En principe, la morale qui se dégage de la parabole du Bon Samaritain constitue la pierre angulaire de l’éthique chrétienne et du témoignage qui en découle en faveur d’une certaine vision de l’homme et du monde. Un juif souffrant est étendu au bord du chemin. Passent d’autres juifs et ne s’arrêtent pas. C’est un Samaritain, donc un ennemi, qui lui prodigue des soins, l’amène au village le plus proche, le confie à une auberge et s’assure que tout sera mis en œuvre afin que cet ennemi, objet de haine tenace, reçoive aide et secours. Le Samaritain aurait pu demeurer indifférent au sort de son pire ennemi. Il aurait pu se dire : que m’importe la mort de cet individu, ce n’est qu’un fanatique qui ne demande qu’à exterminer mon peuple ; c’est un danger permanent pour la pérennité de l’identité samaritaine.
Le monde arabe est en ébullition. Après des siècles de léthargie, voilà que sonne l’heure du réveil d’une culture et de la possible transfiguration d’une religion que ce réveil pourrait entraîner. Que font les libanais qui se disent chrétiens et qui se vantent d’être les gardiens indéfectibles des valeurs que l’Evangile proclame ? Comment réagissent-ils face à, ces bouleversements, notamment ceux de Syrie ? On peut identifier trois types principaux de réactions et ce, indépendamment des clivages politiques qui scindent verticalement la société libanaise.
Il y a certes les démocrates laïques pour qui priment les valeurs des droits humains. Chez eux, peu importe l’identité sectaire de la victime, cette dernière demeure un être humain aux droits bafoués. Ils sont malheureusement peu nombreux à avoir le courage de se tenir aux côtés d’un yéménite zaydite, d’un syrien sunnite, d’un bahreïni duodécimain, ou d’un égyptien copte.
Et puis, il y a la masse des indifférents dont le discours est marqué par la hargne, la rancœur et parfois un rien de racisme. Ils n’arrivent malheureusement pas à dépasser les péripéties de la guerre libanaise et tout ce que l’armée du régime syrien a fait au Liban et qu’elle fait actuellement contre le peuple de Syrie. Pour eux, tout ceci n’est que querelles entre musulmans sunnites et chiites. Pas une once de miséricorde ou de pitié ne vient nuancer leur ressentiment.
Mais il y a aussi les mauvais samaritains qui voient l’Orient à travers les œillères de leur petite identité tribale de minoritaires. Ont-ils peur ? Peut-être ; mais de quoi exactement ? Ils vous nommeront l’ennemi sans visage qui hante leurs cauchemars fantasmagoriques. Cet épouvantail d’un autre âge, c’est bien entendu tout musulman sunnite catalogué comme salafiste. Ce terme n’est qu’une métaphore pour dire : terroriste, fanatique sanguinaire, criminel etc. Ils vont même jusqu’à se faire les chantres d’un régime qui tue son peuple, au nom de la protection de leur identité fantasmagorique de minoritaires. Récemment, une religieuse très médiatisée s’est même permise, au nom de cette peu honorable protection des minorités, de se faire le relais du discours de propagande d’un régime qui n’a rien à envier à celui de Pol Pot, Staline, Ceaucescu, Enver Hodja, Ante Pavelic, Slobodan Milosevic, pour ne citer que ceux-là. Ainsi, ces minoritaires seraient prêts à être les dhimmis du diable en personne si ce dernier leur assurerait sa protection. Tel est le stigmate de la servilité obséquieuse de la dhimmitude : appeler le mal un bien. Les citoyens tombent sous les balles du tyran ? Qu’à cela ne tienne, ce sont des salafistes et leur sort n’est pas de nature à émouvoir le minoritaire.
Les mauvais samaritains sont en train de rater le coche. Ils ne savent pas que leur témoignage et leur mission en Orient n’est pas le repli haineux mais l’engagement à fond et sans réserve en faveur de la liberté et de la dignité de l’homme. Au lieu d’être à l’avant-garde du réveil arabe, ils préfèrent se calfeutrer en jouant les cohortes auxiliaires des tyrans les plus sanguinaires. S’ils ne prennent pas conscience du risque suicidaire de leur attitude, l’histoire se fera sans eux.
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* Beyrouth