Des milliers de cadavres dans les rues de Khartoum

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Les combats entre l’armée régulière et la milice du général Hemedti ont redoublé de violence.

 

 

AFRIQUE DE L’EST Le son cadencé de l’artillerie résonne de nouveau dans les rues de Khartoum, déjà ravagée par quatre mois d’un conflit meurtrier. « Ces derniers jours ont été parmi les plus violents depuis le début de la guerre, des combats ont éclaté un peu partout dans la ville », s’inquiète Khaled Adam, un jeune activiste du nord de la capitale, joint par téléphone.

 

 

À Omdurman, ville sœur de Khartoum située sur la rive occidentale du Nil, les obus tombés sur le quartier historique de Bet al-Mal ont fait une quinzaine de morts et plus de trois cents blessés. Ceux-ci ont été transportés à l’hôpital al-Naw : « C’est le seul qui soit encore en état de marche dans cette partie de la ville. Les blessés affluent mais il n’y a pas assez de médecins et pas assez de sang pour transfuser les patients », déplore Howida al-Hassan, médecin et membre du Syndicat des médecins soudanais. Dans la région de Khartoum, 71 des 89 hôpitaux sont hors service.
Faute de place dans des morgues débordées, des milliers de cadavres jonchent les rues de la capitale. Une situation sanitaire alarmante, qui, en pleine saison des pluies, fait craindre un risque d’épidémie à grande échelle, prévient l’ONG Save the Children. « Il y a des corps qui sont là depuis le début de la guerre, il ne reste que les os, mangés par les chiens, lâche ­Nizam, un habitant du quartier de Bet al-Mal. C’est trop dangereux d’aller enterrer ses proches au cimetière, alors pour le moment chacun fait comme il peut en espérant pouvoir les déplacer à la fin de la guerre. »
Échec des médiations 
Le conflit opposant les forces armées régulières, menées par le général Abdel Fattah al-Burhane, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, a déjà fait plus de 3 900 morts, selon l’ONG Acled, et plus de quatre millions de déplacés et réfugiés, selon un dernier bilan annoncé mardi par l’ONU.
Dominée dans la capitale, l’armée soudanaise tente de briser l’encerclement de ses bases militaires par les milices de Hemedti. Depuis le mois de mai, ces dernières se sont emparées de quatre d’entre elles dont le siège de la Police de réserve centrale, prenant le contrôle de nombreux véhicules et équipements militaires.
Les différentes tentatives de l’armée pour briser ces sièges se sont soldées par des échecs. Le mois dernier, un important convoi de l’armée a subi de lourdes pertes en tentant de ravitailler le commandement général de l’armée où est retranché le général al-Burhane.
Cette recrudescence des combats a lieu alors que se tient discrètement un nouveau cycle de négociations à Djedda, en Arabie saoudite, où les précédentes médiations sous l’égide du royaume wahhabite et des États-Unis ont jusqu’à présent toutes échoué. « Il y a un enlisement de cette guerre. Chaque camp sait qu’il va falloir faire des concessions et passer par la table des négociations, mais avant, ils veulent être en position de force sur le terrain », estime l’analyste soudanaise Kholood Khair.
Pris au piège de cette lutte de pouvoir entre les deux généraux, les Soudanais doivent faire face à des problèmes quotidiens d’accès à l’eau et l’électricité, ainsi qu’à des pénuries de nourriture. Une population également victime de pillages, tortures et viols commis principalement par les milices de Hemedti.
Ces abus ne font que renforcer l’image négative qui collait aux Forces de soutien rapide avant la guerre, accusées de massacres au Darfour et responsables de la répression sanglante du sit-in durant la révolution soudanaise de 2019.
« Beaucoup de Soudanais ne veulent pas d’un retour à l’ancien régime, de l’armée et de ses alliés les islamistes accusés d’être à l’origine du conflit, mais les crimes des FSR contre les populations civiles les poussent à s’y opposer d’abord, et à voir ensuite pour les islamistes », poursuit Kholood Khair. Ces crimes sont largement relayés sur les réseaux sociaux, qui ont poussé des centaines de jeunes inexpérimentés à s’engager dans l’armée, portés par la multiplication des campagnes de recrutement dans les régions qu’elle contrôle. « Je n’imagine pas l’armée envoyer ces jeunes se faire tuer, mais c’est un moyen de peser, de montrer qu’elle a des soutiens et peut mobiliser », souligne Kholood Khair.
Le soutien d’une partie de la population masque des abus. Les comités de résistance, organisations de quartier fers de lance de la révolution soudanaise, dénoncent régulièrement l’arrestation de membres de la société civile, médecins, activistes ou journalistes opposés à la guerre. « Les deux camps veulent forcer les civils à prendre parti dans ce conflit, et ceux qui refusent sont vus comme des menaces, c’est un vrai danger pour l’unité du pays », estime l’activiste Khaled Adam.

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