore et toujours de la rapidité avec laquelle les sanctions seront levées en cas d’accord. Il y aurait un consensus sur la levée immédiate des sanctions économiques et financières. Mais pas encore sur celles qui concernent directement la prolifération nucléaire.

L’épineux dossier de l’embargo sur les armes conventionnelles

Il y a un autre dossier épineux, qui avait été gardé pour la fin parce que chacun le savait sensible. Il concerne l’embargo sur les armes conventionnelles. Les Iraniens ont toujours réclamé la fin de cette interdiction d’acheter et d’exporter de l’armement offensif. Les Occidentaux estiment « délicat » de voir l’Iran se réarmer à l’heure où le Moyen-Orient, de l’Irak au Yémen, est en plein chaos. Mais les Russes et les Chinois soutiennent l’Iran puisqu’ils sont aussi ses premiers fournisseurs…

« En diabolisant l’Iran pendant des années, on a oublié qu’on avait surestimé son potentiel militaire », estime Pierre Razoux, enseignant à Sciences-Po et auteur de La Guerre Iran-Irak (Perrin). « Mais en fait, c’est une armée à bout de souffle dont les matériels les plus modernes datent des années 1990. » Si demain l’embargo était finalement levé, l’Iran pourrait enfin moderniser son armée, d’autant plus facilement que la fin des sanctions économiques lui donnerait suffisamment de moyens financiers pour s’y employer.

Dans quel but? Dans quel environnement stratégique? C’est bien l’Iran de demain qui se dessine à Vienne. Les victoires de Daech en Irak et en Syrie l’an dernier ont en effet radicalement changé la donne. Vendredi, lors de la « Journée mondiale Al-Qods » de soutien au peuple palestinien, les slogans iraniens n’ont plus seulement stigmatisé Israël, « l’ennemi sioniste », mais également « le fondamentalisme ». L’Iran se veut donc en première ligne face à la barbarie de Daech mais aussi contre l’Arabie saoudite, accusée de « martyriser » les houthistes chiites du Yémen. Ce que cela signifie pour les Occidentaux? Un changement de priorités. Tous unis contre Daech. Mais pas à n’importe quel prix. D’où la réassurance offerte par la France à ses amis du Golfe.

« Tout le monde a intérêt à cet accord »

On s’inquiète aussi du « pouvoir de nuisance » de ceux qui, à Téhéran, voudraient torpiller un éventuel accord de Vienne dès lors qu’il serait considéré comme une capitulation susceptible de remettre en question les acquis de la révolution islamique. Raison pour laquelle la délégation iranienne à Vienne donne tous les gages nécessaires pour prouver qu’elle se sera battue jusqu’au bout.

« Ils lâcheront au dernier moment », pronostique d’ailleurs un expert de l’Iran, au cœur du ­dossier. « Tout comme nous, d’ailleurs, car tout le monde a intérêt à cet accord et parce que les États-Unis ainsi que l’Agence internationale de l’énergie atomique sont devenus les garants sérieux de ce deal. » Pourtant, samedi, un délégué iranien à Vienne prévenait que l’Iran n’avait « plus de limite dans le temps » pour parvenir à l’accord.

Ultime pression pour obliger le partenaire à signer, ou prise en compte d’un autre facteur très discuté depuis des semaines, la remontée des cours du pétrole? Frappé par les sanctions, l’Iran se débat pour vendre ce qu’il est autorisé à exporter, mais à des prix trop bas pour soutenir son économie. Si les prix mondiaux repartaient à la hausse, Téhéran pourrait se permettre de redresser la tête et donc faire traîner la négociation avec les Occidentaux. « Il se trouve que les Saoudiens ont intérêt maintenant à faire remonter les prix », diagnostique Pierre Razoux, pour qui le royaume a besoin de « calmer le jeu » face à des tensions internes et dans le contexte d’une guerre au Yémen qui s’éternise.

Une pression économique et commerciale

Reste la pression économique et commerciale exercée sur les négociateurs à Vienne. La levée des sanctions contre un pays de 80 millions de consommateurs aiguise les appétits de toute la planète. Les entreprises européennes du secteur pétrolier et de l’équipement sont sur la ligne de départ. Le ministre allemand de l’Économie, Sigmar Gabriel, aurait même prévu d’être le premier européen à se rendre à Téhéran dès que l’accord sera signé. Quant aux Chinois, aux Indiens, aux Turcs, sans parler des Américains, tous ont intérêt commercialement et stratégiquement à une modernisation du secteur pétrolier, et surtout gazier, de l’Iran.

« On ne peut plus revenir en arrière, c’est trop tard maintenant », analyse un connaisseur de l’Iran. Après dix ans de tractations sur le nucléaire iranien et trois ans de contacts directs entre Iraniens et Américains, trop de chemin a été parcouru pour s’abandonner à une prolongation du statu quo. Signe des temps, la Section d’intérêts iraniens à Washington a été autorisée, récemment et discrètement, à quitter l’ambassade du Pakistan qui l’hébergeait pour se doter de nouveaux locaux. À quelques dizaines de mètres du département d’État…

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