L’Arabie saoudite face à l’éclatement du djihad

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ATTENTAT prémédité contre des Français ou attaque d’opportunité contre des Occidentaux ? Même si les circonstances de la mort des quatre Français en Arabie saoudite restent floues, la thèse d’une opération purement antifrançaise semble écartée. Selon une version des faits, non confirmée par l’enquête saoudienne qui se poursuit, l’un des deux tueurs, sortant de sa jeep avant-hier, a lancé : « De quelle nationalité êtes-vous ? » Avant même que les Français ne répondent, son complice a ouvert le feu et tué les trois hommes et blessé grièvement l’adolescent, qui allait décéder de ses blessures au poumon, hier, à l’hôpital de Médine.

Les assassins avaient préparé leur crime. Ils étaient armés et leurs visages étaient masqués par un keffieh. La piste désertique sur laquelle s’était arrêté le 4 × 4 des Français le temps d’un pique-nique était éloignée de la route principale. Ce qui donne à penser que le convoi a été suivi, après avoir été repéré. Or dans cette région, où de nombreux jeunes vont mener la guerre sainte en Irak, le sentiment anti-occidental est fort.

Deux ou trois sympathisants islamistes, sans autre lien avec al-Qaida qu’Internet ou la littérature du mouvement terroriste, peuvent décider, d’eux-mêmes, d’aller frapper des intérêts occidentaux. « C’est un nouvel exemple d’une privatisation de la guerre sainte contre l’Occident », constate à Riyad le chercheur français Pascal Ménoret. Même en l’absence de revendication, les motivations des tueurs ne font guère de doute. « Celui qui a commis cet acte terroriste (…) ne représente que lui-même et n’échappera pas à la justice », a dit le roi Abdallah, en présentant ses condoléances hier matin à Jacques Chirac.

Le retour des Saoudiens d’Irak

« Al-Qaida en Arabie n’est plus une organisation hiérarchisée, elle n’a plus de chef, elle est éclatée en une multitude de petits groupes », explique l’opposant Mohammed Saed Tayyeb. Tel est le principal résultat de la traque menée depuis 2003 par les autorités contre « les déviants », la terminologie officielle qui désigne les membres de la branche locale du réseau terroriste. Au total 246 responsables, logisticiens, combattants ou bailleurs de fonds ont été capturés ou tués. Et, sur les 62 plus dangereux terroristes recensés sur les listes officielles, cinq seulement seraient encore dans le royaume, vingt autres auraient fui, tandis que les 37 derniers ont été arrêtés ou liquidés. « Les résultats sont réels, mais ils risquent de n’être que temporaires, car le gros des troupes est encore là », prévient l’islamiste réformiste Abdel Aziz al-Gasim. Pour échapper aux coups de boutoir des forces de sécurité, certains membres du réseau sont entrés en clandestinité, alors qu’au terme d’un débat interne, de nombreux autres furent invités à aller combattre en Irak plutôt qu’à continuer d’attaquer le régime saoudien. Si l’heure du retour au bercail des « Saoudiens d’Irak » ne semble pas encore avoir sonné, en Arabie, le recrutement continue.

Fin 2006, 136 terroristes présumés ont encore été arrêtés à travers le royaume. Des « recruteurs » pour l’Irak, mais aussi des activistes de plus en plus jeunes, révoltés par les occupations de l’Irak et des Territoires palestiniens, l’injustice locale ou les ventes d’armes occidentales aux dirigeants saoudiens. « Leur capacité opérationnelle était plus limitée que leurs aînés, car nous leur avons fait mal, explique le général Mansour al-Turki, porte-parole du ministère de l’Intérieur, mais en les interrogeant nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient établi une nouvelle stratégie : s’attaquer à des individus ou procéder à des enlèvements. Certains étaient sur le point de passer à l’action », précise Turki. Dans le passé déjà, plusieurs attentats ou attaques personnelles furent commis par des individus ou des groupuscules isolés, les plus difficiles à traquer, car ils évoluent en circuit fermé.

Frapper des « cibles molles »

Après les « années de sang » en 2003-2004, le régime, inquiet pour sa survie, a pris des mesures de sécurité draconiennes : les bâtiments officiels, les hôtels et les résidences où les étrangers vivent en vase clos sont désormais inaccessibles au commun des mortels. Faute de pouvoir atteindre ces symboles, les terroristes sont tentés de viser des « cibles molles », par exemple des individus étrangers sur une route isolée. L’impact psychologique n’en est pas moindre. « Au contraire, il est énorme, dit un homme d’affaires, les assassinats des quatre Français font encore plus peur que s’ils avaient été victimes d’un attentat à la voiture piégée contre un édifice saoudien ».

Faire fuir des expatriés d’Arabie, indispensables à l’économie, constitue précisément l’un des objectifs d’al-Qaida et de ses sympathisants. Dans le berceau d’Oussama Ben Laden et du wahhabisme, ceux-ci sont très nombreux. « Nous sommes face à 10 000 personnes susceptibles de commettre un attentat, et à un million de sympathisants prêts à les aider », reconnaît en privé le prince Nayef, le ministre de l’Intérieur en charge de la lutte antiterroriste. « C’est sur ce million que nous devons travailler, nous devons éviter à tout prix qu’il ne tombe de l’autre côté de la barrière », ajoute-t-il.

En Arabie, la différence entre un wahabite bon teint et un partisan de la lutte armée est souvent ténue. « Nous devons être très prudents avec la religion, indique le général Turki. Nous ne pouvons pas pénétrer à l’improviste dans une mosquée. De la même manière, nous ne pouvons pas dévoiler les femmes sous prétexte que les terroristes se déguisent en femmes. Lorsque nous arrêtons un homme qui veut aller faire le djihad en Irak, il nous répond que c’est son devoir de musulman d’aller lutter contre l’occupant d’une terre arabe. » D’où les gages que le pouvoir est contraint de donner à certains dignitaires religieux.

Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/international/20070228.FIG000000196_l_arabie_saoudite_face_a_l_eclatement_du_djihad.html

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