Au cours des derniers jours, la ville de Soueïda a connu une certaine ébullition. Elle a été provoquée une fois encore par l’incapacité des services de sécurité du régime syrien à respecter les principes religieux des diverses populations, à tenir compte des susceptibilités locales et à régler les différents autrement que par la menace et le recours immédiat à la force. La tension créée en l’occurrence au sein de la communauté druze, principale composante de la ville et du gouvernorat où les Bani Maarouf – comme ils aiment à se désigner – constituent plus de la moitié de la population, tombe mal. Elle précède en effet l’élection présidentielle, dont le président de l’Assemblée du Peuple communiquera la date dans les jours à venir, dès que les seuls véritables décideurs la lui auront transmise. Elle s’inscrit dans la campagne préparatoire à ce scrutin, pour lequel le pouvoir peine à mobiliser localement, alors qu’il ne manque pas plus ici qu’ailleurs de moyens de séduction et de coercition.
NAGUÈRE
Pour remettre dans leur contexte les développements dont il va être question, on rappellera que le régime s’est évertué, dès la mi-mars 2011, à prévenir une adhésion à la révolution des Mouwahhidin (Unitariens), la véritable appellation des Druzes. Pour ce faire, n’ignorant rien de leur nationalisme, de leur solidarité avec leurs compatriotes et de leurs sentiments peu amènes à son égard, il a eu recours pour les contrôler et pour les contraindre aux mêmes moyens qu’avec les Kurdes de la Jazireh. Il a réprimé les manifestations sur la voie publique et il a emprisonné les activistes locaux les plus engagés, à commencer par les avocats, dont les membres du syndicat à Soueïda avaient été les premiers à protester publiquement contre la tournure des événements dans la ville voisine de Daraa. Mais il a veillé à limiter et à contrôler son usage de la force, dans l’espoir de gagner à lui, ou de s’assurer à tout le moins la neutralité des Druzes.
Fidèle à la stratégie de division de la population qui lui avait permis de se maintenir depuis 1970, le régime s’est employé à restreindre toutes les formes d’entraide des habitants de Soueïda avec ceux de Daraa, majoritairement sunnites. Conformément à cette même stratégie, il a agité devant eux la perspective de massacres commis par des « islamistes djihadistes radicaux » en provenance du gouvernorat voisin, dont l’adhésion aux thèses takfiristes faisait des Druzes des kouffar et des cibles légitimes. Pour achever de les convaincre en les terrorisant, il a organisé ou commandité des attentats à Soueïda et à Jaramana, deuxième ville druze du pays, qui devaient lui permettre de recruter des hommes pour les milices populaires d’abord, pour l’Armée de Défense nationale ensuite. Cela ne suffisant pas, il a dépêché dans le Djebel certaines de ses créatures, dont la plus emblématique à défaut d’être la plus reluisante est l’ancien ministre libanais Wi’am Wahhab, qui a fait miroiter aux jeunes chômeurs de la région les perspectives d’emplois qu’ouvraient pour eux, sur le champ et dans l’avenir, l’engagement au sein de ces milices.
Mais cela n’est pas parvenu à faire pencher définitivement les Druzes en sa faveur. Tout en cherchant eux aussi à prévenir les affrontements avec des forces de sécurité désormais épaulées par des chabbiha locaux, recourant aux mêmes méthodes d’intimidation que leurs homologues de la région côtière, les Druzes n’ont jamais cessé d’affirmer leur soutien à un changement que, comme la majorité de leurs frères Syriens, ils auraient préféré pacifique. Ils ont donc continué, si ce n’est à manifester, du moins à exprimer leur solidarité partout où ils le pouvaient avec leurs compatriotes exposés aux représailles du régime et contraints de fuir leurs villes ou leurs villages. C’est ainsi que la ville de Jaramana est devenue un asile pour des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, chassés de diverses agglomérations de la Ghouta orientale. Quelques membres de la communauté, autant pour se prémunir contre les agressions des forces de sécurité et de ses forces supplétives que pour s’opposer à l’invasion des hordes barbares qu’on leur avait annoncée, ont néanmoins pris les armes. Ils ont tenté de constituer localement des katibas plus ou moins rattachées à l’Armée syrienne libre. En revanche, se conformant aux directives des cheykhs de leur communauté, ils se sont refusés pour la plupart à participer à des affrontements autres que défensifs.
===
HIER
Au cours du mois de janvier 2014, la région a été mise en émoi par une recrudescence des enlèvements. Plusieurs membres de la communauté druze ont été pris en otages par les bédouins sunnites sédentarisés des villages voisins. L’importance de la rançon uniformément réclamée – 5 millions de livres syriennes – suggérait que ces méfaits pouvaient être imputés à la misère de ceux qui avaient perdu leur gagne-pain, puisque la surveillance accrue des frontières avait rendu impossible la poursuite de la contrebande et des trafics, sources principales de leurs revenus.
Mais ces enlèvements pouvaient aussi bien avoir été planifiés par le régime, avant d’être menés à bien par des ravisseurs émargeant au budget des moukhabarat, ceux de l’armée de l’air en particulier. Ils auraient été destinés à effrayer la communauté druze jusqu’ici peu sensible à ce genre de chantage. Il fallait la dissuader de prendre parti en faveur des unités de l’Armée libre retranchées dans la région du Laja, au nord de Soueïda, contre lesquelles des opérations de l’armée régulière étaient en préparation.
Il pouvait également s’agir de sanctions pour les prises de position répétées des responsables de la communauté. En interdisant à leurs fidèles de combattre avec quelque partie que ce soit hors des limites de leur mouhafaza (gouvernorat), ils avaient montré la distance qu’ils entendaient conserver avec tous les protagonistes. Déjà inadmissible pour le régime en temps normal, cette position de neutralité lui était insupportable en ces temps de crise qui contraignaient Bachar al-Assad à recruter hors de Syrie des mercenaires prêts à mourir pour lui.
Il pouvait enfin s’agir d’une nouvelle tentative de resserrer artificiellement les rangs de la communauté druze contre ses voisins sunnites, puisque, plusieurs des otages appartenant à la famille du général Isam Zahreddin, commandant du 105ème régiment de la Garde Républicaine, les Druzes ont été contraints en quelque sorte de se mobiliser par solidarité confessionnelle avec un membre de l’appareil militaire du régime. Et pas n’importe lequel : le général en question est particulièrement honni chez lui et dans toute la Syrie pour sa férocité. Ses principaux hauts-faits sont la prise du quartier de Bab Amer à Homs, en février 2012, la direction de la bataille d’Alep, en octobre 2012, et le bombardement de Daraa…
===
AUJOURD’HUI
Tout récemment, à l’approche de l’échéance électorale qui verra Bachar al-Assad se présenter pour un nouveau mandat et être réélu… puisque le peuple le veut, plusieurs événements sont venus alourdir encore l’atmosphère dans la région.
Les Druzes ont d’abord déploré la recrudescence des décès sous la torture de membres de leur communauté, dont la plupart n’appartenaient pas à l’opposition politique, et dont l’assimilation à des « rebelles » et des « terroristes » manquait de crédibilité. Ils avaient relevé que, parmi les 11 000 victimes figurant dans le rapport rendu public à la fin du mois de janvier, près d’une trentaine appartenaient à la communauté et étaient originaires du Djebel ou de Jaramana. Or, depuis la publication de ce rapport, il ne s’est pas passé une semaine sans que les responsables locaux de la sécurité remettent à leurs proches la dépouille de nouveaux « martyrs ». Les uns, comme le jeune Tareq Hamed Qoummach, avaient été capturés ou s’étaient livrés pour régulariser leur situation, après avoir refusé de rejoindre leurs casernes afin de ne pas contribuer à des affrontements entre enfants du même pays. D’autres étaient des activistes dont l’engagement était strictement pacifiste, comme Chadi Abou Raslan, arrêté sur la route reliant Beyrouth à Damas et torturé jusqu’à la mort pour avoir collé au dos de son téléphone portable le drapeau de l’indépendance, ou comme le Dr Rafe’ Brik, un dentiste originaire du village d’al-Qarya, près de Soueïda.
Déjà humiliés par la décision du gouvernement syrien de « dédommager par le don de deux chèvres » chaque famille de la région ayant perdu l’un de ses membres dans les combats contre les « terroristes », les Druzes ont été excédés par le comportement du chef de la branche locale des Renseignements militaires. A trois ans de distance, celui-ci, le général Wafiq Naser, semblait s’ingénier à reproduire avec ses « administrés » les agissements irresponsables de son homologue de la Sécurité politique à Daraa, le général Atef Najib. Avec la grossièreté qui caractérise la plupart de ces officiers, il ne reculait devant aucune provocation. Ils le soupçonnaient déjà d’avoir trempé dans la mort du cheykh Ahmed Salman al-Hajari, l’un des trois cheykhs al-aqel, principaux chefs de la communauté, tué en mars 2012 dans un « accident de voiture » après une entrevue orageuse avec Bachar al-Assad… qui apparentait son décès à celui de Rafiq al-Hariri. Il faisait désormais pression sur les responsables de la communauté, auxquels il imposait de demander aux déserteurs de regagner leurs unités en échange d’une immunité… qu’il violait aussitôt, allant jusqu’à accuser ceux qui se livraient d’être membres de Jabhat al-Nousra pour mieux les condamner. Il ignorait les interventions de ces mêmes responsables en faveur de religieux arrêtés sous des prétextes divers, y compris lorsque le demandeur était Nazih Jarbou’, un proche d’un autre cheykh al-aqel, Yousef Jarbou’. Il cherchait à intimider l’ensemble de la population de la ville en laissant libre cours aux activités des milices de chabbiha et de l’Armée de Défense nationale dont le chef, Ghassan Qardab, était un voyou notoire. Non content de confisquer la villa que Faysal al-Qasim, journaliste vedette de la chaîne al-Jazira, possédait à Qanawat à la périphérie de Soueïda, il en avait fait don à l’Armée de Défense nationale pour qu’elle en fasse son siège…
===
LES FAITS
Alors que le mécontentement couvait, il a été exacerbé, le 8 avril, par l’une de ces initiatives inconsidérées dont les adorateurs de Bachar ont le secret. Pour donner un cachet local aux manifestations de soutien à la campagne du candidat à sa propre succession, et pour donner l’impression que celui-ci bénéficiait du soutien de l’appareil religieux qui avait décidé de ne pas y participer, ils ont contraint une femme revêtue du costume des initiées, robe noire et foulard blanc, à danser sous une tente dressée au centre de la ville en arborant une photo de Bachar al-Assad. Informés de cette profanation, un certain nombre de cheykhs suivis par une foule de leurs partisans se sont immédiatement rendus sur les lieux. Ils ont envahi la tente abritant les festivités, détruit les photos de Bachar al-Assad et contraint une patrouille des forces de sécurité qui voulait intervenir à battre en retraite.
Sur ordre de Wafiq Naser, les moukhabarat ont arrêté peu après deux des meneurs, les cheykhs Lawrence et Amer Sallam, qu’ils ont jetés en prison. Au lieu de calmer les protestataires, cette décision a attisé leur colère. Au cours d’un rassemblement à la maison du cheykh Lawrence, ils ont décidé d’adresser une message au régime pour lui faire savoir que, s’il ne libérait pas immédiatement les deux détenus, ils autoriseraient l’assassinat du chef de la Sécurité militaire, coupable par ses agissements de provoquer la fitna, la dissension, parmi les membres de la communauté. Ils réclamaient également que soit mis un terme aux perquisitions qui violaient l’intimité des foyers. Ils voulaient aussi que les conscrits druzes accomplissent leur service militaire dans les limites du gouvernorat. Ils entendaient enfin interdire aux jeunes de Soueïda de tuer d’autres Syriens.
Escortés par une foule grossissante de partisans croisés en chemin, ils se sont rendus au domicile du cheykh Yousef Jarbou’, pour lui demander de transmettre aux autorités sécuritaires ces décisions. Pendant ce temps, la foule des des protestataires se rendait chez le troisième cheykh al-aqel, Hammoud al-Hannawi, dans la localité d’al-Sahwa, où un meeting s’est tenu durant plusieurs heures.
Le lendemain matin, les cheykhs, leurs fidèles et leurs partisans se sont réunis à nouveau au domicile de leur camarade emprisonné, d’où ils sont partis en voiture pour un périple à travers le gouvernorat destiné à informer les habitants de leur refus des pratiques du chef des Renseignements militaires et à leur faire partager leurs revendications. Ils scandaient des slogans comme : « La mort et pas le déshonneur » ou « Honte à qui accepte de vivre dans l’humiliation ». Des rafales d’armes automatiques ont également été tirées en l’air. Dans un geste symbolique censé montrer qu’ils étaient disposés à affronter la mort, les cheykhs s’étaient dépouillés de leur turban blanc. En chemin, une trentaine de membres de l’Armée de Défense nationale et des Comités populaires ont abandonné leur poste et se sont joints à eux, se mettant à leur disposition. Le cortège s’est finalement arrêté à Aïn al-Zaman, un complexe sacré situé dans la ville de Soueïda, où les cheykhs ont poursuivi leur protestation. Ils ont malmené le chef des chabbiha de la ville, Ghassan Qardab, qui, fort de la protection des autorités, était venu les menacer d’un bombardement de Soueïda par l’armée de l’air syrienne au cas où ils ne mettraient pas un terme immédiat à leur démonstration. Ils ne se sont dispersés que lorsque les autorités ont relâché les cheykhs Lawrence et Amer Sallam.
===
LES CONSÉQUENCES
Suite à cette affaire, les trois cheykhs al-aqel ont cosigné, le 10 avril, un communiqué. Dénonçant l’action de ceux qui avaient tenté au cours des jours précédents de « semer la discorde entre le population et les appareils de l’Etat », ils appelaient les membres de leur communauté à la vigilance. Ils leur donnaient pour consigne de respecter l’interdiction de tirer en l’air en quelque circonstance que ce soit. Ils interdisaient aux religieux de porter une arme. Ils proscrivaient tout rassemblement armé ou non-armé tenu sans l’accord préalable des cosignataires. Ils invitaient les membres de leur communauté à coopérer avec les services spécialisés et à ne pas entraver leur travail. Ils prévenaient les religieux qu’ils ne seraient pas couverts par leurs autorités au cas où ils contreviendraient à ces consignes.
Au lieu de se plier à cette directive qui sentait son moukhabarat à plein nez, les cheykhs à l’origine de la contestation ont décidé, au cours d’une réunion ouverte à la population, de rejeter cette mise en demeure. Après avoir rappelé qu’ils ne coopéraient ni avec l’armée régulière, ni avec l’Armée libre, ils ont menacé de répondre au communiqué d’une manière discourtoise si celui-ci était rendu public. Ils ont affirmé qu’ils ne soutenaient pas Bachar al-Assad et qu’ils ne lui faisaient pas allégeance. Ils ont critiqué les manifestations et les festivités qui donnaient l’illusion que les Druzes étaient la « communauté d’al-Assad ». Ils ont finalement déclaré que, après ce qui s’était passé, la présence du général Wafiq Naser dans le gouvernorat n’était plus acceptable et ils ont exigé son remplacement. Au cas où ils n’obtiendraient pas satisfaction, ils considéreraient le régime tout entier comme l’ennemi des Druzes.
Réunis au domicile du cheykh Abou Fahd Wahid al-Bal’ous, ils ont invité leurs coreligionnaires à ne pas se défaire des armes individuelles qu’ils étaient invités à remettre. Il les avaient acquises sur leurs deniers personnels, non pas pour combattre au côté d’une faction ou d’une autre, mais pour assurer eux-mêmes au besoin leur protection. Leurs ennemis ne se trouvaient pas uniquement du côté où le pouvoir cherchait à orienter leurs regards. Ils ont finalement déclaré qu’ils rejetaient la visite annoncée pour le 16 courant de Wi’am Wahhab, dont ils n’avaient pas besoin pour ramener le calme à Soueïda, et qu’ils se refuseraient à rencontrer en tout état de cause.
===
ET DEMAIN ?
Comme les commerçants du quartier de Hariqa à Damas, le 17 février 2011, les cheykhs druzes à l’origine de la contestation n’ont pas délibérément cherché à entrer en confrontation avec le régime. Ils ont seulement profité d’une profanation puis d’une initiative malencontreuse, encore que très habituelle de la part des officiers des services syriens de renseignements, pour dire leur refus de se laisser humilier, de voir leurs traditions religieuses moquées et leurs hommes de religion mis en détention pour s’être révoltés contre cette profanation.
Mais ils ont aussi voulu saisir cette opportunité pour tenter de faire comprendre au régime que le temps n’était plus où celui-ci pouvait tout se permettre au plan politique. Si Bachar al-Assad voulait rester à son poste pour un troisième mandat, libre à lui. Ils ne pourraient l’en empêcher. Mais, pour autant, il ne devait pas considérer les Druzes comme un électorat captif, dépourvu de libre arbitre et de volonté. Il devait les respecter. S’il ne le faisait pas, ils se chargeraient de le lui rappeler, comme ils l’avaient fait au milieu du mois de janvier 2014, lorsque, à la demande du cheykh al-aqel Yousef Jarbou’, des religieux druzes avaient attaqué la caserne de Sadd al-Aïn dans laquelle le régime retenait prisonniers dans des conditions indécentes quelque 400 jeunes de la communauté qu’il entendait contraindre à combattre à son côté.
Depuis le début du soulèvement populaire dans la ville voisine de Daraa, à laquelle elle n’a pas ménagé son soutien moral et son aide humanitaire, la communauté druze a adopté une position de neutralité politique à l’égard du pouvoir en place. Consciente de ne pas disposer des moyens d’affronter le régime et peu convaincue par l’alternative que lui proposait l’opposition, elle n’a pas pris les armes contre le pouvoir. Mais elle s’est également refusée à lui apporter le soutien que celui-ci attendait d’elle. Les pressions, les menaces, le chantage aux attentats n’ont pas suffi à la faire changer d’avis. Les multiples campagnes du sergent recruteur Wi’am Wahhab se sont révélées d’une efficacité limitée. Ayant constaté de leurs yeux ce qu’il en était de la « lutte contre le terrorisme » qui avait motivé leur engagement, nombre de jeunes partis rejoindre les rangs de l’armée ou des forces supplétives n’ont plus eu qu’une idée : déserter.
En remplaçant rapidement le chef des Renseignements militaires – ou en affectant de le faire… – et en lui donnant un successeur en la personne du général Ali Taha, Bachar al-Assad a, apparemment, recherché l’apaisement. Il aurait d’ailleurs donné pour instruction aux différents services de sécurité d’éviter dorénavant toute confrontation directe avec les manifestants à Soueïda et dans le gouvernorat pour éviter que leurs démonstrations se transforment en une véritable révolution. Mais, ce serait mal le connaître qu’imaginer qu’il aurait renoncé à sanctionner, directement ou indirectement, ceux qui ont contesté l’autorité de ses représentants.
C’est en effet comme l’annonce d’une vengeance imminente du régime, brandie quelques jours plus tôt par le chef des chabbiha locaux, que les Druzes ont interprété un communiqué inhabituel de Jabhat al-Nousra annonçant, le 14 avril, le début d’une campagne de bombardement de Soueïda. Dans ce communiqué, le Front de Soutien déclarait que, « pour venger le sang des musulmans et répondre à l’appel au secours des habitants du gouvernorat de Daraa bombardés à coups de barils d’explosif » depuis le gouvernorat voisin, il allait « prendre pour cible les emplacements sécuritaires, les quartiers des officiers, les services de sécurité et les rassemblements de chabbiha et des Comités populaires dans le gouvernorat de Soueïda, d’où les avions décollent pour semer la mort ». Ils n’ont donc pas été surpris lorsque, le lendemain 15 avril, un missile GRAD s’est abattu dans un secteur inhabité situé près du service de recrutement de l’armée, derrière le stade municipal de la ville… dans ce qui s’apparentait davantage à une intimidation qu’à de véritables représailles. Ce tir isolé n’a fait aucune victime.
Le rôle joué par les cheykhs dans cette tentative de réappropriation de la décision par les Druzes et dans l’affirmation de la neutralité voulue par eux pour l’ensemble de la communauté ne donnera satisfaction à personne. Elle suscitera des réserves de la part des « laïcs » qui considèrent que c’est aux politiques et non aux religieux qu’il revient de proposer une ligne de conduite à leur communauté, une catégorie que certains jugent d’ailleurs – ou aimeraient voir… – dépassée. Elle laissera insatisfaits ceux qui attendent de leurs coreligionnaires qu’ils rejoignent la révolution plutôt que de se tenir dans un entre-deux aussi délicat qu’insatisfaisant. Mais force est de constater que, pour respectables qu’elles puissent être, aucune des personnalités druzes connues pour leur appartenance à l’opposition ou surgies depuis le début de la révolution, et à plus forte raison celles acquises au pouvoir en place, n’est aujourd’hui en mesure de concurrencer les religieux. Certaines peuvent disposer d’une base populaire, mais celle-ci n’est pas animée par l’esprit de corps qui caractérise les initiés, encore une fois démontré à la faveur de ces événements.
Quoi qu’il en soit, leur mobilisation fait encore moins l’affaire du régime, pour qui l’affirmation d’une neutralité est interprétée depuis toujours, mais particulièrement en ce moment, comme un acte de défiance et de rébellion à son endroit. Les opposants espèrent donc, non seulement que les religieux druzes seront suivis par les membres de leur communauté dans leur refus de se voir instrumentalisés par le pouvoir, mais que leur solidarité servira d’exemple aux « clergés » chrétien et alaouite, auxquels la cohésion avec ou sans leurs hiérarchies pourrait permettre d’afficher enfin la distance avec le régime que les révolutionnaires attendent d’eux.