On raconte que, durant le siège de Constantinople en mai 1453, les érudits et les moines de la ville assiégée passaient leur temps en discussions aussi vaines qu’interminables sur des sujets de spéculation théologique, alors que l’artillerie ottomane pilonnait leur cité. Il s’agit d’une légende mais qui a introduit dans le lexique de la plupart des langues vivantes l’expression « querelles byzantines » pour dire le caractère surréaliste de certaines préoccupations et disputes que peuvent avoir certaines personnes alors que leur demeure est en train de brûler.
En 1940, alors que l’armée allemande se trouvait à un peu moins de 40 kilomètres de Paris, le parlement français s’est réuni pour une dernière fois. A l’ordre du jour de cette journée mémorable, les députés devaient débattre d’un projet de loi organisant les courses de lévriers. La situation actuelle du Liban rappelle tant les fausses querelles byzantines de 1453 que les vaines palabres sur des sujets futiles, alors que les flammes de l’incendie à venir s’allument tout autour de nous.
Le sommet tenu récemment à Damas entre les présidents iranien Ahmadinejad et syrien Bachar el Assad ressemblait à une réunion d’état-major avant la bataille. Cette impression est confortée par la participation du citoyen libanais, Sa Clémence Hassan Nasrallah qui sans être un président de république n’en est pas moins le patron du Liban envers et contre la volonté que le peuple libanais a librement exprimée le 7 juin 2009. De quoi ont pu discuter les participants à cette veillée d’armes ? De la guerre finale contre les Etats-Unis accusés par le régime islamique du néo-empire perse d’être le Grand Satan ? De l’extermination de l’entité sioniste ? De tels sujets de conversation constituent le pain quotidien au Proche Orient depuis des décennies et servent de slogans pour maintenir les peuples de la région sous l’oppression des pires régimes totalitaires et liberticides qui restent encore en activité sur la planète Terre. Mais que faisait le libanais Hassan Nasrallah à cette réunion entre chefs d’états ? Deux hypothèses sont plausibles :
• La présence de Sa Clémence s’explique par l’extrême bonté des présidents iranien et syrien qui tenaient, sans doute, à débattre sur les moyens de protéger la population civile ainsi que les biens publics et privés du futur champ de bataille, à savoir le Liban qui n’a pas le droit de faire entendre sa voix quand il s’agit de choses sérieuses comme la guerre.
• La présence de Sa Clémence était indispensable si on considère que le Hezbollah du Liban est la pièce maîtresse de la stratégie militaire de l’Iran d’Ahmadinejad, une sorte de tête de pont de l’armée perse sur les rives de la Méditerranée Orientale.
Le sommet de Damas était-il, du point de vue de la stratégie militaire, offensif ou défensif ? Les observateurs avertis ne manquent pas d’établir une comparaison salutaire entre le climat qui régnait en 1939 à la veille de la deuxième guerre mondiale et celui qui règne actuellement autour du Liban, futur champ de bataille de la guerre qui s’annonce. A l’image du régime iranien, le régime nazi était aimé par une majorité du peuple allemand à l’exception de quelques visionnaires. Les allemands et leurs alliés étaient convaincus des intentions « pacifiques » du régime hitlérien. Il faudra la ruine complète de l’Allemagne pour que son peuple se réveille de ses chimères. Les mêmes observateurs notent que nous assistons actuellement à une adhésion massive à une intime conviction, celle qui veut que la fin d’Israël soit proche et que l’existence de l’entité sioniste touche à sa fin, voire qu’Israël perdra toute guerre qui surviendrait au Levant.
L’histoire nous enseigne que lorsque des activistes sont convaincus, à tort ou à raison, de leur propre suprématie en termes de force, ils passent à l’attaque afin de hâter la réalisation de leur ambition et de leurs rêves métaphysiques. Dans un tel climat, disent les observateurs avertis, il n’est pas impossible que la guerre puisse être déclenchée par les participants au sommet de Damas. Certes, ce n’est pas le front syrien qui va s’allumer et on voit mal comment des missiles iraniens seront lancés contre Israël dont la riposte sera dévastatrice. Le plus simple consiste, comme d’habitude, à jouer avec le feu au Liban.
Pendant ce temps, sur le futur champ de bataille, on tente tragiquement de conjurer le sort par le biais de vraies querelles byzantines. On discute âprement de la tenue d’élections municipales dans un pays où le suffrage universel est méprisé et piétiné par ceux qui tiennent les institutions en otage grâce aux armes de la Perse. On veut encore croire que l’unité nationale n’est pas morte, on organise donc une pathétique fête islamo-chrétienne en l’honneur de Marie (mère de Dieu pour les uns, mère d’un simple prophète pour les autres). Des politiciens chrétiens redécouvrent la servilité obséquieuse de la condition du dhimmi ; ils se livrent à des pitreries théologiques grâce aux ressources infinies de la confusion mentale que le syncrétisme religieux autorise. Ils pensent sans doute se concilier, ainsi, la bonne grâce du maître.
On installe des feux de signalisation, on verbalise les manquements au code de la circulation, on passe son temps à mille et un détails administratifs mais personne, aux ministères libanais de la défense ou de l’intérieur, n’a la présence d’esprit de se poser l’élémentaire question : comment protéger la population civile en cas de malheur ?
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L’Orient Le Jour