Officiellement, la DGSE n’intervient pas en Ukraine. Mais des agents pourraient être déployés sur place pour des missions de renseignement.
Un ex-agent de la DGSE nous prévient : « Ne présentez surtout pas les choses de façon affirmative ! Ça mettrait des gens en danger sur le terrain. » L’action des services secrets français en Ukraine est confidentielle et doit le demeurer. Nos interlocuteurs prennent d’ailleurs bien soin de rester flous sur ce qui relève d’informations dont ils disposent de façon certaine et ce qu’ils déduisent des pratiques habituelles des directions qu’ils connaissent bien . « D’autant plus que les Russes lisent tout ! » précise une de nos sources, convaincue que chaque ligne dans les journaux, chaque minute sur les chaînes en continu, est désormais disséquée à des fins de récupération par Moscou.
Une chose apparaît acquise : si, officiellement, la France n’intervient pas en Ukraine, puisqu’une telle présence en ferait un « cobelligérant », notre pays s’active bel et bien. Une partie de ses agissements est publique : des livraisons d’armes ont été admises par Florence Parly. Devant le Sénat, le 1er mars, la ministre des Armées a précisé qu’il s’agissait « d’équipements de protection et de carburants, mais aussi de missiles et de munitions ». Le député de La France insoumise, Alexis Corbière, membre de la commission de la Défense, a, lui, confirmé le 9 mars l’envoi de « gilets pare-balles et quelques missiles antichars ». Cette information a été donnée huit jours plus tôt par Martin Briens, le directeur de cabinet de la ministre, devant les membres de cette commission, et a été qualifiée de « confidentielle », sans être pour autant couverte par le secret-défense.
Ce n’est pas tout. Il y a l’usage et la transmission à l’Ukraine d’images satellitaires, analysées par la Direction du renseignement militaire (DRM), dont c’est la spécialité. « Grâce au renseignement par satellite, la DRM va obtenir des informations sur le mouvement des unités russes, leur type d’armement, où sont situées leurs bases. Ce sont eux qui sont au plus près du terrain, qui s’informent sur l’état des combats, les pertes civiles », décrit Olivier Mas, ex-colonel de la DGSE. Ce service est en outre capable de laisser traîner ses « grandes oreilles » électroniques du côté de la ligne de front. « Les conversations entre pilotes de chasse russes ne sont pas forcément toutes cryptées », note Pierre Conesa, ex-haut fonctionnaire au ministère de la Défense.
Des livraisons d’armes ont été admises par Florence Parly, la ministre des Armées.
Quid des troupes au sol ? Un ancien membre de la DGSE n’en fait pas mystère, ce type d’intervention fait partie du savoir-faire de son ancienne « boîte » : « Si le président de la République l’a décidé, il est certain qu’on a projeté des éléments du service Action ». Présents sous couverture, ces agents cachent leur véritable identité. Certains d’entre eux parlent ukrainien et sont capables « d’instruire les militaires ukrainiens sur le matériel livré », sur le tas, nous dit notre source. Plusieurs « binômes », positionnés dans des planques, pourraient en outre être chargés de « la protection du président Zelensky et de son entourage ». Le centre parachutiste d’instruction spécialisée de Perpignan, l’une des trois composantes du service Action, est particulièrement indiqué pour cette mission, puisque les militaires y sont spécialisés dans le combat urbain, la guérilla et l’insurrection. Jean-Yves Le Drian a semblé jauger cette hypothèse le 25 février sur France Inter, en réponse à une question sur la sécurité de Volodymyr Zelensky : « Nous sommes en mesure de l’aider si nécessaire. »
Olivier Mas imagine que certaines opérations de « renseignement à fin d’action » pourraient en outre être clandestinement effectuées par la DGSE : « On appelle ça des actions d’entrave, il s’agit d’arrêter des actions terroristes, d’arrêter des livraisons d’armes ». Un autre de nos interlocuteurs évoque, lui, l’appui du 13e régiment des dragons parachutistes, expert du renseignement humain sur zone de crise, à destination de la DRM ou du commandement des opérations spéciales. Dans ce scénario, nos experts estiment qu’il pourrait y avoir quelque « 100 à 200 » membres des services secrets français en Ukraine aujourd’hui.
É. G.