La visite du président iranien aura au moins eu le mérite de faire tomber les masques de l’hypocrisie derrière laquelle tout un chacun voulait se convaincre qu’elle pouvait lui servir de feuille de vigne ou de figuier pour cacher cette nudité qu’on ne veut pas montrer. Chacun est apparu dans sa vérité la plus transparente ; plus besoin de prendre des précautions oratoires, il est grand temps que les choses soient dites clairement.
1 : L’Etat libanais.
Réduit au statut de simple fiction, incapable d’assumer toutes les tâches que sa fonction protocolaire lui impose. De l’aéroport de Beyrouth et tout le long du chemin suivi par le cortège d’Ahmadinijad, la visibilité était surtout celle des services de sécurité du Hezbollah, c’est-à-dire des forces armées qu’entretient au Liban le régime iranien.
2 : La haine indépassable.
La foule, embrigadée selon les recettes éculées de tous les totalitarismes, a laissé transparaître sa haine. Cette foule de libanais a hué le nom du premier ministre du Liban. Par opposition politique ? Non, mais plutôt par haine sectaire d’autant plus significative que le protocole libanais n’avait pas prévu une visite, fut-elle symbolique, au mausolée de Rafic Hariri. Une telle visite n’a pas eu lieu, elle aurait pu désamorcer quelque peu le tonneau de poudre des haines insurmontables. Et parce qu’elle n’a pas eu lieu, cette maladresse a jeté de l’huile sur le feu.
3 : Les allégeances extérieures.
Dans son discours, Hassan Nasrallah s’est fait le propagandiste de l’Iran de Wilayat al Faqih, ou du néo-empire perse. Le Liban n’est rien à ses yeux, une simple contrée au sein de l’universelle république islamique à la Khomeiny. Le Liban n’est rien ou, tout au plus, un champ de bataille contre les forces du « mal » ; c’est-à-dire le reste du monde.
4 : L’opportunisme immoral.
Les acolytes libanais de l’Empire, surtout chrétiens, sont apparus si petits face aux vrais maîtres, tout au plus des agents de troisième ordre qui cherchent, par le biais d’un opportunisme sans scrupule, à amasser quelque prébende ou à ramasser quelques miettes. Quel statut ces maîtres réserveraient-ils à ces chrétiens si non celui de dhimmis de seconde zone ou tout au plus de forces de soutien à l’image de ce Jésus-Christ censé simplement être le second de l’Imam Mahdi dont la venue serait imminente comme l’a annoncé Ahmadinijad Shah à Bint-Jbeil.
5 : L’utopie délirante millénariste, apocalyptique et eschatologique.
Aussi contesté qu’il soit chez lui, le pouvoir iranien s’obstine à mener une politique hégémonique en Orient en instrumentalisant certains paramètres religieux comme l’apocalyptique et le millénarisme. Comme force révolutionnaire, cette idéologie vise à mettre fin à l’Histoire afin de faire émerger un homme nouveau, exactement comme les néoconservateurs américains, les dictatures marxistes-léninistes mais aussi le nazisme hitlérien. Aussi délirant soit-il, ce paramètre eschatologique a été clairement formulé devant les foules libanaises exaltées. Dans ces conditions, peut-on voir dans le tandem « Hassan Nasrallah/Michel Aoun » la préfiguration du couple eschatologique « Mahdi/Jésus » attendu pour livrer la bataille d’Armageddon contre Gog et Magog et toutes les forces des ténèbres ?
6 : La politique impériale.
Ahmadinijad est venu en conquérant des rivages méditerranéens. Alexandre le Grand avait fait refluer les Perses au-delà de l’Euphrate. Depuis lors, les Perses ont traversé une seule fois cette ligne de défense au VII° siècle. C’est l’empereur romain d’Orient, Héraclius qui décimera les forces perses à la veille de la conquête musulmane. Le nouvel empire iranien qu’on appelle Wilayat al Faqih, n’a rien à voir avec ses prédécesseurs Achéménide, Parthe et Sassanide.
Que faire ? Quoi faire ? Avant qu’il ne soit trop tard.
Accepter sans sourciller la domination impériale iranienne qui se profile comme anti-arabe par nature ? Se laisser impressionner par les menaces de sédition ou d’insurrection ? Oublier que le peuple libanais a été capable, dans un mouvement pacifique, de chasser l’occupant hors du Liban en 2005? Appeler à la rescousse des « amis », des « frères », des «coreligionnaires»?
La solution se trouve dans la réconciliation et le pardon. Ceci porte comme titre : « Beyrouth ». Les foules qui ont applaudi Ahmadinijad et qui sont fières de ce que les leurs ont réalisé doivent encore faire le pas pour s’intégrer, non à un empire étranger, mais à l’esprit de la cité, là où tout un chacun a sa place. Ceux qui ont peur de ces foules, qui sont paralysés par la haine, doivent comprendre que la légitimité du présent ne se trouve pas dans les sépulcres du passé ni dans les figures des martyrs aussi nobles soient-elles. Le sort des victimes assassinées est affaire de justice. Mais la construction de la cité est le devoir de tout un chacun, sinon nous allons droit au suicide collectif.
A la veille de la visite d’Ahmadinijad, plus de 250 personnalités avisées avaient signé une pétition publique intitulée « Initiative de Beyrouth » par laquelle ils expriment le droit fondamental de tout libanais à vivre dans une patrie qui ne soit pas un champ de bataille pour des puissances étrangères. Sauver Beyrouth et le Liban, c’est renoncer à de beaux rêves certes, mais c’est le prix à payer pour l’avenir paisible de nos enfants dans un pays qui aurait pu être un petit paradis et que nous avons transformé ; à cause de nos crispations identitaires et de nos utopies collectives, en antichambre de l’enfer.
Avant qu’il ne soit trop tard … réveillez vous et sauvez ce qui reste du Liban.