Quels sont les critères qui permettent de qualifier un leader politique ou un chef d’État d’homme fort ? Qu’est-ce qu’on entend par cela ? S’agit-il de la force physique ?
Il serait ridicule d’assimiler un président ou un leader à un gladiateur ou un lutteur de foire, capable de terrasser son adversaire par sa seule force musculaire. On peut cependant considérer le courage, au sens de capacité à surmonter la peur du risque, comme une des conditions de la force d’un chef d’État. Savoir prendre des risques s’arrête néanmoins au pied du mur de la témérité. Cette dernière, comme démesure, est source de graves déconvenues. Ainsi, le Liban ne s’est pas encore remis des effets néfastes de l’aventurisme téméraire, politico-militaire, qui marqua les deux dernières années de la guerre civile, entre 1988 et 1990.
On nous dit que le Liban a la chance d’avoir un président fort à la tête de l’État en la personne de l’ex-général Michel Aoun. La force de ce dernier lui viendrait d’une représentativité chrétienne de poids, suite à l’entente passée entre les deux partis chrétiens FL et CPL. Ce binôme politique bénéficierait, dit-on, de l’opinion favorable de la majorité des citoyens chrétiens. Rien n’est moins sûr si on utilise, comme grille de lecture de la popularité, les dernières élections municipales qui constituent, qu’on le veuille ou non, un excellent et fiable sondage d’opinion. On se souviendra que les électeurs des districts chrétiens n’avaient pas émis un vote « confessionnel », notamment en milieu urbain. L’électorat chrétien avait préféré l’option d’une certaine modernité sécularisée à celle du traditionnel establishment sectaire et féodal. Les appareils des partis devraient longuement méditer les résultats des municipales et comprendre qu’on ne peut plus s’adresser à la population, notamment chrétienne, en 2017, en ruminant sans cesse des arguties et des slogans d’un passé en agonie avancée.
La force affirmée du chef de l’État réside-t-elle dans sa capacité à avoir su imposer l’élémentaire respect de la règle constitutionnelle ?
On peut en douter dans la mesure où le président de la République, seul dirigeant à prêter serment sur la Constitution, a lui-même violé cette dernière en ne signant pas le décret de convocation des électeurs au scrutin législatif, sous prétexte qu’un nouveau projet de loi électorale n’avait pas encore fait consensus au sein du conseil restreint des tribus libanaises, la « Loya Jirga » qui contrôle l’ensemble du pays, de ses institutions et de sa vie publique.
La force du président de la République est celle de la Constitution et non la sienne ; ainsi que celle du respect des règles constitutionnelles. La périodicité de tout scrutin, conformément au calendrier prévu par la Constitution, est infiniment plus importante qu’une loi électorale. Il suffit d’appliquer celle qui existe, fût-elle critiquable, afin de ne pas violer la Constitution. Quant à la puissance du chef de l’État, elle ne prend pas sa source dans sa personne et encore moins dans son poids confessionnel, mais dans la souveraineté de l’ensemble du peuple libanais qu’il est le seul à incarner dans toute sa plénitude.
Quant à la grandeur d’un chef d’État, elle lui vient de sa capacité personnelle à agir selon une vision d’ensemble cohérente qui lui permet, en permanence, de prendre de l’initiative dans le cadre d’une ligne politique claire ; de faire en sorte que l’État, ses institutions et ses commis soient en permanence des acteurs qui agissent et non de simples entités qui réagissent aux événements qui soufflent autour du pays.
Force est de constater que nul n’est fort au Liban, sauf l’étranger qui contrôle une tête de pont dont l’arsenal ne sert qu’à prendre le pays en otage et isoler le Liban, encore plus, au milieu de son environnement régional. On a récemment vu le pathétique d’une telle situation au sommet de Riyad. On aurait aimé voir le Liban représenté par son président chrétien, honoré parmi ses frères arabes et non point mis à l’écart. La force du président chrétien du Liban est aussi et avant tout dans la haute estime que les Arabes ont toujours eu à l’égard du pays et de ses chrétiens perçus comme modèle à suivre.
Tel n’est plus le cas. Le repli sur soi effectué par le binôme chrétien libanais, doublé du manque absolu de vision et de référent moral de toute la classe politique, est à cet égard suicidaire.
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- Beyrouth