Entre guerre et paix

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Antoine Courban

« Nul homme n’est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix. » À moins d’être de mauvaise foi, cette célèbre phrase d’Hérodote ne peut être comprise que comme normative. La guerre en soi ne trouverait jamais sa propre justification en elle-même. Il ne peut exister de guerre juste car la guerre ne serait qu’« un moyen en vue de la paix » (Aristote).

Mais qu’est-ce que la guerre ? Les pacifistes, en général, rejettent le principe du recours à la force pour faire valoir le droit. Leur présupposé fondamental est probablement une certaine morale évangélique qui accorde la primauté à la non-violence. Mais sous bien des formes, le face-à-face conflictuel se trouve comme pierre angulaire de systèmes de pensée qui ont façonné le monde : dialectique hégélienne, lutte pour la vie, lutte des classes, volonté de puissance, etc. La guerre doit être distinguée « non seulement du conflit biologique ou social, ou de la contradiction conceptuelle, mais aussi de la violence individuelle ou collective ». La guerre ne peut qualifier un rapport d’homme à homme car elle est une forme de relation intercollective entre deux entités jouissant d’un espace de souveraineté. On peut imaginer, comme le suggère K. Waltz, que « tous les hommes soient des anges ou des saints », qu’ils soient tous parfaitement équilibrés psychiquement, voire lobotomisés ou sous l’effet de doux hallucinogènes, que tous les États du monde aient un régime démocratique ; la guerre demeurerait inévitable et possible à cause de l’émiettement de la planète en une pluralité d’États et de « l’absence d’autorité supérieure s’imposant à eux pour arbitrer leurs conflits et sanctionner leurs fautes ». En d’autres termes, la question fondamentale demeure celle de la « limite », concept abstrait qui n’a cessé de troubler l’esprit humain depuis l’aube de la pensée grecque.

Tel est l’enjeu qui se profile derrière les bruits de botte que nous entendons actuellement à propos d’une intervention internationale possible en Syrie. Le monde d’après Assad ne sera plus le même car, selon toute vraisemblance, une forme particulière de surveillance policière des États du monde émergera immanquablement des ruines du Levant. Qui fera le gendarme planétaire ? Comment ? Par quels moyens ? C’est ce nouvel ordre du monde qui semble en gestation aujourd’hui. Un ordre qui, selon toute vraisemblance, impliquera une riposte automatique en cas de dépassements des bornes et des limites qui seront assignées à l’action des états.

Une telle hypothèse futuriste implique de devoir faire le constat de la faillite de l’Organisation des Nations unies qui avait cru que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 pouvait servir comme moyen juridique suffisamment dissuasif. Il n’en est rien. Toute l’agitation diplomatique et militaire actuelle traduit une telle impuissance. Le concept même de devoir d’ingérence, élaboré durant les guerres balkaniques postsoviétiques, se trouve mis à mal à cause du choc des intérêts stratégiques.

Qui donc aura le contrôle de la force de riposte automatique ? Une nation ? Ce serait un nouvel empire hégémonique. Un collectif de nations ? Ce serait un retour vers une forme de dangereux paternalisme impérialiste. Une armée internationale distincte des grandes coalitions géostratégiques ? Comment la recruter ?

Quelle mission lui assigner ? À l’intérieur de quelles limites ?

Au nom de quelle autorité souveraine agirait-elle ?

En d’autres termes, peut-on imaginer dans l’après-Assad l’émergence d’une instance planétaire qui parlerait et agirait, non au nom d’une multitude de nations réunies, mais au nom de l’humain et de l’humanité ?

L’Orient Le Jour

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